Tribunal

A propos du procès de Houria Bouteldja

Le 14 décembre, un jour qui restera dans les annales. Le jour où une indigène a dû se présenter devant la machine judiciaire, cette machine belle, aveugle et armée, mais surtout imprévisible. Mise en examen pour avoir créé un néologisme sur la base du mot souche.

Un matin froid et sec à Paris, le soleil dort, malgré cela, la vie n’a jamais cessé. L’aéroport Charles de Gaulle grouille de petites ombres pressées et actives qui se meuvent en tous sens. Il est 6h55 des affaires lancées en vrac dans de petits bacs blancs qui se suivent comme les locomotives d’un train de marchandises. Un murmure incessant habite les murs de la nef centrale, le chuchotement des passagers affairés, des annonces d’embarquements et des appareils électroniques rendent ce lieu mouvant comme un tableau en perpétuelle marche, un chef-d’œuvre inachevé qui se poursuit au gré des arrivées et des départs, comme un pinceau qui ne se lève jamais de la toile. Ce matin-là pourtant, la rumeur est faible mais présente, quelque chose se prépare, je l’entends. Cette faible vague qui s’empare de moi m’emplit d’un mélange anxieux et enthousiaste, je regarde autour de moi, personne ne semble s’en apercevoir, la machine est lancée cependant, imperceptiblement le Léviathan « hobbessien » est ébranlé.

Au contrôle des bagages, je les vois, ces figures familières, des indigènes.
Qui sont-ils ? Des individus, des femmes, des hommes, d’esprit et de courage. Des personnes qui n’ont pas hésité à se déplacer à plus de 700 kilomètres de chez eux pour défendre, pour se défendre!
Une race d’indestructible qui poursuit l’œuvre de ses pères et de ses pairs.
Parmi ces gladiateurs lancés dans l’arène contre ce monstre de chair et de sang, on en trouve un particulièrement magnétique dans sa prestance et splendide dans son attitude.
Son visage, marqué par des luttes internes probablement, est légèrement cerné, des cernes qui suivent le mouvement des lèvres en un sourire infaillible et franc.
À Toulouse Houria Bouteldja débarque, simplement dans un équipage sobre et discret, la journée du procès contre l’AGRIF débute.

À présent, le parchemin se déroule à une cadence beaucoup plus effrénée, la valse des personnes allant et venant se poursuit mais nous, nous quittons ce bal pour danser une tout autre danse.
Accueillis par le comité de soutien à Houria, les jeunes nous expliquent pendant que nous piétinons devant un café qui va servir de bureau de presse pour la conférence, que depuis quelque temps les mouvances racistes et plus particulièrement celles d’extrême droite se montrent, narguent, et provoquent de plus en plus. Il semblerait qu’à Toulouse l’avant-garde, ou « antifa », veille et refuse nettement l’implantation de ce type de mauvaise herbe sur son domaine.

Les cliquetis des chaises et les bruits de pas dans les marches qui mènent à ce petit local exigu, empli d’une pénombre à la fois mélancolique et accueillante cessent bientôt pour laisser place à un silence électrique. Des choses vont être dites, des choses graves et importantes vont être énoncées, des choses réelles et profondes vont être clamées.

La parole est lâchée, indomptable elle brise tout, elle nous enveloppe, nous charme, nous fait rire, nous révolte. Cette Parole est portée par Mbairé, l’homme sage et serein, qui tel un bonze, pose les mots délicatement mais ces mots sont puissants et les coups qu’ils assènent sont sans appel »on a une réaction qui se comprend car ce n’est jamais qu’une projection de leur propre regard sur l’autre, ils ont entendu un tiret et ils l’ont interprété comme eux l’auraient prononcé, à savoir qu’en face il y a une race inférieure ».

Henry l’avocat téméraire, un capitaine fracasse armé et désarmant, le verbe pointu, la syntaxe aiguisée, énonce « l’AGRIF a entendu un tiret lorsque Houria a prononcé le mot souchien (…) c’est un exploit, quelque chose d’exceptionnel mais c’est pas unique car Alain Finkielkraut a entendu le même tiret, c’est presque une pathologie mais c’est quelque chose qui est assez répandu. L’ensemble du débat ne va pas tourner autour de ce tiret mais on pourrait parler de quelque chose comme « à la recherche du tiret perdu », le tiret va jouer un rôle dans ce débat ». Les témoins au procès participent également à cette conférence aux côtés d’Houria et nous apportent un éclairage particulier sur chaque aspect de cette affaire. Un éclairage que nous pourrons apprécier plus en aval durant le procès.

Et enfin, une parole portée à bras-le-corps par Houria qui a repris à la place de Sisyphe, Fanon ou Ara fat, le rocher de la justice sur ses menues mais solides épaules. Un rocher fardeau de Sisyphe pour avoir été un brigand, mais d’autre interprète ce rocher comme la punition d’un humain osant s’élever contre un dieu. Je préfère de loin cette interprétation car nous savons que l’histoire est écrite par les vainqueurs et que lorsqu’un Fanon ou un Ara fat se soulève contre l’ordre établit par les dieux vivants ou plus clairement les dominants, ils passent pour des brigands.

Houria nous livre le fond de sa pensée: « Le racisme est un système hiérarchique. Celui qui est en bas de l’échelle peut réagir violemment, éprouver de la haine, mais il n’a pas le pouvoir d’être raciste ».

Le périple débute par l’entrée au tribunal, seulement 10 d’entre nous serons élus par le bras armé de l’État afin d’assister à l’audience. À l’extérieur, deux groupes bien distincts et séparés par une rangée de bleue en costume d’apparat. Je suis miraculeusement appelée vers la salle d’audience, je saisis ma chance et m’engouffre dans la haie formée par les costumes bleus.
Trois juges, deux hommes, une femme; la greffière, noyée dans sa robe de cérémonie, et un procureur à la mine grave vont présider cette séance.
La salle d’audience est petite mais très haute, lumineuse, plutôt moderne elle ne rappelle en rien le palais de justice de Paris.
Le juge, dans une démarche incertaine quant à la tenue de ce procès, rappelle le déploiement de la force publique suscité par cette affaire. Il s’empresse de lancer à l’auditoire que « l’audience correctionnelle n’est pas une tribune politique », sourires contenus dans l’assemblée. Jusqu’à ce jour, je pensais que dans une salle d’audience, je devais adopter une attitude grave à la hauteur de l’événement, mais cette affaire m’aura appris que la salle d’audience peut être une tribune du rire autant qu’une salle de spectacle.

L’enjeu de ce procès sera donc de déterminer la culpabilité ou la non-culpabilité de la Dame Bouteldja quand aux faits d’insultes raciales qui lui sont reprochés.
Après la présentation sommaire des faits, de la partie civile et de la défense, le juge pose deux questions fondamentales qui vont définir l’enjeu de ce procès.
Mais avant cela, il évoque l’origine du mot « souche ». Arrêtons-nous là un moment car le rappel du juge est pour le moins pertinent, déjà Zola en parlait dans « Les Rougon-Macquart », un mot qui aurait, d’après le juge, trouvé ses racines au XIXe siècle, un siècle qui marque l’apogée de l’eldorado colonial pour les puissances occidentales. Il rappelle ce réflexe identitaire des colons qui avaient besoin de s’affirmer comme Français de souche alors qu’ils étaient exilés dans des contrées lointaines et exotiques. Il parle du Général De Gaulle, qui un peu avant la guerre d’Algérie, employait ce terme de Français de souche comme pour faire une distinction, déjà, entre le Français de souche et les autres. Enfin, il évoque les années 80 ou les folles années Mitterrand, durant lesquelles on a politisé ce problème de l’immigration remettant ainsi au goût du jour cette notion de souche.
Un malaise s’installe, le juge se débat pour présenter les choses sans pour autant léser ou froisser l’une ou l’autre des parties. Il pose donc sa première question à la « vivante, intelligente et passionnée « Houria Bouteldja (ce sont là les mots du juge) qui qualifie de « véhémente » la façon qu’a le PIR de défendre ses idées.
« – Mademoiselle Bouteldja, avez-vous conscience de l’impact du mot « souchien »?
–  » Non seulement je ne m’en excuse pas mais je revendique la création de ce mot. Un mot dont je pensais avoir la maternité qui revient en fait à Jean-Louis Borloo, qui l’a utilisé avant moi dans une émission d’information. » Silence tendu de l’assemblée, mais dans mon esprit je sens que le blocage honteux que ressent chaque indigène et qui se traduit par la politique de la patte blanche, a littéralement volé en éclat. Houria nous a rendus fière, elle a brisé la chaîne odieuse qui tenait nos échines courbées. La seconde salve ne tarde pas à arriver

–  » Souchien est un néologisme, pas un jeu de mot, il est à prendre dans le cadre de statut que la société française a créé, une société qui se dit universelle alors qu’elle ne l’est pas ». Elle explique sur un ton calme mais non moins cynique qu’il faut en finir avec les origines fantasmées de la France. Elle ajoute enfin qu’elle s’inscrit dans une démarche politique avec le PIR et que ce n’est absolument pas dans son intérêt d’insulter une tranche de la population, elle s’exprime par ce néologisme sur la souche, elle se défend d’avoir parlé de chien, nous répétant ainsi cette magistrale leçon de français donnée à Marianne.

La seconde question pertinente est posée à Monsieur Bernard Antony, le président de l’AGRIF.
–  » Monsieur Antony, qu’est-ce qu’un français de souche ? » , en effet l’enjeu dans cette interrogation est de définir le contour d’une victime éventuelle de cette potentielle injure raciale envers un hypothétique peuple souchien qui vivrait quelque part en France. Sans victime, il ne peut y avoir d’infraction et sans infraction, il n’y a pas d’action en justice.
Réponse de Monsieur Antony: « Un français de souche est un français héréditaire, de parents et de grands parents installés sur le territoire. » Vous aussi? Vous ne comprenez pas ? Et bien nous sommes plusieurs dans ce cas. Mais ce monsieur va apporter des éclaircissements SALUTAIRES et c’est à cet instant que le festival du rire commence.
L’euphorie est à son comble lorsque Maître B. avocat de la partie civile, brandit le livre de Saïd Bouamama, l’incertain maître à penser d’Houria, sur laquelle est représentée la « niqueuse de la France » d’une voix tonnante, il lance son inquisition et le mot est peu faible.
– « Mademoiselle Bouteldja, vous reconnaissez-vous sur cette couverture? »
– « Ah non pas du tout. »
–  » En êtes-vous sûre? Monsieur le juge regardez! »
– « Maître B. je ne vois absolument aucune ressemblance entre cette demoiselle et Mademoiselle Bouteldja ».
Éclat de gaîté générale, l’avocat vient de consumer le peu de crédibilité qu’il aurait pu avoir dans cette affaire.
Acculé, Monsieur Antony tente une dernière manœuvre de désespoir et fini de ridiculiser son avocat en disant:  » Vous savez j’ai 14 petits enfants, et je ne veux pas qu’on nique la France, je ne veux pas qu’on nique mes petits enfants ». Je laisse libre court à votre imagination quant à la suite de cette mascarade ubuesque de la justice et je vous confie la dernière perle que j’ai pu attraper avant de quitter l’audience, un pur bijou colonial. Monsieur Antony posant la dernière pièce de son ridicule de malade imaginaire ou plutôt d’injurié imaginaire : » Madame Bouteldja clame son « algérianité » avec un accent nationaliste très fort, et bien si elle aime tant son pays pourquoi elle n’aide pas ces pauvres kabyles chrétiens en détresses qui souffrent (…) Pourquoi elle déteste tant un pays(la France) qui l’a nourri et éduqué. » Ce fur à peu près les phrases les plus racistes que j’ai pu entendre durant ma carrière d’indigène.

Avant de partir j’ai encore eu le temps d’assister à une tentative malheureuse d’un avocat dépassé soulevant des vices de procédures pour pallier à une défense faible et à des arguments inexistants. Ce procès ne fut qu’une lice pour cette joute oratoire qui s’est ouverte entre la France dite d’en bas et celle d’en haut, entre les quartiers populaires et le centre, entre la mémoire spoliée de nos pères et leur histoire. On pourrait même pousser la réflexion jusqu’à dire que ce procès est le procès d’un monde capitaliste et conservateur contre un monde se basant sur des valeurs humaines et sociales. Nous vivons dans un monde divisé entre » ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent ». Mais ceux qui creusent se révoltent un jour, commencent par lancer des chaussures et finissent par chasser leurs maîtres. J’espère pour l’AGRIF qu’ils ont eu ce qu’ils étaient venu chercher c’est-à-dire de la publicité ni plus ni moins.

Macha Amar

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