Pour ceux qui ne pouvaient y aller.

Youssef Boussoumah : « En matière de crimes policiers, la France est un pays de pointe »

La conférence organisée par le Parti des Indigènes de la République – Marseille – a fait salle comble dimanche soir dans les locaux de l’association La Mer Veilleuse et pour cause, il était question d’évoquer un sujet tabou, rarement mis sur le devant de la scène par les médias : « Les violences policières : une justice à deux vitesses ». Pour en parler, Walid Klai, porte-parole du comité de soutien d’Abdelhakim Ajimi, venu témoigner du combat mené pendant deux ans et demi par la famille pour tenter de mettre en examen les deux agents de la BAC ayant interpellé la jeune victime le 9 mai 2008 à Grasse. Youssef Boussoumah, historien et membre fondateur du Parti des Indigènes de la République, a quant à lui mis en évidence la responsabilité de l’Etat Français dans la multiplication des crimes policiers, qui s’inscrivent selon lui, dans un continuum colonial qui ne cesse de leur « coller à la peau ».

« En matière de crimes policiers, la France est un pays de pointe. Il y a eu prés de 300 morts de crimes policiers depuis 1977 à nos jours. 13 à 14 meurtres policiers chaque année. Un des taux des plus élevés des dites démocraties » analyse l’historien Youssouf Boussoumah. Les principales victimes ? « Une certaine catégorie de la population : les noirs et les arabes ». Abou Bakari Tandia (2005), Abdelhakim Ajimi (2008), Rabah Bouadma (2009), Mohamed Boukrourou (2009), Ali Ziri (2009), sont tous décédés suite à des interpellations par des agents de police. Ces victimes, enfants ou pères de famille ont tous pour point commun, celui d’être issues de la colonisation fait-on remarquer dans la salle.

Walid Klai : « On a eu à mener tous les combats »

Après avoir perdu un être cher, les familles des victimes ont un combat difficile à mener : faire face à une justice française souvent « complaisante et protectrice » à l’égard des agents de police, qui ne sont autres que « les longs bras de l’Etat » souligne l’historien, Youssef Boussoumah. Après avoir vécu les choses de l’intérieur, la famille d’Abdelhakim Ajimi et son comité de soutien dévoilent leurs expériences avec un certain recul. « Confrontés au dédale des procédures, à la pression, aux mensonges, on a eu à mener tous les combats » résume Walid Klai, porte parole du comité de soutien d’Abdelhakim Ajimi, visiblement marqué par ces deux ans et demi de lutte judiciaire. Un des premiers combats à mener fût d’interpeller les médias. « Ne vous trompez pas sur la manière dont cette affaire sera exploitée, leur a t-on-dit ». Une mise en garde qui a porté ses fruits puisque les média nationaux ont correctement traité cette affaire se satisfait-il. L’autre combat a été plus difficile. Confrontés à la police des polices et aux intimidations, la famille Ajimi et la vingtaine de témoins, ont tenu le coup pour tenter de mettre en examen les agents présumés responsables de la mort du jeune homme. Le 23 septembre dernier s’était chose faite. Les deux agents devront répondre de leurs actes devant le tribunal correctionnel de Grasse pour homicide involontaire. Avant que la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence prenne cette décision, la famille a dû lutter corps et âmes pour renverser la situation. Les deux agents avaient en effet été placés en position de témoins assistés en 2008, puis mis en examen en 2009, le juge chargé d’instruire le dossier avait ensuite rendu une ordonnance de non-lieu concernant les deux hommes en mai 2010, pour enfin être mis en examen le 23 septembre dernier. Les 5 policiers nationaux qui ont transportés Abdelhakim dans la voiture, ont également été inculpés pour non assistance à personne en danger. La date du procès n’est pas encore déterminée.

Deux ans et demi après la mort du jeune homme, l’émotion est toujours aussi vive. Surtout lorsque sont évoquées les conditions dans lesquelles Abdelhakim a été interpellé. « Il a subi quelque choses de très très violent. Les gens criaient : « il est mort », alors que les policiers le trainaient les pieds et les bras ballants vers la voiture. Pour ensuite être jeté comme un animal ». Des conditions d’interpellation dénoncées par la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) qui, dans un rapport de onze pages, n’avait pas hésité à les qualifier de « traitements inhumains et de barbarie » et pointant notamment du doigt « la clé d’étranglement », une technique d’immobilisation enseignée dans les écoles de police et qu’un grand nombre de pays européens ont interdit. Cette technique sert de « parade argumentaire » pour ces agents de la BAC qui tentent de se dédouaner de la mort d’Abdelhakim insiste Walid Klai. C’est pourtant cette clé d’étranglement qui est la cause du décès du jeune homme. Les rapports d’expertise des médecins légistes ont conclu à une mort lente par asphyxie et par compression du thorax et du cou. « Aujourd’hui, les agents ne sont même pas démis de leur fonction. Un citoyen prendrait la peine maximale. On subit une justice à deux vitesses » peste le porte-parole du comité de soutien.

« On devrait plutôt leur apprendre à préserver les vies. Faut-il peut-être leur apprendre à tirer dans les jambes ? » suggère l’historien, persuadé que ces crimes sont des crimes racistes. « Ce sont des homicides qui ne portent pas leurs noms » ajoute Djillali S. militant du PIR et animateur de cette conférence, faisant référence aux dernières affaires en cours et qui peinent à avancer. A l’image de l’affaire Ali Ziri, retraité de 69 ans « arrêté, menotté puis tabassé » pour avoir daigné s’opposer verbalement aux conditions d’interpellations dans lesquelles son ami Arezki Kerfali a été arrêté le 11 juin 2009 par la police d’Argenteuil. Un dossier que Youssef Boussoumah connait parfaitement bien pour être un des membres actifs du comité de soutien Ali Ziri. « Le premier rapport concluait à une mort provoquée par hypertrophie cardiaque. Après la pression faite par le comité de soutien pour que le corps ne soit pas immédiatement expédié en Algérie, une nouvelle expertise a infirmé le rapport. En réalité, le corps était couvert de 27 hématomes ». L’enquête avance tant bien que mal mais combien de familles n’ont pas les moyens financiers de poursuivre la lutte ? « Il n’est pas normal, dans une démocratie, de dépenser autant d’argent pour que la loi soit appliquée ». Puis, « toutes les familles n’ont pas la même patience. Beaucoup se sont résignées, les pressions étant trop fortes » insiste ce membre fondateur du Parti des Indigènes de la République.

Youssef Boussoumah : « Nous aurons encore à déplorer de nombreux morts de ce genre »

Comment expliquer la montée vertigineuse du nombre de personnes décédées à la suite d’interpellations policières ? Pour Youssef Boussoumah, le racisme structurel qui traverse la société, y est pour quelque chose. Un racisme qui serait selon lui, exacerbé par l’attitude de l’Etat Français, principal responsable de la multiplication de ces crimes. Les policiers, instrumentalisés, ne sont qu’un aboutissement du long bras de l’Etat » précise-t-il, persuadé que « ces meurtres démocratiques » n’auront aucune suite éducative » tant que l’Etat Français « néocolonial » n’aura pas fait son autocritique. Les massacres du 17 octobre 1961 sont à ce titre, révélateurs. « Il y a une omerta sur un meurtre public. L’Etat français a massacré des centaines d’algériens sans qu’aujourd’hui il éprouve la moindre repentance. Comment voulez vous que cet Etat soit critique face aux meurtres policiers ? » s’indigne-il. Et de poursuivre : « Il y a une longue pratique de la rafle dans ce pays. Nous sommes dans la continuité de cette approche coloniale », à l’image des propos tenus par Maurice Papon, alors Préfet de Police qui avait dit le 17 octobre 1961 : « je vous couvre quoique que vous fassiez » rappelle Youssef Boussoumah. « C’est ce que les policiers ont dans la tête. Le problème est là. Nous aurons encore à déplorer de nombreux morts de ce genre ».

« Pour une question de paix sociale, la justice n’osera jamais condamner des agents de police (…)

Pour une jeune femme du public, le véritable frein à l’établissement de la vérité, est la justice française. Pour une question de paix sociale, la justice n’osera jamais condamner des agents de police ; à moins que la mobilisation ne soit massive, analyse-t-elle. Pour mettre les chances de leur côté, elle appelle au rassemblement massif devant le tribunal correctionnel de Grasse lors du procès des deux agents de la BAC. Des départs en bus s’organiseront depuis Marseille, une fois la date du procès révélée.

Aujourd’hui, comment renverser la tendance ? Le contexte actuel n’est pas pour rassurer puisque la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité créée en 2000 et chargée de veiller au respect de la déontologie des personnes exerçant des activités de sécurité, va être supprimée. Un membre du public propose de créer des groupes de vigilance à l’image de ceux qui existent déjà aux Etats-Unis. Un autre suggère de répondre à la violence par une violence canalisée. « Les familles devraient arrêter de contenir les jeunes. A trop pacifier, on appelle à ce que cela se répète » lance un auditeur. Une analyse qui n’est pas partagée par la majorité des personnes présentes dans la salle et pour lesquelles la violence ne saurait que stigmatiser la même catégorie de la population. Pour Walid Klai, les solutions se trouvent essentiellement dans les mobilisations massives, dans les rencontres initiées lors de débats ou de conférences mais aussi dans l’interpellation des partis politiques « à qui l’on demanderait d’interdire cette fameuse clé d’étranglement » et de briser le mur de silence qui couvre toutes ces injustices. Faire du bruit passe aussi par la conscientisation politique des enfants issus l’immigration. « Investir les partis politiques et s’introduire dans les organismes de décision est essentiel » soumet une jeune femme.

Pour changer la donne, il faudrait également envisager un autre type de police propose Youssef Boussoumah. Cela passe notamment par la formation des policiers, dont les syndicats sont de plus en plus nombreux à vouloir dénoncer les pressions qu’ils subissent au quotidien pour remplir les quotas imposés par l’Etat et dont la politique du chiffre favorise les dérives policières. Pour un membre du public, la politique d’immigration est la cause de toutes ces tensions. C’est une politique qui façonne l’image de l’étranger. « Il ne faut donc pas parler de bavures policières mais d’un système contre lequel les citoyens doivent lutter ».

Les affaires se succèdent … et se ressemblent. La dernière en date ? L’affaire Mohamed Boukrourou, ce père de famille, décédé le 12 novembre 2009 dans un fourgon de police après un accrochage avec son pharmacien à Valentigney. Selon l’autopsie, il serait décédé des suites d’un stress extrême lié à une détresse respiratoire et d’un arrêt cardiaque. Or, la famille ne croit pas à la mort naturelle. En réalisant la toilette funéraire, la famille Boukrourou a découvert « un corps recouvert de contusions, un visage tuméfié, les lèvres fendues et la joue droite arrachée ». Djillali S. affirme que la famille est aujourd’hui confrontée à un mur de silence. « Il n’y a aucune nouvelle instruction. S’il n’y a pas de réponse de la justice, c’est bien qu’on vous a mis dans une catégorie » conclu-t-il. La famille organisera une marche silencieuse à Montbéliard, le dimanche 14 novembre à 14 h.

Henda Bouhalli

SOURCE : Med’in Marseille

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