Un professeur protégé par son administration

Encore deux poids, deux mesures…

Mars 2009. Des événements très lourds se déroulent ces jours-ci dans un lycée professionnel du Val d’Oise. Etablissement établi dans la banlieue parisienne, il regroupe des adolescents – que des garçons – dans des filières industrielles sans grand avenir. Les taux d’absentéisme y sont prodigieux…

Une altercation entre un assistant d’éducation et un prof vient de faire surgir à la surface de l’institution l’étrange comportement de l’enseignant.

La première alerte fut donnée peu avant les vacances de printemps 2009. Des élèves Bac Pro signale à leur prof de français que l’un de leur professeur vient de répondre de manière révoltante à une question de cours. Interrogé sur la double distributivité par ses élèves, cet enseignant répond : « Je ne connais pas la double distributivité mais je connais la double pénétration ».

Il ne l’aurait pas dit à des élèves de Neuilly, murmure-t-on dans la salle des profs. Le proviseur saisi estimera que le terme double pénétration ne suffisait à faire sanctionner l’enseignant.

Précisons qu’un élève, en particulier en banlieue, qui aurait parlé de la sorte en classe aurait été impitoyablement puni et trainé au conseil de discipline (dans lequel d’ailleurs le professeur en question siège en tant que délégué du personnel…) conseil tenu illico presto où l’on aurait fait pleurer sa mère.

Est-ce un dérapage malheureux du prof un jour de déprime ? Il apparaît à la lecture de nombreux témoignages d’élèves – sur lesquels nous reviendrons – qu’il s’agit plutôt d’un comportement systématique de la part du leader enseignant de l’établissement.

L’altercation se déclenche tandis qu’un prof de français, recueille ce premier témoignage des élèves en présence d’une CPE. Au même moment donc, il semblerait que cet enseignant dans les bureaux de la Vie Scolaire provoque un jeune assistant d’éducation. Ce dernier, excédé déjà depuis longtemps par le comportement harcelant de l’enseignant, menace de lui casser la gueule et l’invite à sortir pour se battre.

Mais le professeur préfère se rendre à la police et porter plainte contre le surveillant pour menaces de mort.

Conséquence immédiate : l’assistant d’éducation (27 ans) est mis à pied et attend chez lui son licenciement. Ses collègues de la Vie Scolaire écrivent au proviseur une lettre pour le soutenir : « l’ensemble du personnel Vie Scolaire tient à vous exprimer sa solidarité avec notre collègue dans la situation qui le touche aujourd’hui. En effet, il a toujours été un très bon élément de notre service, (…) bon médiateur et communique avec une très grande facilité avec nos élèves. (…) efficace, irréprochable, souriant et disponible, sa bonne humeur est communicative. » Ces salariés, tous précaires, tentent dans ce courrier d’infléchir la décision du proviseur.

Les élèves, de leur côté, trois cents inscrits environ, prennent tous le parti du surveillant. Issu comme eux d’une cité de banlieue parisienne, autodidacte après des années de galère, arrivé à la fac de Nanterre par la force du poignet, un modèle pour ces jeunes, est menacé de licenciement à deux mois de ses partiels : ils l’estiment et le respectent. Et pour la première fois de l’histoire des banlieues récente on assiste à la mise en place d’une action de solidarité des jeunes en faveur de ce surveillant, non-violente et responsable.

Première étape : ils rédigent des témoignages à l’adresse du proviseur dont voici quelques extraits : « Nous, élèves de la Terminale BAC PRO…, voudrions vous signaler le comportement de notre professeur Untel parce que les évènements se cumulent dans notre classe et nous pensons maintenant que nous devons nous exprimer collectivement à ce propos. Et nous aurions dû vous informer de ça depuis bien longtemps. Et si nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent, c’est parce que nous avions peur d’avoir des représailles de Mr Untel. Car il nous menace de nous saboter le CCF ( Contrôle Continu en Formation (ndlr). Dès le début de l’année, il nous a dit que dès que nous rentrions dans sa classe, nous n’étions plus en démocratie mais en monarchie, et que c’est lui qui fait ses propres lois. Il a même ajouté que dans sa classe, les lois n’étaient pas les mêmes que dans l’ensemble du lycée. Donc dans sa classe, nous vivons un régime particulier. Il se permet régulièrement de nous dénigrer, de nous écraser verbalement et de nous provoquer. Par exemple, un jour, il a dit à E. (un antillais ndlr): « Moi, les noirs, je les appelle pas les noirs, je les appelle les nègres ». Il a dit à M.A. qui lui demandait « Est-ce que c’est parce que vous n’aimez pas ma tête que vous me virez ? » Mr Untel a répondu : « Oui et dorénavant ce sera comme ça à chaque cours ». Il a dit à T.A. (un jeune maghrébin – ndlr): « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux qu’on s’embrouille ? ». Très souvent, il nous pousse à la faute parce qu’il prend le plaisir à nous punir. C’est le professeur du lycée qui punit le plus souvent gratuitement et qui même invente des motifs de punitions. Nous aimerions que cette situation cesse parce que le comportement de Mr Untel continue d’être insultant comme nous vous l’avions signalé avant les vacances à propos du fait qu’il nous avait parlé de la « double pénétration » en classe. » Tous les élèves de la classe signe ce texte.

A la suite de cette classe, une autre, Terminale BEP témoigne à son tour et rédige cette lettre au proviseur : « (…) nous comprenons la réaction de notre surveillant (…) il avait dit d’une surveillante – africaine ndlr – qu’elle avait « un cul grand grand comme un porte-avion » (…) Il avait dit en classe : « Moi Untel j’ai un gros sexe », et dans une équation au tableau il a écrit ma copine est bonne .
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On a rien dit car on avait peur de lui (…) Ce professeur a dit aussi à B. (un jeune black -ndlr) qui lui avait présenté un travail bâclé : t’as fait un bon travail d’arabe et en regardant les élèves arabes il a rigolé. A deux élèves qui parlaient au fond de la classe, il leur a dit : moi aussi je te nique ta race ». En plus, il fume dans le lycée et à nous il fait des grands discours sur le règlement intérieur. (…) Nous vous demandons de pardonner à notre surveillant et de le garder dans le lycée car nous sommes sûrs que ce professeur l’a provoqué comme il fait toujours. » Tous les élèves de cette classe signe ce texte.

Des élèves de cette classe écrivent un second texte : « Il a dit à S.B. (un africain ndlr) qui lui demandait d’arrêter de lui parler comme à un chien, Mr Untel a répondu : « mais tu es un chien. »

Une autre classe témoigne encore, des secondes Bac Pro, en ces termes notamment : « Monsieur Untel a un comportement provocateur et humiliant, il n’hésite pas à rabaisser les élèves qui n’ont pas compris un exercice (…) Il se permet de parler au féminin aux élèves ayant des cheveux longs (…) Il téléphone et envoie des SMS en cours (…) Tous les élèves de ce groupe signent ce texte.

Aux attestations collectives se joignent des attestations individuelles, comme celle de T.A. : « (….) Récemment, il m’a dit en me provoquant : « est-ce que tu veux qu’on s’embrouille ? » Il voulait que je le tape dans le lycée pour me faire exclure. Et plusieurs fois quand je lui proposais de parler avec lui, il me répondait : « non, on parle pas, dans ma classe c’est une dictature ». Je vous prie d’excuser notre surveillant car Monsieur Untel s’amuse à mettre les gens sous pression. »

Comme celle de M. (un africain – ndlr) : « Monsieur le Proviseur, je veux vous dire que je me suis auto-exclu du cours de Monsieur Gauthier car je n’en pouvais plus de ses provocations ».

Comme celle de la mère de M. qui raconte son entrevue avec l’enseignant dans le bureau du proviseur : « Mon mari et moi avons été amenés à demander un rendez-vous à Monsieur le Proviseur du lycée en raison de la ségrégation pratiquée par Monsieur Untel à l’égard de notre fils (…) – comme on l’a vu dans le courrier de la classe, M. était systématiquement exclu ndlr – A la demande de mon fils qui ne comprenait pas ces exclusions, Monsieur Untel a répondu que sa tête ne lui revenait pas, et qu’il serait exclu des cours quand l’envie lui prendrait (…) En cas d’absence,(mon fils s’était cassé la clavicule au début du premier trimestre) les contrôles ont été systématiquement notés à 0. Les contrôles exécutés les jours de grève des transports étaient rattrapés pour les autres, et notés à 0 pour mon fils (…) il y avait une injustice criante (…) dénoncée par Monsieur le proviseur. Monsieur Untel s’est alors montré méprisant, arrogant et insultant à notre égard. Il s’est permis de quitter le rendez-vous sans un mot à la grande surprise et au grand désaccord du proviseur. »

2ème étape : tous les élèves du lycée signent la pétition suivante, classe par classe : « Nous, élèves du lycée… nous soutenons notre surveillant qui risque de perdre son travail à cause de Monsieur Untel. Notre surveillant a toujours eu avec tous les élèves un comportement irréprochable, et ce qui lui arrive est très injuste. »

Le proviseur réagit à ce courrier en reportant une seconde fois sa décision finale !

3ème étape : Dès lors, ulcérés, le mardi 17 mars, l’ensemble des élèves de ce lycée professionnel après avoir déposé quinze préavis de grève pour la journée en provenance de quinze classes quittent l’établissement dans le plus grand calme, marée humaine pour la justice, sans crier, sans courir, sans parler, ils passent la grille du lycée et rentrent chez eux. Pas de casse.

Réaction de l’administration : des coups de fil en masse sont passés aux parents, pour dire à certains: que la grève n’existe pas et que leur fils est sorti seul de la classe… ou que la grève n’est pas légale ou que le stage professionnel sera supprimé en représailles ou que… des mensonges… Mais les jeunes, pourtant incompris par leurs parents, parfois frappés, ne cèderont pas et malgré la puissante machine mise en œuvre pour pressurer les familles, la grève est un succès total : 95% de participation.

Quinze enseignants (sur quarante environ) signent le même jour le texte suivant : « Nous avons assisté aujourd’hui au départ des élèves qui s’étaient mis en grève suite aux menaces de licenciement concernant l’assistant d’éducation. Depuis plusieurs jours, la tension est très vive dans les rangs des élèves et nous estimons que leur choix de partir et de quitter les lieux était préférable à un climat qui aurait pu dégénérer. »

Réponse du proviseur, affichée dans le hall et dans la salle des profs : « Mesdames, Messieurs, notre lycée supporte actuellement un climat délétère lié aux rumeurs de tout ordre qui circulent au sujet d’un professeur de maths-sciences physiques ainsi qu’au mouvement d’humeur de certains élèves (…) Je n’ose penser que nos élèves ont été volontairement manipulés par certains adultes de l’établissement (…) vous devez adopter une attitude d’exemplarité et de discernement face à ce type de situation (…) Nos élèves ont besoin (…) de toute notre attention, de tous nos efforts pour qu’ils puissent travailler sereinement dans un climat propice à leur réussite.»

Le 12 mars, quelques jours auparavant, 19 profs avaient eux-mêmes été l’auteur d’une pétition de soutien au surveillant : « Nous, personnels enseignants du lycée…, souhaitons par cette lettre apporter notre soutien à notre jeune collègue assistant d’éducation. Ce jeune homme a toujours eu envers nous un comportement exemplaire et chaleureux. Par rapport aux élèves nous avons constaté qu’il savait être à leur écoute et qu’il savait régler par son professionnalisme des situations qui auraient pu dégénérer. C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir étudier avec la bienveillance requise son retour le plus rapide possible, afin que la sanction ne paraisse pas démesurée par rapport aux faits qui lui sont reprochés. »

Le 10 février précédent, une enseignante signale par écrit au proviseur en sortant d’un conseil de classe : « Je tiens à vous faire part de ces faits qui se sont déroulés lors du conseil de classe de la Terminale Bac PRO (qui avait eu lieu la veille – ndlr) et qui m’ont profondément choqués. Monsieur Untel, une fois encore, s’est distingué par des appréciations sur les bulletins des élèves d’un caractère humiliant, fortement connotées et touchant au droit de la personne (…) »

Finalement, le vendredi 20 mars 2009, assisté d’une prof de français, l’assistant d’éducation est reçu dans le bureau du proviseur pour s’entendre signifier la décision définitive. Après un chapitre vantant les mérites du jeune homme, à ses yeux incontestables, ce qu’il avait à plusieurs reprises reconnu maintes fois auprès de différents interlocuteurs, le proviseur du lycée remercie l’assistant d’éducation pour les services rendus et lui transmet de la main à la main une lettre de licenciement : « Au cours de l’entretien préalable en date du 10 mars 2009, je vous ai demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l’auteur, à savoir : menaces de mort à l’encontre de Monsieur Untel (…)Ces faits constituent une faute grave, par votre comportement vous donnez aux élèves un exemple déplorable (…) Je suis contraint de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre établissement. Par la présente, il vous est notifié votre licenciement sans préavis ni indemnité de rupture. »

Le proviseur, qui agitait nerveusement son pied sous le bureau, se montra même très généreux en proposant au surveillant un poste dans un collège à côté (ce qui laisse perplexe : il aurait donc défendu la candidature d’un « menaceur » de mort ??). Poste, on le savait déjà, de toute façon incompatible avec l’emploi du temps de l’étudiant…

Quant à Monsieur Untel, il est toujours là, fidèle au poste, avec son petit sourire nuisible, hautain, répétant à l’envie : « Je me suis sacrifié pour ce lycée, j’ai tout donné, corps et âme… »

Comment les élèves vont-ils réagir en apprenant le licenciement du surveillant ? Les professeurs qui soutenaient le jeune homme vont-ils participer à la grève de protestation prévue pour le lundi 23 mars ?

A suivre… A l’aide !

Farid Taalba

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