Avant de répondre, j’aimerais interroger la question. Je pense d’abord que dans l’absolu elle est pertinente et légitime. S’inquiéter du sort des femmes dans les quartiers populaires pourrait relever d’intentions louables. Mais force est de constater que le débat public est surtout focalisé sur ces femmes en particulier et pas les femmes en général. Puisque la question porte sur la banlieue et que vous n’avez pas préciser de quelles banlieues il s’agissait, nous pourrions commencer par parler des banlieues riches où sévit, comme ailleurs, le système patriarcal. Dans ces espaces, point d’assistance sociale pour veiller ou encadrer les femmes victimes de violences conjugales. L’État estime que les dispositifs sociaux ne concernent que les pauvres et les non-blancs. Je n’ai pas les chiffres, mais les études montrent que les femmes des quartiers riches qui subissent les violences sexistes sont complétement isolées du fait de l’absence de relais sociaux mais surtout du pouvoir économique et politique de leur famille et/ou conjoint. Contrairement aux « lascars » des cités, les hommes au capital économique important sont protégés par leur statut ce qui leur permet d’agir en toute impunité. Par ailleurs, ils bénéficient de leur capital symbolique. En tant que blancs et riches, ils profitent d’un a priori très favorable, ce qui ne sera pas le cas d’un musulman même riche.
Cet a priori positif est le fruit de la domination occidentale réputée plus civilisée, plus féministe, plus ouverte au respect de la personne humaine. Or, les faits démentent ce mythe. La France reste un pays profondément patriarcal où règne la domination masculine sur le plan politique, économique et symbolique et ce quelles que soient les couches sociales concernées.
Mais revenons à la question de départ qui s’intéresse surtout aux banlieues pauvres et disons-le clairement aux populations noires, arabes et musulmanes qui y sont largement représentées. Comme je l’ai dit plus haut, le patriarcat fait système et il est efficient en banlieue comme dans le reste de la société. Les relations sociales sont entre autres déterminées par le genre et les rapports de domination hommes/femmes. Si le patriarcat existe sur tout le territoire français, il a ses particularités.
Commençons par dire que la banlieue est le lieu où se rencontrent deux patriarcats : le patriarcat souchien et le patriarcat des post-colonisés (qui lui même est différent selon les cultures en question mais ce n’est pas le lieu pour rentrer dans ce genre de détail). Lorsque ceux-ci arrivent en France dans les années 60, ils apportent avec eux un morceau de leur système social. Le souci des parents est entre autres d’élever filles et garçons dans les coutumes et les traditions ancestrales. Cette volonté est mise en concurrence avec le patriarcat blanc qui s’estime légitime pour « libérer » les jeunes filles et ce, malgré elles et contre la volonté de leur famille. L’objectif est tout sauf féministe et émancipateur. Il s’agit de les arracher à un patriarcat pour les mettre sous la tutelle d’un autre. Le corps des femmes de l’immigration est ainsi devenu un champ de bataille (ce qui n’est pas nouveau si on se réfère à l’histoire coloniale).
Soulignons ici que cette politique d’émancipation forcée n’est pas que le fruit d’une démarche patriarcale, elle est aussi et surtout une démarche raciste. D’abord par l’a priori qui consiste à penser que les femmes des autres sont plus opprimées que la sienne et ensuite par celui qui postule l’extrême soumission des femmes issues de l’immigration comme si celles-ci n’avaient aucune velléité propre de libération et de résistance. J’ajoute qu’il y a un énorme tort qui est fait aux hommes des quartiers. S’il y a bien un genre féminin indigène (racisé) opprimée par le racisme et le patriarcat, il y a un genre masculin indigène opprimé par le racisme. Un genre réputé voleur, violeur, voileur de femmes.
Aux discours émancipateurs blancs, les hommes indigènes répondront le plus souvent par un excès de sexisme vis-à-vis des femmes de leur communauté et par un contrôle accru. C’est ainsi que les idéologies dominantes sur l’émancipation des femmes des quartiers et leur faux-nez, Ni Putes Ni Soumises, produiront dans les faits le contraire de ce qu’ils prétendent faire. A ce sujet, je joins à cette contribution un article que j’ai écrit, « Pierre, Djemila, Dominique…et Mohamed » où je tente de mettre en évidence les stratégies d’émancipation des femmes indigènes en prise avec toutes ces oppressions croisées : http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1612
Pour conclure, j’aimerais dire que si les jeunes hommes des cités sont bien les enfants de leurs parents et que ceux-ci sont responsables d’une partie de leur éducation, ils sont aussi et surtout les produits de la société française. L’école républicaine ne leur enseigne pas les combats féministes, ne leur apprend pas que la société française est fondée sur le système patriarcal et que celui-ci détermine profondément les rapports sociaux de genre. Comme tous les hommes français, ils sont matraqués par des images télévisuelles, cinématographiques, publicitaires de femmes nues qu’on expose à longueur d’années pour vendre des savonnettes, des lames de rasoir ou des voitures. Des corps disponibles à la consommation masculine, des corps soumis. Dès lors, par quelle ruse les (se) convaincre que les corps voilés sont plus opprimés ?
Houria Bouteldja
Source ! newsring