Il faut en finir avec l’Islam de France

Le gouvernement l’a de nouveaux dit, il faut un Islam de France. Bigre ! Encore un énième machin construit par l’état et complètement déconnecté des musulmans vivant en France ? Sans doute. Mais cela apparaît dans un contexte de répression accentuée. Les récentes déclarations de Manuel Valls concernant la fondation de l’Islam de France augurent une accentuation de la répression généralisée à l’ensemble des musulmans et des mouvements indigènes autonomes qui s’opposent au pouvoir.

Avant d’aller plus loin, posons le contexte. Qu’est-ce que l’islam de France ?

Si je vous dis « c’est la voiture de Julie » vous comprenez que la voiture appartient à Julie et que cette dernière peut en faire ce que bon lui semble. Ben Islam de France, c’est presque pareil. L’Islam est un objet qui appartient à la France, en l’occurrence l’État français. Parler d’Islam de France, c’est dire que l’Islam n’appartient pas aux musulmans (mais peut-il « appartenir » à quelqu’un ?) mais à l’État et que ce dernier est légitime à en faire ce qu’il veut des musulmans et de l’organisation censée les représenter (nous reviendrons là-dessus plus tard).

 

Cet Islam de France est donc bâti en l’absence de la quasi-totalité des musulmans et contre eux. Le fait que le chef de l’état et des ministres proposent qui doit en être à la tête en est un signe. François Hollande propose Chevènement (quoi de mieux d’un ancien préfet en Algérie française pour reprendre les recettes de la gestion coloniale de l’Islam et des musulmans ? C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures n’est-ce pas ?) Quand à Rossignol (vous savez la ministre qui dit que les femmes voilées sont comme des esclaves « nègres » avides de leur soumission) elle a fait sa liste de Noël : il faut une femme, d’origine musulmane et laïque puis propose Rachida Dati comme poulaine. Ne vous plaignez pas on a échappé à Chalghoumi. Notons au passage que les afficionados de la laïcité (vous savez ceux qui piquent des crises d’angoisse dès qu’un musulman demande à bénéficier de ses droits) n’ont rien dit sur le fait que l’état choisisse qui doit représenter les musulmans, comme à leur habitude dès qu’il s’agit de mettre au pas de l’état français les musulmans.

 

Cette fondation de l’Islam de France serait donc bien partie pour être un nouvel échec du gouvernement français et ce pour plusieurs raisons.

 

D’abord le fait que l’État choisisse avec qui il veut discuter, ce qui est problématique mais le devient encore plus quand il impose des critères qui font que le représentant des musulmans, choisi par la république mais pas les musulmans, dira plus ou moins ce que veut entendre le gouvernement et sera une fois encore totalement déconnecté du peuple musulman de ce pays. En même temps, je crois que les musulmans ont quelques doléances à faire au gouvernement concernant son action à son endroit et que ce dernier ne veut pas les entendre puisqu’il sait que ça ne sera pas forcément gentil-gentil pour lui. Pour le pouvoir, ce représentant des musulmans n’est pas là pour faire valoir ce que veulent les musulmans mais au contraire sera un caïd de la république qui demandera aux musulmans de bien se tenir et de chanter la Marseillaise entre une perquisition et un bombardement français dans un pays musulman.

 

Ensuite, l’idée même qu’il puisse y avoir un représentant des musulmans vivant en France n’est pas matériellement possible. Le principal problème vient du fait que les dirigeants français s’imaginent que toute religion est comme la religion catholique, avec un clergé, une hiérarchie, une sociologie identique. Or cela n’est pas le cas. Pris dans une vision monolithique et européocentrée du religieux, les dirigeants français proposent de créer une structure pour tenter de faire entrer les structures sociales musulmanes dans un moule qui convient à leur vision. En un mot, les gouvernements français se comportent comme un enfant voulant faire entrer la pièce carrée dans le trou rond d’un jeu pour bébé avec les mêmes résultats : même en tapant fort ça ne rentre pas.

 

On pourrait se demander si les dirigeants français sont idiots au point de créer un nouveau bidule inutile ? Ne voient-ils pas qu’en se fabriquant une représentation des musulmans à leur convenance, cette dernière n’aura pas la moindre légitimité aux yeux des musulmans et ne sera jamais prise au sérieux par eux ? Mais ce sont à mon avis de mauvaises questions : D’une, car ils ne sont pas idiots, de deux car l’état français se moque de ce que pensent les musulmans (s’en est-il déjà soucié ?). Il est intéressé par ce que pense l’opinion publique blanche rien de plus. Au mieux, avec la fondation de l’Islam de France, il lui donnera l’impression de faire quelque chose, au pire, l’état intégrera cette fondation à son appareil répressif en décrétant des « bulles papales laïques » et justifiant la répression d’état et les violences subies aux musulmans ne les respectant pas. Le « grand pape des musulmans de la république » Chevènement ne vient-il pas de demander aux musulmans de se faire discret ? Que dira-t-il à une femme voilée venant de subir une agression ? Qu’elle aurait dû se faire plus discrète ?

 

À dire vrai, les musulmans s’organisent d’eux même à leur manière. Certains organisent la lutte contre l’islamophobie et l’action du CCIF a fait que la ministre Rossignol a dû rendre des comptes sur les politiques islamophobes français à l’ONU. Les médias communautaires musulmans existent aussi et c’est, par exemple, grâce à eux, en 2014 lors des manifestations contre les bombardements de Gaza, que le mensonge d’état concernant l’attaque de la synagogue rue de la roquette a pu être mis à mal. Le rassemblement annuel des musulmans de France est organisé par de nombreuses d’associations formant l’UOIF. Des associations humanitaires musulmanes, telles que BarakaCity, agissent tant au niveau national qu’international. Bon an, mal an, certains s’organisent en tant que citoyens avec l’espoir de pouvoir vivre paisiblement en facilitant leur intégration, d’autres en tant que musulmans afin de pouvoir vivre pleinement leur religion. Alors pas organisés les musulmans ? Si nous le sommes, certes avec des lacunes, mais il y a des organisations musulmanes qui agissent avec plus ou moins d’autonomie vis-à-vis de l’État et ce qu’entend ce dernier quand il parle d’organiser les musulmans, c’est la mise au pas, l’asservissement, la chalghoumisation de tout le florilège d’organisations musulmanes : l’Islam sera perçu comme organisé que lorsqu’il sera un moyen efficace de contrôle de la population musulmane en France par la puissance publique, comme au temps de l’Algérie coloniale.

 

Je ne sais pas s’il faut une organisation de l’Islam en France – est-ce opportun ? – Mais je sais que sans une autonomie de son agenda politique cette organisation sera une coquille vide. Que si elle cherche à plaire au prince, elle ne pourra le faire que genoux à terre car c’est ce que souhaitent le prince. Que si elle ne représente pas toutes les formes d’islam pratiquées en France elle sera un instrument de division. Que si elle n’a pas le cran et l’audace de froisser l’État français, d’exiger ce qu’exigent les musulmans à savoir la lutte contre l’islamophobie et pour notre dignité, pour la liberté d’organisation et de définition religieuse sans interférence étatique, sans cette base minimale cette organisation, si elle voit le jour, sera un échec. Cette organisation des musulmans en France, si elle voit le jour, pourrait être une réussite si elle offre aux musulmans la possibilité de participer pleinement à la transformation de la société et de proposer des alternatives politiques, pour eux-mêmes et pour les autres. C’est-à-dire qu’elle ne doit pas se contenter de la revendication minimaliste consistant à dire que les musulmans ont le droit de vivre comme ils le souhaitent dans une société dont les règles sont définies sans eux (et souvent contre eux), mais qu’elle doit nous permettre de participer à la définition de ces règles à partir de nos références. Le monde blanc demande souvent aux musulmans s’ils reconnaissent une part de francité en eux, il serait bon de lui demander si lui reconnaît sa part d’islamité que nous avons apporté.

 

Atman Zerkaoui, membre du PIR

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