Après la lecture du monde qui opposait les souverainistes aux mondialistes et qui présentait bien des mérites pour les nationaux-républicains, comme ce confort théorique considérable qui permettait de mettre les populations postcoloniales dans le lot des privilégiés (ayant prétendument bénéficié de la mondialisation-américanisation), leur imaginant, en dépit de toute analyse sérieuse, une alliance objective avec la clique des illuminés du libéralisme macroniste, voici que la nouvelle fracture serait celle qui oppose les Don Quichotte de la République, une et indivisible, et les séparatistes aux sourcils froncés avec à l’intérieur des Arabes, Noirs, Musulmans fondamentaux non-modérés et manipulateurs d’une gauche aux abois, prête à copiner avec la peste pour revenir dans le game.
Nous l’avons compris, l’antiracisme politique est une des cibles de l’offensive contre le « séparatisme » qui s’annonce, mais que nous reprochent-ils exactement ? Tout bonnement d’avoir le culot de prétendre exister dans ce pays, c’est-à-dire en définitive, non pas de nous replier sur nous-mêmes en chuchotant autour d’un feu sur les terres à partir desquelles nous pourrions faire sécession, mais de prétendre faire de la politique. Autrement dit, de nous organiser en communauté ET AU-DELÀ de la communauté pour transformer les rapports sociaux. Car faire de la politique, c’est toujours viser au-delà de soi et des particularismes pour proposer un vrai projet qui engage l’ensemble de la société.
Nous ne disons jamais autre chose : tout cela VOUS concerne aussi, vous de l’autre côté du périph de la race. Et on a même la sagesse de penser, au-delà du ressentiment pourtant légitime, souvent inévitable : c’est à vous aussi que notre combat profitera. Nous n’avons cessé de dire autre chose : vous n’êtes pas condamnés à être des bourreaux ni les privilégiés d’une histoire de honte, de sang et de larmes. C’est cela qu’il faut entendre dans cette formule qui nous obsède, celle « d’amour révolutionnaire » (Houria Bouteldja) qu’on répète comme un charme pour chasser le mal en nous et tout autour. On ne sait pas exactement ce qu’elle recouvre, c’est une intuition géniale en attente de sa traduction concrète mais tout le monde la comprend parce que tout le monde sait le chemin qu’elle ouvre et le réenchantement de l’action politique qu’elle porte en elle. Réenchantement dont nous avons trop besoin pour ne pas nous abandonner aux passions tristes qui nous hantent et devenir les dignes héritiers de nos histoires.
Séparatiste, toi-même, dirait Sadri Khiari. À la lumière de ce qu’il écrivait alors dans la « Contre-révolution coloniale en France », il y a une chose dont il faut sans doute se réjouir : nous ne sommes plus seulement les « épouvantails » que la gauche et la droite agitent pour paralyser tout le monde et maintenir le statu quo. Nous agiterions désormais nous-mêmes l’épouvantail. Notre agentivité est enfin reconnue par nos adversaires, ce qui nous rend certes plus redoutables à leurs yeux, justifiant ainsi les pires moyens pour nous contraindre, mais dans cette offensive panique, il y a comme un aveu et il est doux de l’entendre.
Risquons ainsi notre traditionnel retournement du stigmate, doublé de l’oxymore qui résume tout : Séparatistes de tous les pays, unissons-nous !