La « diversité », ce concept des plus ambigus, serait donc une ruse de la raison des dominants qui permettrait d’évacuer la question sociale et faciliterait l’acceptation de l’ordre inégalitaire par les dominés. Pourquoi pas ?
Rien de bien neuf tout de même. Un raisonnement semblable avait été mobilisé contre la parité homme-femme, il y a quelques années, mais qui s’en souvient (*)…
Pourtant ce discours, qui apparait subversif et plein de bon sens, ne tient pas cinq secondes, lorsqu’on le replace dans le contexte français. Car si « les Américains adorent parler race, mais sont moins performants, quand il s’agit de parler de classes… »*, y compris les Black Panthers (« La première chose dont il faut prendre conscience c’est que si les gens disent qu’il y a une « colonie noire » et une « métropole blanche », ils font allusion à quelque chose de réel. Ce n’est qu’en ayant clairement à l’esprit cette distinction qu’il est possible de comprendre qu’il existe deux blocs politiques différents, chacun pourvu d’une dynamique propre, à l’œuvre dans les États-Unis d’aujourd’hui » (Eldridge Cleaver, Panthère Noire)), pour les Français c’est le contraire. Si le concept de « race » est né en France (Boulainvilliers), depuis l’aventure pétainiste, on évite d’y recourir. Cela ne veut pas dire que les Français ne pensent pas aux questions raciales, loin s’en faut, elles sont simplement devenues des catégories de la pensée…
Car d’où parle Walter Benn Michaels ? D’une société qui a tenté « l’affirmation action » depuis plus de quarante ans, quel qu’ en soit les résultas… Et qu’en est-il de la France ?
Où y a-t-il un début de culte de la « diversité », non pas le label, la vraie, et un chouïa de célébration des « identités culturelles », non pas la caricature, mais cette entité polymorphe et enchevêtrée, au sein de l’Hexagone? Où ? Dans quel musée ? Mais où rencontre-t-on cette sacro-sainte « diversité » made in France ? Où a-t-elle cours très exactement ?
Nulle part, si ce n’est dans des endroits spécialement conçus à cet effet (la télévision, le sport, la variété, par exemple). J’ai bien peur qu’en réalité elle n’existe que dans le rêve éveillé de l’auteur. Cela ne correspond en aucun cas aux observations empiriques que nous faisons de la société française…
En effet, ce n’est pas demain la veille qu’on verra un Noir, un Arabe, un musulman à l’Elysée, quant aux trois marionnettes indigènes qui ont été bombardées ministres (« Nous sommes ce qu’on veut que nous soyons, nous le serons donc jusqu’au bout absurdement » a écrit Genet dans Les nègres), elles le sont devenues par le fait du prince. Bref, l’Obama français n’est pas à l’ordre du jour, il n’est pas encore né, ses parents non plus…
Rappelez-vous ce climat. Celui de la dernière hystérie islamophobe de l’été autour de la Burqa. Elle prouve qu’en France on n’éprouve aucune fascination autour des questions d’identité, que du contraire, si ce n’est la sienne, l’archaïque, ici, le « souchienisme » prospère ; pour tout dire, l’Islam, qu’on agite comme un chiffon rouge, apparaîtrait plutôt comme un parfait repoussoir…
Souvenez-vous de ces mots. Ces sorties fracassantes, toutes plus grotesques les unes que les autres, autour de la « race » et des « blancs », de Finkielkraut, d’Eric Zemmour, de Manuel Valls… Elles montrent que verbalement, dans la sphère publique, le racisme en France s’affirme haut et fort. La parole raciste y est bien désinhibée. Elle se présente de moins en moins comme un tabou.
Ajoutons à cela, la résistance face aux statistiques ethniques, la dénégation vis-à-vis des discriminations qui sont pourtant criantes, la présentation de la « discrimination positive » comme une horreur absolue, la mise en place d’un « ministère de l’identité nationale »… A vrai dire, nous n’avons pas épuisé le sujet, car l’on a pas fini de recenser l’allergie à la diversité, dans son sens commun, au pays « des droits de l’homme » !
Par ailleurs, cette « diversité », signifiant flottant comme « bidule », passe à côté de réalités sociologiques très concrètes. Les « identités », qu’elles soient religieuses, culturelles, ethniques, politiques…, même si elles sont complexes (composites, dynamiques, paradoxales), existent et ont une efficace sociale indéniable, ne pas s’en apercevoir c’est se condamner à ne rien comprendre. Et ils sont nombreux les paresseux intellectuels ! Ces identités en outre se déterminent de manière interne puisque, en dernière instance, elles se fondent sur le « vécu » et « l’expérience » personnelle.
Ainsi ce discours de la « diversité », qui est un discours produit par le haut, un discours subi, une « objectivation », élude, tout d’abord, la capacité qu’ont les personnes de s’auto-définir à partir de leur identité propre, leurs ressorts internes (les « groupes ethniques, disait l’anthropologue Fredrik Barth, sont des catégories d’attribution et d’identification opérées par les acteurs eux-mêmes ») ; il élude également le processus historique qui permet la production des discriminations (le contexte post-colonial par exemple) ; enfin il élude, occulte le fait qu’il y a une corrélation forte entre ethnicité (c’est-à-dire en tant qu’identité assignée de l’extérieur) et classe sociale, et cette surdétermination mérite un questionnement : A-t-on oublié que « racisme de classe » et racisme tout court font souvent bon ménage, vont du même pied ? Ignore-t-on que la « classe ouvrière » de souche, elle-même, a longtemps été bougnoulisée ?
A l’évidence, Walter Benn Michaels n’aime pas la « diversité », nous non plus, ne lui en déplaise, il lui préfère l’Egalité, mais qu’a-t-il à proposer pour la réaliser ? Le « modèle français », et son « individu abstrait » qui aime à se fixer dans les nuages, colourblind et religiousblind, une pure mythologie ! On croit rêver. En tous cas on comprend mieux pourquoi les gauchistes aiment beaucoup l’ouvrage, cela leur permet d’enfourcher leur vieux canasson fourbu, de reconduire leurs vieilles marottes qui sentent si bon « la blanchitude »… Imaginez un universitaire américain qui le dit, que du bonheur !
Pour notre part, nous préférons au concept tendancieux de « diversité » celui plus classique, plus franc du collier, plus tragique aussi, de « minorité », voici ce qu’en dit Arjun Appadurai à l’heure de la Globalisation :
« Qu’y a-t-il dans les minorités qui semble susciter de la violence dans tant de partie du monde ? Tout d’abord, les minorités comme les majorités sont les produits d’un monde moderne de statistique, de recensement, de cartes des populations et d’autres instruments étatiques créés en général à partir du XVIIe siècle. Les minorités et les majorités émergent de façon explicite dans le développement d’idées de nombre, de représentation et de cens électoral dans les régions affectées par les révolutions démocratiques du XVIIIe siècle. Les minorités sont donc une catégorie sociale et démographique récente. Elles génèrent aujourd’hui de nouvelles inquiétudes quant aux droits (octroyés par l’État) à la citoyenneté, à l’appartenance et au caractère autochtone. Elles invitent ainsi à un réexamen des obligations des États et des frontières de l’humanité politique, prises comme elles le sont dans les zones grises et malaisées entre citoyen et humanité en général. Mais les minorités ne surgissent pas toutes formées. Elles sont produites dans la situations spécifiques de chaque nation et chaque nationalisme. Elles sont souvent porteuses des souvenirs gênants des actes de violence qui ont fait naître les États existants ou qui ont accompagné la formation de nouveaux Etats. Par ailleurs, en tant que faibles prétendants aux droits octroyés par l’État, ou en tant qu’agents de ponction de ressources nationales particulièrement disputées, elles sont le rappel de l’échec de divers projets étatiques. Elles sont les marques de l’échec et de la coercition. Elles sont une gêne pour toute image encouragée par l’États de pureté nationale et justice étatique. Elles sont donc le bouc émissaire au sens le plus classique du terme. » (Géographie de la colère)
Le bougnoulosophe
SOURCE : Les Indigènes du royaumes