Sionisme et racisme

Baldwin sur la Palestine

« Je voyageais avant l’époque des systèmes de la surveillance électronique, avant l’arrivée des pirates de l’air et des terroristes. Arrivée pour laquelle les gens au pouvoir n’ont à blâmer qu’eux-mêmes. Qui a multiplié les actes de piraterie plus que l’Angleterre, par exemple, ou encore qui est plus doué que mon malheureux pays pour semer la terreur. Oui, je sais, néanmoins, les enfants, que la roue tourne et la vérité revient à son maître. Un terroriste est ainsi qualifié parce qu’il n’a ni le pouvoir ni le soutien de l’Etat – en fait, il n’a pas d’Etat et c’est pourquoi il est terroriste. Mais quand l’Etat domine, il change les règles du jeu et tous les moyens deviennent légitimes pour que la terreur prenne une forme légale. C’est ainsi que Franco est resté si longtemps au pouvoir, et c’est indéniablement vrai en ce qui concerne l’Afrique du Sud. Jamais personne n’a traité le défunt J.Edgar Hoover de terroriste bien que ce fût précisément ce qu’il était. Et si quiconque souhaite, dans ce contexte, parler de valeurs de « civilisation », de « démocratie » ou de « moralité », alors vous excuserez bien ce pauvre nègre s’il met sa main sur sa bouche, ricane et se paye votre tête. J’ai subi votre moralité depuis si longtemps que je rampe encore pour me sortir péniblement de ce tas de merdier. Tout ce qu’un esclave peut apprendre de son maître, c’est comment devenir un bon esclave. Et il n’y a là aucune morale»

Extrait du dernier roman de James Baldwin, Harlem Quartet (Just above my head), 1978, dans lequel il traite du terrorisme.

Quand on lit ce passage aujourd’hui, on est frappé par la force de sa perception. En effet, vingt ans avant le 11 septembre, Baldwin a totalement détruit l’apologie que faisait Bush, et maintenant Obama, de la guerre contre le terrorisme. La pertinence actuelle de ce passage peut, néanmoins, masquer son vrai contexte, qui est tout aussi remarquable. L’accent que met Baldwin sur les peuples sans états et les pirates de l’air montre bien que sa réflexion porte sur la lutte du peuple palestinien, qui a été notamment marquée depuis 1970 par plusieurs détournements d’avions visant à attirer l’attention sur l’occupation Israélienne.

La Palestine est devenue un enjeu majeur au cours des années « Black Power », car de nombreux radicaux noirs se sont identifiés aux mouvements anticoloniaux et ont alors embrassé la lutte du peuple palestinien contre l’occupant Israélien. L’expression de cette solidarité a conduit à des accusations d’antisémitisme (qui n’étaient pas toujours injustifiées) contre des figures du Black Power, pour se solder finalement par la fermeture, par les Johnson publications, de Balck World (https://coral.uchicago.edu:8443/display/chicago68/Negro+Digest-Black+World), revue culturelle et politique du monde noir, suite à un article sur le sionisme supposé antisémite. Dans ce contexte, les écrits de Baldwin, bien que brefs, démontrent sa lucidité sur le sujet car il affirme sans hésiter qu’Israël représente l’impérialisme, et non pas l’autodétermination juive.

Ainsi en 1972, dans son essai «Take Me to the Water », Baldwin nous donne les raisons pour lesquelles il ne s’est pas installé en Israël lorsqu’il est devenu expatrié à la fin des années 1940 :


« Et si j’avais fui en Israël, un Etat créé dans le but de protéger les intérêts de l’Occident, j’aurais fait à face à un sérieux dilemme : de quel côté de Jérusalem aurais-je décidé de m’installer ? »

Cette prise de conscience chez Bladwin dès 1948 manquait à la majorité de gauche. Quand il a pris la décision de fuir les Etats-Unis, Baldwin réalisa qu’il pourrait difficilement atteindre son objectif en s’installant dans un pays qui reproduisait les mêmes crimes que l’Amérique à l’époque de colonisation. En effet, la prise de position claire de Baldwin se démarque de la quasi-totalité des analyses de Gauche à la naissance d’Israël, à l’exception notable de celle de Tony Cliff (http://www.marxists.org/archive/cliff/works/1947/xx/palestine.htm)

Les écrits les plus remarquables de Baldwin sur la question palestinienne datent de 1979, dans sa « lettre ouverte au nouveau converti» quand le président américain Jimmy Carter a révoqué l’ancien bras droit de Martin Luther King, Andrew Young, de son poste d’ambassadeur aux Nations Unies suite à sa décision de rencontrer une délégation de l’OLP. Baldwin une fois de plus se montre limpide quant aux circonstances de la naissance d’Israël.

« Les juifs et les palestiniens ont l’habitude des promesses non tenues. Depuis la Déclaration de Balfour (pendant la 1ère guerre mondiale) la Palestine a été sous cinq mandats britanniques, et l’Angleterre a promis de rendre la terre aux arabes ou aux juifs selon que l’un ou l’autre arriverait en tête de la course. Les sionistes – pour les distinguer des Juifs en tant que peuple – faisant usage, pour ainsi dire, « de la machine politique disponible » autrement dit, l’empire colonial britannique – promirent aux britanniques que si le territoire leur était donné, la sécurité de leur empire serait assurée à jamais».

Or, le sort des Juifs n’intéressait absolument personne, et il convient de noter au passage que les sionistes non-juifs sont très souvent antisémites.

Baldwin évoque par la suite l’histoire de l’antisémitisme européen et les liens civilisationnels entre l’Inquisition espagnole et le franquisme. La situation en Palestine, précise-t-il, n’est pas le résultat du terrorisme ou des méfaits des Juifs, mais bien celui de l’impérialisme européen :

« L’Etat d’Israël ne fut pas créé pour le salut des Juifs ; il fut créé pour sauvegarder les intérêts de l’Occident. Cela paraît de plus en plus évident (je dois dire que cela a toujours été clair pour moi). Les Palestiniens payent le prix de la politique coloniale britannique du « diviser pour régner » et celui de la mauvaise conscience de l’Europe chrétienne depuis plus de 30 ans… La chute du Chah d’Iran a dévoilé non seulement la profondeur des préoccupations pieuses de Carter concernant les « droits humains », mais elle a aussi révélé qui fournissait Israël en pétrole, et à qui Israël vendait des armes. Cela s’est révélé être, il convient de le souligner, l’Afrique du Sud de l’Apartheid. »

Baldwin fait preuve d’un sens aigu de la géopolitique, sa compréhension du fossé qui sépare le judaïsme du sionisme, et sa volonté de faire remonter le problème à 1948 (depuis plus de 30 ans). Tout ceci le placerait aujourd’hui dans l’aile gauche du mouvement de solidarité avec la Palestine. Il y a Trente ans aux Etats-Unis, Baldwin a du se sentir isolé dans le plus désolant des déserts politiques. Étudié aujourd’hui en tant qu’écrivain de la sexualité et du genre ou des droits civiques, le radicalisme de Baldwin sur les questions internationales reste en arrière plan. Ceux qui d’entre nous luttent aussi pour honorer sa perception d’une véritable justice au Moyen Orient, ont aujourd’hui le droit et le devoir de se réclamer de Baldwin et ce faisant, de donner à son radicalisme la reconnaissance qu’il mérite.

Traduit de l’anglais par Fatna Zemmouriyya, militante du PIR

« Baldwin on Palestine », le 21 juin 2010

Source : http://herrnaphta.wordpress.com/2010/06/21/baldwin-on-palestine/

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