Après le Bahreïn, « amicalement » envahi par des forces saoudiennes et la répression sanglante des manifestants de la place de la Perle à Manama, c’est au tour d’Ali Abdallah Saleh, président à vie du malheureux Yémen, de lancer ses nervis sur des manifestants pacifiques. Hier, la place du Changement à Sanaa a été le théâtre d’un massacre perpétré par les forces de sécurité.
Plus de trente personnes, dont certaines très jeunes, ont été tuées froidement par des tireurs qui visaient les têtes et les poitrines. Les médecins des hôpitaux de la capitale yéménite, débordés et horrifiés, ne pouvaient que constater l’irréparable dans un chaos de hurlements et de larmes.
La Libye et son dictateur erratique concentrant l’attention de la planète, les autres potentats de la région, encouragés par une Arabie Saoudite emprisonnée dans ses archaïsmes, ont décidé de recourir aux « bonnes » vieilles méthodes pour en finir avec les soulèvements démocratiques. Le massacre de manifestants désarmés à Manama et à Sanaa est la réponse des alliés de l’Occident dans la péninsule Arabique aux revendications démocratiques de populations écœurées par des décennies d’arbitraire.
Le discours du monarque saoudien a été, de ce point de vue, une claire indication de l’état d’esprit actuel des gouvernants de la région. Pour le roi Abdallah, qui a déclaré tout son amour pour le peuple de son pays, les forces de sécurité sont l’instrument fondamental pour le traitement des demandes démocratiques. On ne saurait être plus limpide. Le Printemps arabe des libertés a la couleur du sang. Les potentats assis sur des rentes colossales sont prêts à toutes les atrocités pour le maintien de systèmes condamnés par la morale et par l’histoire.
Il y a fort à parier que ces crimes, pourtant amplement documentés, seront passés par pertes et profits par l’Occident et ses médias. Le fait que l’Arabie Saoudite joue un rôle colossal dans le maintien de l’ordre néo-colonial dans la région et que ce pays, « caisse enregistreuse sur un baril de pétrole », selon la formule d’un ancien dirigeant algérien, est bien trop important pour les intérêts impériaux.
Mais ce qui arrive à la Libye aujourd’hui concernera certainement le royaume pétrolier, les populations d’Arabie n’étant pas différentes des autres. Les revendications des peuples du Maghreb, du Bahreïn et du Yémen sont communes : elles n’en peuvent plus de vivre sous la botte de systèmes liberticides. Le temps des dictatures arrive à son terme : les systèmes les plus verrouillés et les organisations les plus policières sont à bout de souffle.
Le mandat historique qui leur a été confié par les puissances coloniales arrive à son terme. Les services rendus ne pèsent pas lourd à l’aune des peuples en révolte et les « salvatrices » interventions extérieures ne sont plus garanties.
La modernisation politique du monde arabe ne sera pas une promenade au fil d’une rivière tranquille. La violence de régimes à l’agonie peut causer d’énormes dégâts, mais l’histoire a bien un cours difficilement réversible. Les Arabes, comme partout ailleurs sur la planète, veulent vivre, avec leurs usages et leurs particularités, dans le droit et la citoyenneté. Aucune force de sécurité au monde ne peut s’opposer à l’irrésistible vent de l’histoire.
Ceux qui pensent que la focalisation sur les événements en Libye est un paravent pour l’écrasement des libertés, se trompent lourdement. A Manama comme à Sanaa, le changement d’époque a sonné.
M. Saadoune