Face à la répression de l’Etat et à la violence qu’elle déchaine la lutte des Sans-Papiers est rude et ses moyens sont limités. Comme toute oppression grave, celle qu’ils subissent a pour objectif de les réduire au silence et de les invisibiliser. Refusant cette invisibilisation ils se sont organisé.e.s et ont mené plusieurs actions : manifestations chaque mercredi soir, des multiples rassemblements devant la Préfecture du Nord, des marches, des cérémonies de parrainages, des rendez-vous avec des élus ou des Maires et enfin plusieurs occupations pacifiques auxquelles la Préfecture a toujours répondu par un impressionnant déploiement de CRS, par des coups de matraques et des jets de gaz lacrymogène.
Depuis le 2 novembre dernier, expulsé.e.s de la Maison de la Médiation de l’Hôtel de Ville qu’ils ont occupée toute la journée, les militant.e.s Sans-Papiers ont décidé de mettre leur vie en danger en déclarant la grève de la faim et ce pour exiger leur régularisation immédiate par le Préfet. Le dimanche 25 novembre, toujours sans réponse de ce dernier, ils décident d’occuper le Temple de l’Eglise Réformée de Fives, situé au 165 rue Pierre Legrand à Lille, dans le but de faire constater leur situation de grévistes de la faim par les autorités sanitaires et d’alerter les médias et les soutiens.
Leurs revendication sont claires :
1. Que la Préfecture reçoive le CSP59 qui lui remettra la liste portée par la grève de la faim en vue d’une régularisation.
2. Le droit à la défense argumentée mensuelle par le CSP59 en Préfecture des autres situations.
Dans la nuit du 04 au 05 décembre, à partir de 20h, les Sans-Papiers grévistes de la faim ont été expulsé.e.s du Temple avec la complicité de ses responsables. Les soutiens présent.e.s sur place, dont je fais partie, ont alors assisté à des scènes d’une rare violence. Les Sans-Papiers dès qu’ils sortaient de l’Eglise s’installaient au milieu de la rue, enroulé.e.s dans des couvertures, dans le froid et sous la pluie. Plus d’une vingtaine de cars des forces de l’ordre dont le GIPN ont été déployés, le quartier quadrillé, les grévistes et les soutiens encerclés; nous étions totalement isolé.e.s. Plus tard dans la soirée, nous nous sommes faits repoussé.e.s vers une rue adjacente. Les grévistes, éparpillé.e.s par terre se faisaient jeter les uns sur les autres par les CRS, on les entassait comme du bétail sur le trottoir. Certain cas graves, nécéssitant une intervention urgente n’étaient nullement pris au sérieux par les Autorités sur place. Ni nos demandes répétées, ni nos cris de desespoir ne semblaient les atteindre. Les CRS et leurs chefs hiérarchiques continuaient de nous contempler placidement comme le colon qui contemple l’indigène agonisant et qui s’en réjouit.
Après plus de 2 heures, les grévistes se sont fait raccompagner par le SAMU jusqu’au Local des Sans-Papiers qui se trouvent à une centaine de mètres de L’Eglise évacuée.
« C’est la vie ou la mort » répétaient les grévistes, décidant ainsi de poursuivre coûte que coûte la grève de la faim. De ce fait, grévistes et soutiens ont rejoint par le métro les urgences de l’hôpital CHRB Calmette et ce peu avant 00h.
Vers 2h du matin, plusieurs d’entres eux/elles ont été évacué.e.s par le SAMU et éparpillé.e.s dans différents hôpitaux de la métropole. Dispatché.e.s de cette manière, la Préfecture joue la carte de l’épuisement des Sans-Papiers et de leur isolement pour casser la grève, mais c’est sans sans compter sur la determination des militant.e.s grévistes.
Jusque quand cela dura-t-il? Le Préfet daignera-t-il prendre au sérieux cette grève et les revendications portées par les militant.e.s Sans-Papiers? Ou alors, fidèle à une longue tradition colonial toujours aussi vivace en France paysdesdroitsdel’hommeblanc n’a t-il absolument rien à faire de leurs vies? On nous parlera encore et toujours des chiffres décidés par le gouvernement concernant les régularisations. On nous débitera la longue et interminable liste des critères. On nous citera les circulaires et les décrets… On fera passer les Sans-Papiers au mieux pour des voyous sinon pour des animaux sauvages et pour des barbares. On justifiera les centres de la honte qu’on euphémise en « Centres de Rétention Administrative ». Mais personne n’évoquera jamais les raisons qui nous amènent à quitter nos pays, nos familles, nos amis souvent au péril de nos vies pour atteindre l’Occident et affronter un douloureux exil. Personne n’évoquera jamais les conséquences désastreuses de la colonisation dans nos pays. De l’exploitation du Sud par le Nord qui se poursuit encore aujourd’hui à grand renfort de baionnettes et de canons ou encore de manière plus insidieuse à coups d’armes silenciseuses. Personne jamais ne parlera du continuum colonial ici. Aujourd’hui. En France.
On préfèrera ignorer qu’il s’agit bien d’Individu.e.s et non pas d’une masse uniforme d’anonymes. Qu’il s’agit de visages, de vies, d’âmes. Qu’il s’agit d’un geste desespéré mais ô combien digne.
La lutte pour la dignité est une lutte acharnée que les Sans-Papiers mènent avec courage et determination face à un système dont la somme des institutions, dont les valeurs et les croyances sont fondamentalement racistes. Un racisme systémique et institutionnel qui écrase, exploite, infériorise toutes les populations non-blanches de ce pays. Noirs, Arabes, Rroms, Asiatiques… subissent tous la condescendence de race et le pouvoir Blanc dans toute sa laideur. Cependant, si le non-blanc est en-dessous de la France d’en-bas, le Sans-Papier lui est relégué a une place plus inférieure encore. Il est nié dans son existence même pour mieux être exploité par le Patron et L’Etat qui le terrorise en toute légitimité. Ici les lignes de fractures raciales sont claires, lisibles et indéniables. La race crève les yeux mais tout le monde continue de faire semblant de ne rien voir.
A ceux et celles qui préfèrent ignorer ce que subissent les Sans-Papiers, qu’ils sachent que nous ne pardonnerons pas. Nous ne pardonnerons rien. Car il s’agit de nos vies, de la vie de femmes et d’hommes. Il s’agit de la mort de femmes et d’hommes. Les Sans-Papiers souffrent, c’est logique, historique, incontestable. Ils souffrent et leur colère est vraie. Leur combat est vrai.
Et que reste-t-il alors? étouffer les cris d’horreur? Le silence c’est la mort. Le silence c’est la résignation. Et les militant.e.s Sans-Papiers refusent de se résigner. Ils crient!
Leurs cris vous parviennent monsieur le Préfet et vous ne pourrez pas faire semblant de n’avoir jamais rien entendu.
Alors répondrez-vous enfin à la question que chaque gréviste de la faim vous pose: « Le Préfet veut-il ma mort? »
Nedjma Lounès