Pour commencer, il fait complètement l’impasse sur les conditions politiques qui ont permis l’émergence de l’EIL, en Irak, suite aux interventions impérialistes, notamment aux deux guerres du Golfe, et à la déstabilisation systématique de cette région du monde, dont les processus internes sont invariablement instrumentalisés par les intérêts géostratégiques des puissances occidentales. Si l’EIL est effectivement un monstre – cela ne fait aucun doute pour nous – il est d’abord le monstre de l’Otan – pas celui de l’Islam ! – qui a inauguré un cycle de violences sans fin dans la région. Mais dans l’appel, rien sur la destruction de l’Irak, et au contraire un silence coupable et impardonnable ! Rien sur les responsabilités et les intérêts de l’Otan, de l’administration étatsunienne et de la France ! Obama et Hollande peuvent tranquillement partir en guerre, continuer à propager l’horreur et à disséminer l’injustice, avec la gentille bénédiction de ces prédicateurs de « paix » et de « justice ».
En même temps qu’ils prétendent dépasser la grille de lecture du « choc de civilisations », les signataires valident aussitôt ses postulats idéologiques et politiques. D’une part, ils présentent le conflit irakien comme un conflit interconfessionnel, auquel il faudrait substituer le dialogue entre musulmans, chrétiens et « tous les citoyens épris de paix et de justice », alors que le conflit est avant tout politique et que le sort des chrétiens d’Irak ne préoccupe les puissances occidentales que par un vil opportunisme, puisqu’il sert d’alibi à leurs expéditions impérialistes dans la région, d’autre part, ils donnent un chèque en blanc à la « guerre contre le terrorisme » qui sert de rhétorique au processus de recolonisation du monde sous l’hégémonie des États-Unis – largement repris par le gouvernement socialiste, en France – et qui accompagne la perverse doctrine du « choc de civilisations ». Et sous prétexte de combattre l’amalgame entre Islam et terrorisme, ils ne font qu’alimenter cette fausse équation, extensible à souhait, qui se refermera sur nous tous. Même le très prudent Rue89 se moque de cette injonction faite aux musulmans de se désolidariser de l’État islamique![2] En effet, demande-t-on aux chrétiens de s’excuser de toutes les exactions criminelles des gouvernements occidentaux ?
L’empressement des signataires à se démarquer de l’EIL, dans les termes que le maître blanc a fixé, aura pour seul effet d’accroître l’islamophobie et le racisme en France, comme à chaque fois qu’on s’aligne sur ses positions et qu’on se soumet à ses injonctions. A ce jeu-là, on ne fait qu’encourager la stigmatisation et propager la thèse de l’« ennemi intérieur », chère au pouvoir blanc avec son lot de discriminations, de contrôles sociaux et de répressions qui s’abattent arbitrairement sur les musulmans et anticipent aussi toute résistance sociale.
De fait, l’engagement que les zélés signataires sollicitent de ladite « communauté internationale » – à savoir enquêter sur l’origine des moyens de l’EIL est encore plus grotesque, puisque ceux-là mêmes auxquels on réclame naïvement (ou faussement naïvement, ce qui est pire) d’enquêter pourraient très bien être ceux-là même qui ont contribué à l’émergence de ce nouvel épouvantail. Voilà que les subalternes demandent à leurs supérieurs – à l’Otan donc ! – de « bien faire » son travail, comme si celui-ci avait besoin de leur chaleureuse invitation pour se mettre à l’œuvre … et d’enquêter sur eux-mêmes!
Au passage, quelle belle affaire que de déplacer l’attention mondiale vers ce nouvel ennemi, quelques semaines seulement après l’effroyable tuerie de Gaza, pendant qu’Israël poursuit sans répit son offensive colonialiste et mortifère en Palestine. Dès lors, on peut s’étonner que nos chers signataires, plutôt que de demander des comptes au gouvernement français pour ces 8 000 soldats bi-nationaux franco-israéliens partis assassiner les Palestiniens au sein de l’armée sioniste, préfèrent s’attarder sur les « jeunes musulmans de France » qui partent combattre aux côtés de l‘EIL ou d’autres filières. Savent-ils seulement que ces « djihadistes » français sont le produit même de la fracture raciale, une de ses plus tristes et dramatiques conséquences ? On peut aussi s’étonner du fait que les signataires, répondant ainsi aux attentes pressantes du gouvernement français et autres Onfray, BHL et Bruckner, ne se soient pas fait entendre avec autant de force et d’unanimité sur les affaires qui indignent les musulmans de France : lois et agressions islamophobes, mères exclues des sorties scolaires, crimes policiers, mosquées sous surveillance, interdictions de manifester pour Gaza…
Les promoteurs de cet appel sont-ils obtus au point de prétendre que leurs génuflexions successives pourront être d’une quelconque utilité à long et moyen termes, face à l’impérialisme occidental et à l’expansion de l’islamophobie ? Non ! La « guerre contre le terrorisme » a vocation à étendre son emprise totalitaire et destructrice.
On les sommera de s’abaisser jusqu’au dernier de reniements. Pour toutes ces raisons, le PIR s’insurge contre la stratégie suicidaire et indigne d’un appel qui non seulement usurpe sans vergogne la voix des musulmans de France mais vise également à assurer la promotion de ses auteurs au sein des dispositifs de l’Etat. Le tout aboutissant à renforcer cette étrange instance nationale-républicaine qu’on appelle « l’Islam de France » et, par la même, l’appareil répressif permettant de maintenir à leur place d’indigènes les musulmans de France.
Le PIR
Paris, le 25 septembre 2014
[1] Appel des musulmans de France, Collectif.
[2] Les musulmans priés de condamner des terroristes : quelle folie !, La Rédaction de Rue 89.