Communiqué

Dieudonné, les Juifs et Nous

1/ Dieudonné est à Valls, ce que Tariq Ramadan fut à Sarkozy : une pièce maîtresse de sa stratégie de conquête du pouvoir. Désormais, tout prétendant sérieux à la magistrature suprême, pour ses noces avec la république, sait qu’il est rentable d’exhiber la tête d’un indigène insoumis. Chacun son safari.

La virile arrogance de l’indigène Dieudonné qui défie le pouvoir de l’Etat apparaît ainsi comme une divine opportunité sur le chemin qui mène à l’Elysée. Mais, ersatz de Sarkozy et piètre stratège, le Torquemada de la chasse à la quenelle semble bien s’enfoncer dans un bourbier dont on ne voit pas comment il pourrait se sortir indemne. En effet, Dieudonné brasse plus large que le simple peuple indigène. Il emporte avec lui l’adhésion d’une grande partie d’une opinion publique exaspérée par l’incurie de l’équipe au pouvoir. Valls, malgré le repli de son adversaire, remporte une victoire à la Pyrrhus et commet ici une faute qui, on l’espère, lui sera peut-être fatale.

2/ Pour autant, et s’agissant de l’un des acteurs principaux de ce vaudeville tragi-comique – un Noir – il n’appartient pas à l’establishment de définir ce qu’est un bon ou un mauvais nègre. Pendant de trop longues années, nous avons du subir les prestations d’indigènes parachutés et agréés par le « système » : policés, consensuels, « laïcs », « féministes », musulmans modérés, républicains, en un mot nègres de maisons. Dieudonné est l’antithèse du bon indigène. Il est même le fils naturel non désiré de cette politique. Il est tout ce que l’humanisme blanc réprouve. En prenant pour cible les Juifs, il fracasse tout l’édifice moral où siège la bonne conscience blanche.

3/ Les occasions (ratées) où l’émotion des élites et des grandes âmes auraient pu s’exprimer furent fort nombreuses ces trente dernières années (crimes policiers, racisme d’Etat, islamophobie, racisme anti Rroms, raids israéliens, opérations militaires impérialistes…). Il se pourrait bien que le philosémitisme suspect et gluant qui imprègne la morale blanche ait rencontré ses limites historiques et révélé sa vacuité.

4/ Les ressorts principaux de l’« engrenage concurrentiel » entre communautés ne sont pas à chercher du côté des victimes du racisme mais d’abord du côté des logiques d’un système basé sur les hiérarchisations ethniques et du côté des politiques concrètes de ceux qui dominent. Le traitement privilégié dont bénéficie la répression de l’antisémitisme par rapport aux autres racismes contribue à creuser les oppositions entre les différentes composantes de la société française, désignant les Juifs à la vindicte des plus défavorisés dans la hiérarchie des racismes. Au bout de cette logique,  on voit se profiler une offensive raciste contre les jeunes indigènes en les accusant d’être le vecteur d’un nouvel antisémitisme. On prétend se faire défenseurs des Juifs tout en se servant d’eux (avec la complicité de la majorité sioniste et/ou réactionnaire d’entre eux) comme d’une batte de baseball pour frapper les Noirs et les Arabes.

5/ « L’antisémitisme postcolonial », dont on accuse les nôtres aujourd’hui, est un leurre qui ne repose aucunement sur l’exercice effectif par ceux-ci d’une domination statutaire sur les juifs. De ce point de vue, combattre le racisme édenté de certains des nôtres, premièrement, est notre affaire à nous, deuxièmement, est une tâche effectivement importante, non pas, surtout pas, pour rassurer ou plaire aux Blancs mais pour nous décoloniser nous-mêmes et refuser notre intégration à la filiation idéologique de l’antisémitisme européen. En un mot, sortir d’une forme de compréhension du monde qui nous mènerait directement à des impasses politiques. Ceci appelle notamment une lecture décoloniale de la Shoah [1], cette religion civile européenne [2].

6/ Nous condamnons toutes les censures passées et futures à l’encontre de Dieudonné. Non pas par attachement excessif à la liberté d’expression mais parce que la liberté d’expression raciste est pratiquée avec une telle passion en France (nous ne sommes pas prêts d’oublier l’affaire des caricatures du Prophète) qu’il serait malséant de museler l’expression d’un « antisémitisme postcolonial » – qui bien qu’obscène et insensé ne trouve aucun soutien dans les sphères du pouvoir ou de l’Etat.

Nous nous sommes déjà exprimés sur le phénomène Dieudonné [3] et l’avons analysé pour ce qu’il est : une entreprise intégrationniste qui se déploie à la faveur des effets du champ politique blanc. Ses causes trouvent leur source dans :

1/ l’incapacité des mouvements blancs de transformation sociale à saisir le racisme en tant que système en le cantonnant à une approche morale plutôt que de procéder aux révisions douloureuses qui s’imposent. Ainsi ils font le choix conservateur de l’entre-soi blanc et au nom de leur unité marginalisent systématiquement les questions indigènes.

2/ la crise du mouvement pro-palestinien pris en otage par les grandes organisations de la gauche blanche, profondément préoccupées par leur respectabilité, complaisantes avec le sionisme de gauche et inquiètes de la trop grande ferveur antisioniste de la jeunesse des quartiers. Il est temps de comprendre qu’Israël n’est pas sacré. Nous n’avons pas à porter la culpabilité d’un Occident qui a tenté d’exterminer les Juifs. Il faut s’opposer à Israël en tant qu’Etat colonial et raciste.

3/ l’incapacité des mouvements de l’immigration, malgré une progression significative des résistances, à proposer une stratégie antiraciste autonome et unitaire.

4/ à une analyse erronée et indigente du sionisme partagée par une importante partie de la famille antisioniste et qui résiste à l’idée qu’il est d’abord un produit de l’impérialisme occidentale et non son origine. Le sionisme est un tentacule de la pieuvre impérialiste mais pas la pieuvre à lui tout seul. C’est ce qui donne du crédit à la thèse soralienne d’une France occupée par le sionisme. Cette analyse détourne du combat réel de l’occupation de la Palestine et innocente le reste des nations impérialistes qui n’ont pas besoin du sionisme pour piller l’Afrique et ouvrir les veines du tiers-monde.

…et ses conséquences sont multiples :

1/ Une trahison des luttes anticoloniales et des immigrations. Dieudonné, par ses frasques,  menace sérieusement tout l’édifice idéologique, notamment l’idée d’antisionisme, patiemment mise en place depuis plusieurs décennies par les milieux de l’immigration. Dieudonné apporte ainsi un formidable coup de main à la démonisation de la campagne BDS en faisant ce que les sionistes font déjà : faire coïncider toute dénonciation d’Israël à un règlement de compte anti-juif.  Ainsi, il valide l’équation : antisionisme = antisémitisme.

2/ A travers l’adhésion d’une partie des nôtres à l’idéologie nationale-impérialiste, à laquelle travaille Alain Soral, prend forme une alternative de droite opposée au projet d’intégration/assimilation « universaliste » porté principalement par la gauche. De la même façon que nous refusons de nous laisser piéger par la rhétorique du moindre mal ou du  « moins pire » (portée principalement par le PS) comme seul barrage possible aux courants les plus racistes de la scène politique française, nous refusons également l’idée immorale et suicidaire selon laquelle il faudrait s’allier avec les pires courants nostalgiques du temps béni des colonies pour sanctionner les partis qui, depuis des décennies, mènent une politique raciste et apportent leur appui à l’État sioniste et à la politique occidentale de domination et de destruction politique, économique et culturelle du monde.

Dans les deux cas, nous n’existons pas pour nous-mêmes mais comme enjeu des batailles que se livrent la droite et la gauche et les différentes tendances en leur sein. Le bras de fer Valls/Dieudonné serait jouissif si ses dividendes n’étaient pas engrangés par les franges les plus racistes et colonialistes du champ politique français.

Pour conclure, nous ne participerons à aucune chasse à la quenelle décrétée par un ministre de l’intérieur islamophobe, philosémite de circonstance et « éternel » ami d’Israël. Ce triste sire n’est pas qualifié pour donner des leçons d’antiracisme à Dieudonné et ses aficionados. Nous ne nous soumettrons pas non plus à l’injonction de crucifier Dieudonné sur l’autel de la respectabilité au prétexte de son infréquentabilité. Nous sommes trop familiers de l’immoralité du pouvoir et d’une grande partie de l’opposition pour nous émouvoir de celle d’un clown. En revanche, Dieudonné qui est d’une part un frère de condition mais aussi un indigène doué d’un libre arbitre peut faire le choix de prolonger sa servitude ou s’en libérer radicalement. A l’instar d’un Malcolm X qui, après des débuts désastreux, a su trouver une voie juste et révolutionnaire pour devenir la légende politique que l’on sait [4], Dieudonné doit faire face à son destin en rompant avec tout le fatras idéologique blanc et renouer avec l’Afrique, le tiers-monde et nos aïeux les plus prestigieux. Une occasion historique s’offre à lui. Entre Faurisson et Fanon, il doit choisir.

Le PIR



[1] Pour une lecture décoloniale de la Shoah

http://indigenes-republique.fr/pour-une-lecture-decoloniale-de-la-shoah/

 

[2] Enzo Traverso : « La fin de la modernité juive : Histoire d’un tournant conservateur », La Découverte, 2013.

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index.php?ean13=9782707175465

 

[3] Houria Bouteldja dénonce le rapprochement de Dieudonné avec l’extrême droite

http://indigenes-republique.fr/houria-bouteldja-denonce-le-rapprochement-de-dieudonne-avec-lextreme-droite/

 

[4] Sadri Khiari, « Malcolm X, stratège de la dignité noire », éditions Amsterdam

http://www.editionsamsterdam.fr/articles.php?idArt=221

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