Islam et anticolonialisme

Musulmans de France et d’Occident : une solidarité impérative, une responsabilité historique

L’agression israélienne a franchi un nouveau cap dans la brutalité. La tuerie à laquelle nous assistons est la pire perpétrée par Israël depuis la guerre de 1967. Non content d’avoir déjà causé la mort de centaines de personnes et de milliers de blessés en quelques jours, Tsahal se prépare à lancer une offensive terrestre.

Celle-ci se soldera par davantage de victimes civiles et transformera la bande de Gaza en un véritable enfer. A entendre les déclarations fracassantes des responsables politiques et militaires israéliens, l’armée ira jusqu’au bout, l’objectif étant de « nettoyer » le territoire. En clair, cela signifie que le pire est devant nous et que le terrorisme israélien n’est pas prêt de s’arrêter.

Dès lors, cette situation exceptionnelle nous amène à poser un certain nombre de questions de fond. Les territoires palestiniens vivent depuis plus de 60 ans sous occupation israélienne qui n’a jamais respecté aucune des résolutions des Nations Unies lui enjoignant de libérer ces territoires, conquis par la force. Cette occupation illégale s’est accompagnée de spoliations, d’humiliations, d’exactions, de confiscation de terres, d’assassinats etc. Ces dernières années, l’offre de paix arabe, proposée par la Ligue arabe sous l’égide de l’Arabie Saoudite a été ignorée, voire méprisée par Israël. Ce plan de paix comprenait tout de même la normalisation totale d’Israël avec tous les pays arabes en échange de la libération des territoires occupés depuis 1967, offre qui aurait pu permettre à Israël de vivre en paix et d’établir des relations normales avec son voisinage. Le refus des autorités israéliennes a été clair, laissant les Etats arabes dans l’impuissance et la perplexité. Aujourd’hui, Israël, croyant toujours à son invincibilité et sûr de sa force, lance une offensive militaire sans précédent dans la bande de Gaza pour venir à bout du Hamas et garantir sa sécurité. Dans les faits, ce carnage ne viendra pas à bout du Hamas et plongera Israël dans une nouvelle ère d’insécurité et de chaos. Chez les Palestiniens qui pleurent leurs morts, le désir de vengeance est immense, la haine déborde et la perspective de voir l’Etat hébreu comme un partenaire sincère pour la paix a complètement disparu. A l’heure actuelle, il ne fait aucun doute qu’à la moindre occasion, les attentats, opérations-martyrs et autres actions armées se multiplieront à l’intérieur même du territoire israélien et peut-être même ailleurs dans le monde.

Au vu des images retransmises dans le monde entier et qui démontrent l’incroyable agressivité des bombardements israéliens, une première question se pose : jusqu’à quand cette tragédie va-telle se poursuivre ? Quelle est la solution pour qu’enfin, ces deux peuples, palestinien et israélien puissent vivre en paix et en harmonie ? Il apparaît, au final, qu’une solution pacifique à ce conflit semble s’éloigner pour longtemps. Les Palestiniens ont tout donné et ont reçu des miettes en échange. Chassés de leur terre pendant la guerre d’indépendance d’Israël en 1947-1948, ils ont fini par consentir au plus douloureux des sacrifices, qui a été de reconnaître Israël lors des accords d’Oslo. Cette reconnaissance les a alors obligés à limiter leurs revendications aux territoires occupés depuis la guerre de Six jours (Jérusalem-est, la Cisjordanie et la bande de Gaza) qui ne représentent que 20% de la Palestine historique. Et les soi-disant accords et négociations menés avec Israël ne leur ont apportés que malheur, souffrance et injustice rendant la vie dans les territoires insupportable.

Alors que faire face à ce terrible spectacle ? Cette lettre s’adresse à tous les musulmans de France et, au-delà aux musulmans d’Occident. L’heure est grave et la situation doit nous interpeller au premier chef. Rester silencieux face à ce carnage c’est le cautionner partiellement. Rester muet face à son poste de télévision alors que toute une population est assiégée, affamée, mutilée, que des civils sont pris pour cibles, que des tonnes de bombes s’abattent sur le territoire le plus densément peuplé de la planète, que des mosquées sont détruites, que des familles sont décimées, en somme qu’un crime à grande échelle est perpétré en direct doit nous faire réagir de la manière la plus clairvoyante. La cause palestinienne mérite un soutien actif, déterminé et permanent. Les sources de l’Islam l’enjoignent et notre situation dans les pays d’Occident nous permet d’agir et de multiplier les actions de solidarité. La balle est dans notre camp et il est temps de se mobiliser au nom de la justice et du droit et également au nom de nos valeurs religieuses.

Car un musulman ne peut rester passif devant l’injustice, comme il ne peut rester insensible devant ce déferlement de violences. Dans un hadith rapporté par les deux recueils authentiques, le Prophète (que la Paix et la Bénédiction d’Allah soient sur lui) a dit : « les croyants ont, les uns pour les autres, de l’amitié, de la miséricorde et de l’affection et sont à l’image d’un organisme ; lorsque l’un des membres se plaint, l’ensemble réagit par l’insomnie et la fièvre ». Les sources scripturaires de l’Islam sont nombreuses quant au fait de porter assistance aux opprimés, aux faibles et aux victimes d’injustice. La vie du Prophète, tout comme les enseignements du Coran et de la Sunna, enjoignent au musulman d’ordonner le bien et de blâmer le condamnable, expression maintes fois répétée dans le Coran. Cette dimension constitue d’ailleurs une des caractéristiques du croyant sincère et il en est de même pour la fraternité et la solidarité. Allah dit dans le Coran : « Les croyants et les croyantes sont étroitement liés les uns aux autres par l’amitié et le soutien réciproque. Ils prescrivent le bien communément reconnu comme tel et proscrivent ce qui est unanimement réprouvé ([Coran, Sourate Le repentir (n°9), verset 71)] ».

Le drame et la barbarie auxquels nous assistons aujourd’hui doit donc faire du musulman un acteur engagé pour faire évoluer les consciences et soulager quelque peu la souffrance de ce peuple martyrisé. Ou qu’il soit, il a le devoir de s’engager pour modifier autant que possible le cours des choses. Dans un autre hadith rapporté par Muslim, le Prophète (PBAL) a dit : « Que celui d’entre vous qui voit une chose répréhensible la corrige de sa main ! S’il ne le peut de sa main, qu’il la corrige avec sa langue ! S’il ne le peut avec sa langue que ce soit avec son cœur et c’est là le degré le plus faible de la foi ([Hadith rapporté par Muslim, cité dans Riyad As Salihin, Le jardin des vertueux de l’Imam Mohieddine Annawawi, traduit par le Docteur Salaheddine Keshrid, Dar Al Gharb Al Islami, 1994.)]» .

Ainsi, invoquer le Très-Haut pour qu’IL soulage la détresse et la souffrance des Palestiniens est la moindre des choses à faire pour tout musulman soucieux du sort de sa communauté. Devant une telle situation où la colère se mêle au désarroi, il est du devoir de tout un chacun de se lever, de prier pour que cette brutalité cesse et même de multiplier les actes de dévotion à leur égard ([Ainsi, l’U.O.I.F (Union des organisations islamiques de France) invite les musulmans de France à jeûner le jeudi 1er janvier 2009, en signe de soutien aux Palestiniens.)]. Dans le même temps, il ne faut pas hésiter à prier pour que la résistance légitime des Palestiniens puisse venir à bout des attaques ignobles de Tsahal. Le retour à Dieu, surtout en période de guerre et de faiblesse, est la première des choses à faire. Elle est même la condition sine qua none pour qu’enfin, cette tragédie puisse aboutir à une véritable paix. Cette première étape en appelle d’autres.

Car, aujourd’hui, armés de cette compréhension des sources premières de l’Islam et conscients du potentiel qui est le nôtre en Europe, nous revêtons une responsabilité historique. Il revient d’abord aux citoyens français et européens de confession musulmane de brandir haut et fort la cause palestinienne. En effet, le conflit ne se règlera pas uniquement par la résistance des palestiniens fût-elle héroïque. L’ennemi est redoutable et dispose de bien de moyens de défense. Seule une action coordonnée et à grande échelle permettra de faire plier le gouvernement israélien et son armée. La résistance palestinienne doit se prolonger en France, comme partout en Occident, par des manifestations, des rassemblements, des dons humanitaires et des initiatives en tout genre. L’objectif étant d’alerter l’opinion publique et de faire pression sur les députés et les gouvernements pour que la France et l’Europe adoptent des postures beaucoup plus vigoureuses. La position de la France a été scandaleuse, elle qui, en tant que présidente de l’Union européenne, a honteusement proposé le rehaussement des relations entre l’Union européenne et Israël, confortant ainsi l’Etat hébreu dans sa stratégie criminelle d’étranglement de la bande de Gaza. Les musulmans de France et d’Occident se doivent de s’engager dans un véritable “Djihad citoyen“, mettant leur foi et leur liberté à contribution pour donner à ce monde un peu plus de conscience. Et ce même “Djihad citoyen“ doit se faire avec tous les êtres, toutes les consciences, quelque soit leur origine et leur appartenance religieuse, l’objectif étant tout simplement de faire appliquer le droit et de faire respecter la justice. A l’image du Prophète (PBAL), qui, revenant sur le pacte des vertueux (hilf al-fudûl) conclu avec des non-musulmans avant la révélation, l’avait ensuite approuvé et agréé.

La Palestine mérite un engagement massif. Car cette question va nous occuper pour longtemps. En effet, Israël, en s’attaquant de la manière la plus abjecte à Gaza, garde également un œil sur le Hezbollah libanais et surtout, sur le potentiel nucléaire iranien. Ainsi, beaucoup pensent qu’un nouvel affrontement avec le parti libanais est inévitable. Signe de leur intransigeance, les dirigeants israéliens étaient même sur le point de s’attaquer à l’Iran en mai dernier ([Cf. Israël aurait voulu bombarder les installations nucléaires iraniennes en mai, Le Monde, 26 septembre 2008.)]. La route sera longue car Israël a toujours cette illusion de croire que l’usage de la force assurera sa survie et sa pérennité surtout lorsque la communauté internationale la « couvre » par son silence et son impotence.

Le massacre actuel de Gaza fait suite à ceux de Jenine, Sabra et Chatilla, Deir Yassine et à bien d’autres. L’histoire se répète et c’est comme si le monde, qui vient de célébrer les 60 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ne tirait jamais les conclusions des tragédies passées. A l’heure ou les populations arabes étouffent sous des régimes qui dévoilent au grand jour leur soumission à Israël, il est du devoir impératif des musulmans français et d’Occident de réfléchir, d’agir et de s’engager pour que cesse cette catastrophe. Ainsi, lors des prochains rassemblements et manifestations qui auront lieu en France, les musulmans devront descendre dans la rue par dizaines de milliers pour témoigner de leur fraternité et être à la hauteur de leurs principes. L’enjeu est d’importance, il en va du devenir de la conscience musulmane.

Il y a un peu plus d’un siècle, en 1897, Théodore Herzl, fondateur du sionisme, avait, lors du premier congrès juif mondial à Bâle, tenu ces propos : « A Bâle, j’ai créé l’Etat juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, un rire universel serait la réponse. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante ans sûrement, tout le monde comprendra » (Cité dans Les 100 portes du Proche-Orient, d’Alain Gresh et Dominique Vidal, Editions de l’Atelier, 1996). Cinquante ans et neuf mois plus tard, en effet, l’Etat d’Israël voyait le jour. Alors, à nous aujourd’hui de tout faire et de se promettre que dans un avenir proche, un Etat palestinien verra le jour.

Ennasri Nabil, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il est également membre du Collectif des Musulmans de France.

Ennasri Nabil

Ennasri Nabil, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il est également membre du Collectif des Musulmans de France.

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