Après que la nomination de Rachida Dati au poste de Garde des Sceaux fut annoncée, on a entendu plusieurs personnalités du PS exprimer leur respect lorsque des journalistes les interrogeaient sur la nomination de la première personne issue de l’immigration à la tête d’un grand ministère. Selon eux, il faut se réjouir de cette nomination, qui renouerait avec les valeurs d’intégration républicaine. Bons perdants sur ce point, ils disent reconnaître que Sarkozy a fait là quelque chose qu’eux n’avaient pas été capables de faire jadis. Mais que regrette le PS ? Il regrette de ne pas avoir pris en compte les revendications des Noir-e-s et des Arabes en terme de discriminations racistes à l’emploi, au logement, en terme de ségrégation urbaine ? Il regrette de ne pas avoir légiférer sur le droit de vote des étrangers, comme il l’avait promis ?… Pas du tout ! Il regrette de ne pas avoir été à la hauteur de sa traditionnelle stratégie d’étouffement des revendications des immigrés : « Merde, on n’y avait pas pensé, alors qu’on est pourtant les rois de l’embrouille des bougnoules ; SOS racisme, c’est nous ; Ni Putes Ni Soumises, c’est nous ; le paternalisme républicain, c’est nous, les promesses non tenues, les chèques en blanc pour vote acquis, c’est nous… Et là, la droite, débutante en la matière, nous a doublé ! On dit Respect ! Sarkozy les a carottés par le haut, là où nous, on est encore à essayer de noyauter les pauvres assos de quartiers pour récupérer leurs luttes, par le bas… Joli coup ! Chapeau bas vraiment ! » Sarkozy aurait donc réussi à battre les Maîtres du genre. Ce serait un grand tacticien, qui fait preuve d’une machiavélique intuition politique…
Qu’est-ce que l’immigrée que je suis pense de cet impressionnant « génial coup politique » ?… Qu’ils nous prennent tous pour des couillons ! Où est le génie politique ? Sarkozy n’a pas inventé le concept. En tout cas il n’a pas inventé Condoleeza Rice ; Les Noirs-américains ne considèrent pas que Condoleeza Rice à la tête du pouvoir aille dans le sens de leurs revendications en terme d’égalité. Parce que Rachida Dati a été nommée Garde des Sceaux, on va docilement être contents et fiers ? Quand est-ce que les immigrés de ce pays ont dit qu’ils acceptaient d’être racisés, humiliés, traités comme des chiens…, à condition que parmi les donneurs d’ordre il y ait des Noir-e-s et des Arabes ? Quand est-ce qu’on a dit que notre seule ambition était de nous contenter de voir quelques Noir-e-s et quelques Arabes sortir leurs épingles du jeu, à nos dépends, pendant qu’on crèverait sans faire de bruit au plus bas de l’échelle sociale, nourris de la satisfaction de voir ces « élu-e-s » au chaud.
Crier au génie politique pour parler de la nomination de Rachida Dati, c’est continuer à croire qu’on est dupes de ces manipulations grossières. Sarkozy croit nous avoir compris. « Tout ce qu’ils veulent ces connards, c’est voir qu’une de chez eux puisse être à la tête d’un vrai ministère, carrément régalien, tout beau, tout classe ».
Je fais partie des connards d’immigrés (les nigauds de l’attrape-nigauds) et je ne suis pas dupe. Je n’oublie rien de la politique de Sarkozy au gouvernement malgré la nomination de Rachida Dati, au contraire. Je ne considère pas Rachida Dati comme un modèle de réussite, au contraire. Et je ne considérerais pas Rachida Dati comme « bouclier » quand les projets de loi prévus dans le programme Sarkozy sortiront, au contraire.
Rachida Dati n’est pas un anesthésique Rachida Dati est Garde des Sceaux, mais je n’oublie pas les « effets positifs de la colonisation », la liberté d’expression du racisme, les lois sécuritaires, le traitement colonial de l’immigration, les insultes, la stigmatisation des musulmans, les moutons, le harcèlement des sans-papiers, le recul de l’Etat social, le renforcement de l’Etat policier… Au contraire.
Rachida Dati n’est pas un modèle Rachida Dati est Garde des Sceaux et je ne m’en réjouis pas. Je m’en fous de ses 32 frères et sœurs ; je m’en fous que son papa soit ouvrier ; je m’en fous de ses origines maghrébines. Elle pourra venir se vanter d’avoir courageusement vaincu tous les déterminismes sociaux de la terre, et du coup se permettre de mépriser ceux qui n’ont pas eu, comme elle, le « courage » de s’en sortir… je m’en fous de sa vie qu’elle vend sur les plateaux télé. Rachida Dati est Garde des Sceaux, et je retiens que le système dominant blanc raciste et colonial n’inclut dans ses rangs que les Arabes qui n’en ont rien à foutre du sort des immigrés, de la dignité des immigrés, ceux qui ne se traumatisent pas d’être choisis pour servir de caution, du moment que cela répond à leurs propres ambitions, ceux qui ne se sentent pas concernés par les discours et les politiques racistes et sexistes à l’encontre des Noir-e-s et des Arabes. Rachida Dati, Garde des Sceaux ne fait que confirmer le traitement colonial de l’immigration. Elle se dit « symbole de la France ». Elle est le symbole de cette France-là.
Rachida Dati ne sera pas un bouclier Rachida Dati est Garde des Sceaux, et je ne considérerais pas que les projets de loi prévus dans le programme Sarkozy en matière de justice sont moins liberticides, s’ils sont liberticides, moins racistes, s’ils sont racistes, simplement parce que c’est une Arabe qui les porte. On jugera le moment venu sur les discours et sur les actes…
Dire que la nomination de Rachida Dati est un « coup de génie politique », c’est baisser les bras ; c’est anticiper sur le fait qu’on peut nous « retourner », d’un mot, d’un clin d’œil, d’une vitrine basanée. La nomination de Rachida Dati n’est pas un coup de génie politique à partir du moment où on ne se laissera pas avoir ; à partir du moment où on n’entrera pas dans le jeu du modèle de la « crème des beurs », de l’admiration pour les exceptions qui ont réussi, du « quand on veut, on peut », de la manipulation médiatique qui ne nous montrera que les exceptions « qui ont pu, parce qu’elles ont voulu ». La nomination de Rachida Dati n’est pas un coup de génie politique, si, au-delà de la poudre aux yeux, on continue à dénoncer les systèmes de dominations et à revendiquer l’égalité de traitement pour tous.
Fatima Ouassak, jeudi 26 juillet 2007.
Post Scriptum :
Cet article a été publié en guise d’éditorial dans le dernier numéro de notre mensuel « L’Indigène de la république« , N°8, juin-juillet 07.