Brendan McFarlane est aujourd’hui soulagé par la manière dont Steve McQueen a raconté la vie et la mort de Bobby Sands dans son film « Hunger », et il participe volontiers à des débats autour du film. Rue89 l’a rencontré à Paris où il venait de participer à la présentation de « Hunger » au Festival des 4 écrans, et il a pu voir l’impact du film: la salle est restée silencieuse, sous le choc, à la fin de la projection.
Aujourd’hui agé de 57 ans, devenu musicien et père de trois jeunes enfants conçus à sa sortie de quelque vingt années passées en prison pour sa participation à une action armée de l’IRA, Brendan « Bik » McFarlane rend hommage au « courage » de Steve McQueen.
Cet artiste britannique était encore jeune lors de la mort de Bobby Sands, en 1981, et pourtant, lorsque le prix Turner d’art contemporain lui a ouvert la porte de la production d’un film, il a choisi de raconter cette histoire que l’Angleterre préfèrerait oublier.
« Steve McQueen est indépendant, il est noir, il n’a pas de bagage à assumer dans cette histoire. Si le film avait été fait par un Irlandais, il n’aurait pas reçu le type d’attention qu’il a eu, la presse britannique l’aurait ignoré. Avec « Hunger », ça a été d’autant plus impossible qu’il a été primé à Cannes. »
Brendan McFarlane est accompagné ce jour-là par Jennifer McCann, amie d’enfance de Bobby Sands, ancienne prisonnière politique elle-aussi et aujourd’hui députée du Sinn Fein, l’aile politique de l’IRA, à l’Assemblée d’Irlande du Nord. Tous deux font partie du « Bobby Sands Trust », organisation gardienne de la mémoire du martyr de la cause républicaine. Jennifer McCann apprécie elle aussi « Hunger »:
« Le film n’offre pas d’explication politique ou de conclusion. Mais il ouvre la porte à des questions et c’est un premier pas vers un débat public sur l’implication de l’Etat britannique dans le conflit, les escadrons de la mort, la violence… Le film a des implications bien plus larges… »
Les souvenirs remontent. Le film a frappé Brendan McFarlane par le réalisme de la violence qui régnait dans la prison.
« Même nos proches qui savaient tout sont surpris par la violence recréée par Steve McQueen. Ils nous demandent, c’était à ce point-là? Oui, c’était comme ça, il n’a rien inventé. »
Et puis, ce souvenir impossible à effacer du jour de la mort de Bobby Sands.
« Un de mes meilleurs amis, qui se trouvait à trois cellules de la mienne, m’a fait passer un message pour me demander où il se trouvait dans la liste des volontaires pour se lancer dans la grève de la faim. Je lui ai répondu qu’il était numéro huit. Il m’a supplié de le faire remonter dans la liste. C’était ça notre état d’esprit, l’enjeu était trop important, nous n’avions pas le droit de perdre. »
Il y a pourtant, avec le recul d’un quart de siècle, une question que ne manquera pas de se poser le spectateur du film: tout cela valait-il la mort de Bobby Sands et de ses camarades?
La seule vraie scène politique du film, un dialogue entre Bobby Sands et un prêtre catholique venu le dissuader de se lancer dans une nouvelle grève de la faim, laisse la question en suspens, sous le poids respectif des arguments contradictoires.
Pour Brendan McFarlane, même vingt-sept ans après, la réponse ne fait pas de doute:
« Lorsque nous discutions entre nous de savoir s’il fallait lancer ce mouvement, nous savions qu’il y avait un risque d’y perdre des amis. Le problème n’était pas les conditions de détention, c’était un enjeu politique.
Nous avions le sentiment que nous n’avions pas le choix, en raison de la détermination de Maggie Thatcher à nous briser. Elle était déterminée à utiliser les prisonniers pour casser le moral de notre peuple. Nous n’avions pas d’autre arme que notre corps. Individuellement, et collectivement, nous savions que nous n’avions pas d’alternative. »
Pour Jenniffer McCann, qui a passé dix ans en prison, la grève de la faim de 1981 fut un tournant dans la lutte des républicains en Irlande du nord.
« Nous ne serions pas aujourd’hui dans l’exécutif d’Irlande du Nord sans le sacrifice des grévistes de la faim. Ils ont ouvert un chemin politique et ont permis les compromis qui ont permis le partage du pouvoir aujourd’hui ».
Aujourd’hui mère de trois enfants, elle se souvient en souriant d’une phrase que se disaient les républicains aux heures les plus sombres de leur lutte:
« “Les rires de nos enfants seront notre revanche”. Nous n’avons pas abouti en terme de réunification de l’Irlande, mais la guerre est finie, et nos enfants ne connaîtront plus les discriminations. C’est beaucoup. »
Pierre Haski
Source: http://www.rue89.com/2008/11/24/hunger-et-bobby-sands-notre-corps-etait-notre-arme