Contribution au débat

A propos de l’appel des Indigènes de la République

L’Appel des Indigènes de la République dérange. Il dérange essentiellement parce qu’il marque un échec de la République vis-à-vis d’une partie de la population vivant en France.

D’abord il vient quelque vingt ans après la « marche pour l’égalité » de 1983, marche qui marquait un espoir, alors que la gauche était revenue au pouvoir, espoir que les immigrés issus des anciennes colonies françaises cesseraient d’être des parias sur le sol français. Vingt après il faut reconnaître que cet espoir s’est évanoui et les enfants des marcheurs peuvent rappeler à leurs parents leur rêve perdu. Mais si cet espoir s’est délité au cours des années, c’est qu’il s’est trouvé face à un obstacle plus profond, celui d’une vieille tradition xénophobe française qui s’est renforcée avec la venue d’une immigration originaire des anciennes colonies françaises. La France, qui est depuis longtemps un pays d’immigration n’a jamais été un pays d’accueil au sens où les étrangers qui sont venus vivre en France ont dû se battre pour se faire accueillir, autant ceux qui sont venus chercher un asile contre les persécutions qu’ils subissaient dans leur pays que ceux qui sont venus tout simplement pour fuir la misère. Il faudrait rappeler les agressions à l’encontre de ces « indésirables », y compris les meurtres, dont la chasse meurtrière que subirent des ouvriers italiens à Aigues Mortes en 1897 Il faudrait aussi rappeler les difficultés « administratives » que rencontraient les réfugiés politiques comme le rappelle le philosophe juif allemand Gunther Anders qui écrivait en 1933 :

« Parce qu’en tant qu’émigré, du fait que les rangs de l’armée des chômeurs grossissaient de jour en jour, on n’avait pas le droit de travailler. Et ceci nous plongeait dans une situation kafkaïenne : à ceux qui pouvaient payer la somme requise pour les autorisations de séjour, ce qu’on appelait le récépissé ainsi que la carte d’identité, on demandait d’un ton méfiant : “ D’où tenez-vous cet argent ? Vous ne travailleriez pas au noir, par hasard ? ”. Et lorsque l’on ne pouvait pas fournir la somme en question, alors on nous disait : “ Eh bien, qu’est-ce qui vous fait croire qu’on va continuer à vous tolérer ici, en France ? ”. On a effectivement refoulé de nombreux émigrés vers l’Allemagne. Ce qui voulait dire une mort certaine. »

Les textes administratifs qui jalonnent l’histoire de l’immigration en France rappellent que l’attitude de l’administration fut loin d’être bienveillante. Reste qu’avec le temps et les nouvelles générations, les immigrés, essentiellement européens, se sont peu à peu insérés dans la population française, y compris en acquérant la nationalité française, devant ainsi des citoyens parmi d’autres. Il en est différemment avec les immigrés venant des anciennes colonies françaises, comme le rappelle le texte des Indigènes de la République. En reprenant le terme « indigène », ils rappellent qu’il restent, y compris lorsqu’ils ont acquis la nationalité française, considérés comme des étrangers, qu’ils restent dans un pays incapable d’assumer son passé colonial, des indigènes.

Nous citerons deux textes récents qui marquent à la fois la méfiance et le mépris envers ceux que l’on considèrent à la fois comme des étrangers et des indigènes, au sens colonial de ce dernier terme. Il y a quelque temps un rapport, le rapport Benisti remis en octobre 2004 au Ministre de l’Intérieur, était publié sur la délinquance des jeunes. Comme toujours, dès que l’on parle de délinquance des jeunes, apparaissent les immigrés comme si la délinquance était liée à l’origine étrangère. Je n’aborderai ici qu’un aspect particulier, celui de la langue parlée dans la famille, « le parler patois » comme le dit le rapport (page 9) comme si les langues étrangères utilisées par les familles n’étaient que de vulgaires patois par rapport à la langue française. Ce terme est déjà mérpisant lorsqu’il s’agit des langues régionales françaises qui ne se réduisent pas à du mauvais français comme on l’a trop longtemps répété, mais lorsqu’il s’agit de langues utilisées par les immigrés, cela devient insultant. Viennent ensuite des recommandations aux familles qui sont d’abord l’obligation d’utiliser le français dans les familles. Se mêle ici à la fois le mépris comme si l’usage d’une autre langue n’était qu’un signe de retard culturel et l’ignorance de l’apport du bilinguisme pour les jeunes enfants lorsque celui-ci se définit à travers l’usage social de deux langues. Il est vrai que si la langue d’usage familiale est méprisée par l’institution, cela peut être traumatisant, mais le traumatisme est moins dû au bilinguisme qu’au mépris. Mais il est tellement plus facile de stigmatiser les familles . Le second texte est plus grave car il est celui d’une loi votée par l’Assemblée Nationale et par conséquent engage la vie politique française. En février, une loi était votée « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». On peut s’étonner que, plus de quarante ans après la décolonisation et le rapatriement des Français des colonies, il soit encore nécessaire de parler d’indemnités. Serait-ce que les gouvernements français depuis quarante ans n’ont jamais abordé cette question. En fait il est question de régler un vieux problème, celui des Harkis, ces Algériens qui ont choisi la France lors de la guerre d’indépendance, problème loin d’être réglé tant les gouvernements français successifs les ont méprisés, les considérant comme des étrangers. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse porter sur le choix des Harkis, il est scandaleux, comme le rappelle l’Appel des Indigènes de la République que ceux qui ont choisis la France et leurs enfants soient encore considérés comme des étrangers, et pas conséquent des parias par la République française. Mais ce texte ne se contente pas de reconnaissance de la Nation, dans son article 4 il prend position sur le caractère positif de la colonisation et demande aux chercheurs et aux enseignants de souligner ce caractère positif.

« Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Ce texte est intolérable à double titre. D’une part il développe l’idée d’une histoire officielle au service exclusif de l’Etat, ce qui est incompatible avec la liberté de la recherche, et il exige que les enseignants enseignent cette histoire officielle. D’autre part il met en place un négationnisme historique en déformant l’histoire de la colonisation. Négationnisme intolérable comme toute négation des grands crimes de l’histoire humaine. Une façon de rappeler à ceux qui ont subi la colonisation et à leurs enfants dont certains résident sur le sol français, voire ont acquis la nationalité française, qu’ils restent des indigènes aux yeux de la République.

Parmi les réactions hostiles à l’Appel, certains ont déclaré que ce texte ne pouvait que favoriser l’ethnicisation des rapports sociaux. Ils posent en cela le problème à l’envers, certains de bonne foi, d’autres avec des intentions moins honnêtes. S’il y a aujourd’hui danger d’ethnicisation des rapports sociaux, ce danger se situe dans les discriminations envers une partie de la population vivant en France. C’est cela qui doit être entendu dans l’Appel des Indigènes de la République, comme un rappel du premier article de la Déclaration des Doits de l’Homme et du Citoyen : « Les hommes naissent libres et égaux en droits. »

19 mai 2005
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