« J’avais 20 ans et « une amie » franco-française m’appelle, choquée par l’événement, alors que de mon coté je ne savais pas encore ce qui venait d’arriver. Elle me demande d’allumer la télé et me lance en pleine face « mais pourquoi vous nous faites ça? » Cette phrase, loin d’être une caricature, résumait et dessinait de nouvelles frontières. Il y aurait désormais un nous et un vous qui dépasse l’entendement ». Mohamed, Lille.
« Le 11 septembre 2001, j’étais élu depuis six mois au conseil municipal de Toulouse. Après les attentats, le Maire de Toulouse, Philippe Douste-Blazy, propose à l’ensemble du Conseil Municipal de se joindre aux 3 minutes de silence qui auront lieu, place du Capitole le 14 septembre. Lorsque le cabinet du Maire m’appelle (en ma qualité de Président du groupe « Motivé-e-s »), pour me proposer de participer à ce recueillement et malgré quelques interrogations sur le sens réel de ce type de manifestation, je n’hésite pas beaucoup. En réalité je n’ai vraiment pas le choix, parce qu’a ce moment là j’étais le seul élu issu de l’immigration algérienne, et sans doute le seul musulman. Je redoutais l’interprétation qui aurait pu être faite de mon absence. Déjà, la campagne de l’entre deux tours, six mois plus tôt, avait été marquée par des relents xénophobes. Le slogan que faisait certains membres de la liste de droite faisaient circuler à mon encontre et sous le manteau, était « pas d’ arabes au Capitole ». Avec certains de mes collègues nous nous rendons donc Place du Capitole, pour nous recueillir en mémoire des victimes. Au terme de ces trois minutes, sur la Place du Capitole, les gens se saluent. Je croise, alors, un éminent responsable du CRIF, que je connais depuis les années 80, lorsqu’il fondait SOS Racisme à Toulouse. Nous nous saluons courtoisement, et échangeons quelques mots sur le drame que représentent ces attentats. C’est alors qu’il me lance tout de go : – « Mais quand même, vous déconnez… ». Surpris je lui demande, qui est ce « vous » dont il parle. « Tu sais bien » me dit-il… » Salah Amokrane, Toulouse
« 10 ans après je me souviens toujours du malaise qu’a pu susciter mon prénom chez un certain nombre de collègues de travail. A l’époque je travaillais en centre de loisirs pendant les vacances scolaires. Je me souviens que mon directeur avait bizarrement du mal à prononcer mon prénom devant les parents, du coup il ne m’appelait jamais de loin, il prenait le soin de venir jusqu’à moi pour me parler. Mes collègues aussi, enfin certains, avaient du mal à prononcer mon prénom en public. La délivrance est venue un soir en réunion de bilan où une collègue à pris son courage à deux mains pour me demander si j’avais un surnom et que si je préférais ils pouvaient m’appeler ainsi. Je me souviens de leur avoir dit que je ne voulais pas remettre en cause les deux moutons que mon père avait sacrifié pour mon baptême… » Oussama, Roubaix
« Le 11 septembre 2001, j’étais dans la cellule 135 de la maison d’arrêt Henri Martin. L’après-midi, je ne veux pas sortir à la promenade de 15h et j’allume alors le poste tv. Ce que je vois alors me tétanise et je n’arrête pas de répéter la phrase: «oh putain! On est dans la merde! ». Mon codétenu Hassan me demande pourquoi je pensais qu’on était dans la merde car, vu l’endroit où on se trouvait, ça ne pouvait pas être pire; et que des attentats terroristes y en a partout! Je lui explique que ce ne sont pas les avions qui s’écrasent dans les tours mais surtout l’identité du présumé terroriste qui m’horrifie! Sachant de quel coté le vent de l’oppression souffle et connaissant comment ce système raciste fonctionne, je pressens que ça va être encore pire pour notre pomme. Je prédis que ce vent va souffler encore plus fort sur nous les bougnoules ! Cet attentat m’a vraiment fait peur, pas parce que je m’attendais à ce qu’un avion s’écrase sur la tour Montparnasse mais parce que je savais que le gouvernement français, le seul terrorisme que j’ai connu, allait être encore plus violent envers moi et les miens ! Si au moment de cet attentat le cauchemar du blanc lambda a été un arabe avec une barbe, pour moi ça n’a pas changé c’était, c’est et ce sera toujours l’uniforme bleu de police et le système pour qui il bosse. Instinct de survie oblige! » Abousofiane, Paris.
« Le lendemain du 11 septembre, j’étais à un cocktail d’ambassadeurs dans un grand hôtel à Tunis. J’ai rejoint un groupe de diplomates qui évoquaient l’attentat. J’ai encore en mémoire le visage crispé de la femme de l’ambassadeur des Pays-Bas racontant comment elle avait licencié sur le champs sa bonne tunisienne qu’elle avait surprise, devant la télé, en train de se réjouir et d’applaudir les images diffusées par la télé nationale ». Mehdi, Paris
« En septembre 2001, le lendemain de ce fameux 11, je suis retournée à la fac, en maîtrise. C’est un cursus en petit comité. Nous étions censés être des gens cools et cultivés. Lors d’une discussion sur le cinéma français pendant un cours donné par la directrice d’ufr, j’ai juste qualifié un cinéaste français de « réalisateur petit bourgeois ». Voilà que cette même directrice, celle qui m’avait dit quelque mois plus tôt : »Tu vas voir, les beurettes sont très à la mode à Paris », part dans une tirade sur ma condition de pauvre. J’étais une pauvre qui avait bien besoin de ces bourgeois car comme tous les pauvres, je n’ai « pas les clés pour m’exprimer ». Et de continuer: « Tu utilises la même rhétorique que Ben Laden, tu es comme ces kamikazes du 11 septembre, tu penses comme eux, tu aurais pu être à leur place. » J’étais choquée, je me suis sentie comme avalée par le sol. J’étais passée de « mignonne petite beurette » à « kamikaze en puissance ». Tout ça pour la critique d’un film sur les banlieues. Pour riposter, le soir même je me suis rendue dans une petite boutique du centre de Bordeaux qui faisait des impressions sur tee-shirts. Je leur ai demandé d’imprimer ma carte d’identité française sur un tee-shirt noir. Quand je suis retournée à la fac, ceux qui savaient les raisons de ma réaction m’ont traitée d’hystérique, de parano, de folle etc…Dans les rues de Bordeaux, les Arabes m’encourageaient, certains m’ont applaudie, ils voulaient savoir où faire le leur, d’autres personnes me regardaient de travers, d’autres me posaient des questions. J’avais suscité des réactions… Quelques jours après il y avait l’explosion d’azf, mais ça, c’est encore une autre histoire…. » Leila, Bordeaux
« J’étais en primaire à l’époque… après la minute de silence sous le préau, s’en est ensuivi un débat en classe. Et la prof qui se tourne vers moi et les deux-trois autres franco-exotiques en disant (avec un ton d’assistante sociale qui rassure) : « mais on sait que vous ne le vouliez pas hein ! Oui ! Vous n’êtes pas d’accord, il ne faut pas croire que vous le vouliez ! ». Toujours ce genre de remarques, profs ou autres, et ce durant des années. Ils croient dur comme fer que tous les musulmans ont participé à un référendum 11/09 à échelle mondiale. Cybèle
« Au collège, alors que nous devions observer une minute de silence, un camarade de classe d’origine maghrébine lance à l’enseignante : « J’observe une minute de silence pour les terroristes morts dans l’avion ». La réaction ne se fit pas attendre. » Zakari, Mulhouse
« Le lendemain du 11 septembre 2001, on était dans le quartier, au PMU. On était tous scotchés devant la télé. Et là on nous annonce « Nous sommes tous Américains ». Et moi, comme j’aime déconner, je dis : « Ils veulent pas de nous comme Français et là d’un coup, on est Américains! On nous fait sauter une classe. On passe direct du CP au CM2! » Rachid, Blanc-Mesnil.
« Le lendemain du 11 septembre, j’étais en réunion au 45ème étage de la tour Montparnasse. Mon interlocutrice flippe à la vue d’un petit jet qui passe non loin de la tour, et me regarde d’un air blême. Je lui dis en rigolant : « Ne vous inquiétez pas, le seul arabe dans les parages est ici à coté de vous ». Mustapha
« C’était le 11 septembre 2001, j’étais au boulot comme chaque jour. Un mouvement de panique dans le couloir me fait penser qu’il se passe quelque chose d’inhabituel et je m’y rends pour voir toute l’équipe avec qui je bosse agglutinée à un poste de télévision en train de regarder des tours jumelles en flammes. Durant les heures qui ont suivies, ça a été le sujet de discussion entre les collègues où chacun y allait de sa version. Philippe L. le responsable du service, ardent défenseur de l’intérêt de la « diversité » dans ses bureaux, me croise revenant de la machine à café. Il s’arrête devant moi, me regarde d’un air grave, me mets la main sur l’épaule pour me dire « Hassan, je suis avec vous »!!! » Hassan, Paris
« Le 11 sept 2011 comme tous les musulmans du monde entier, j’étais dans l’un des avions qui se sont crashés. » Mohamed
« Cette année j’ai eu une prof d’anglais (universitaire), pas ordinaire. Chaque cours commençait par « give me some news ». Il s’agissait de lui faire un résumé des actualités de la semaine. Cette partie du cours s’est transformée en exposé à présenter en 20 minutes, sur un sujet de notre choix. L’une de mes camarades a alors choisi de traiter le sujet du terrorisme. Elle a évidemment fait une allusion au 11 septembre. Après un blabla lassant, vient l’heure du débat. C’est alors que mon enseignante prend la parole pour nous annoncer SA solution contre le terrorisme. Rien que ça ! « Pourquoi, ne mettrions-nous pas un COCHON dans les avions ?! (« a PIG » avec un superbe bel accent. Elle est anglaise). De cette façon, les terroristes refuseraient de détourner l’avion !!! » Mais pourquoi donc ? Avons-nous demandé. « Parce qu’ils refuseraient de mourir avec un cochon à bord de l’avion, ils risqueraient d’aller en enfer ! » Siham, Strasbourg
« On était à la fac et on apprend à la radio l’attentat. Une collègue universitaire très choquée me regarde, me fixe et m’agresse en me disant « Mais pourquoi tu n’as aucune réaction de révolte !!! Pourquoi tu n’es pas choquée ? Pourquoi tu dis rien ? » et moi, choquée, je lui réponds « mais pourquoi tu me poses la question à moi et pourquoi je devrais avoir une réaction déterminée ? » » Nawel, Paris
« En 2001, j’étais fonctionnaire de police à Montreuil (affecté à la police de proximité). Le 11 septembre, j’étais de patrouille pédestre. On apprend les attaques sur les tours jumelles et on reçoit un appel général du CIC (Centre d’information et de commandement) qui nous ordonne de rentrer au commissariat. Tous les collègues commencent à s’exciter. « On va tous les finir ces barbus ! C’est la guerre ! ». Une brigadière propose de faire une quête pour les morts. Le capitaine déclare que le lendemain, il y aura une minute de silence. A partir de là j’ai vu se développer l’islamophobie parmi mes collègues alors que, moi, j’ai intégré la police sur l’idée qu’avec l’uniforme, on était tous pareils. La méfiance vis-à-vis de moi s’est développée. Quatre ans, plus tard, il a fallu faire une autre minute de silence pour les Espagnols morts dans un attentat à Madrid. Mon capitaine a insisté lourdement pour que j’y sois alors que j’étais en congé. En 2006, je quittais la police. » Mohamed, Montreuil
« Quand j’ai appris les attentats du 11 septembre à la radio, je n’ai pas voulu en savoir plus. Je savais que ça n’était pas bon pour nous ». Fatima, Lille.
« J’avais quatorze ans, j’étais au collège le jour où les attentats ont eu lieu, je terminais les cours à 14h30 et en arrivant chez un ami, la première chose que j’ai vu c’est la télévision allumée avec les images des bâtiments se consumant. Je suis donc les nouvelles mais mon intérêt diminue au fil des heures, « c’est un attentat parmi tant d’autres, dans un mois on n’en parlerait plus. » En début de soirée, je « descends au quartier ». Tout le monde parle d’Oussama Ben Laden y compris moi. C’est la première fois que j’entends ce nom, et me demande comment l’administration Bush est certaine que c’est cet homme qui est responsable des attentats, je me pose d’autre questions et trouve injuste qu’on ne fasse pas autant de bruit pour mes frères palestiniens que je vois mourir sur Al-Jazeera. La troisième phase et surement celle qui m’a marqué le plus. De retour au collège, je me dis qu’heureusement je suis loin d’être le seul arabe, sinon j’aurais dégusté. J’entends pendant la pause que certains professeurs organisent une minute de silence la larme à l’œil. L’agacement m’envahit. Je trouve grossièrement injuste qu’il y ait deux poids deux mesures, que les vies ne sont pas égales selon les intérêts capitalistes. Je me mets à me convaincre que si le professeur décide de faire sa minute de silence au prochain cours, je sors de cette classe, je ne peux pas trahir mes frères, je suis du même sang et j’aurais pu naitre en Palestine. Tout me rapproche d’eux et rien ne me rapproche du WTC. Arrivé donc en classe, ce professeur de physique décide de faire sa minute de silence, le sang boue en moi, non par la haine, mais par l’injustice et l’ignorance du massacre palestinien dans nos classes françaises. Nous aurions eu cent fois l’occasion de respecter la minute si ce peuple était considéré, mais rien n’en était. Mon père m’a toujours dit « ne te démarque pas des autres, même quand tu jeûnes pendant le mois sacré du Ramadan, tu dois faire exactement comme ceux qui ne jeûnent pas, être aussi efficace intellectuellement que physiquement », alors je n’ai pas voulu sortir de la salle de classe, ne voulant pas avoir de problèmes avec mes professeurs et l’administration. J’ai donc pendant cette minute de silence pensé à mes frères palestiniens, aux enfants et aux femmes morts sous les balles de l’occupant depuis des décennies. J’ai fais spirituellement mon devoir ». Mourad, Lille
« J’avais 10 ans, j’étais en CM1. L’institutrice furieuse rentre dans la classe en claquant la porte et demande immédiatement : « Les Arabes, les Musulmans, levez-vous mains dans le dos. Les autres écoutez-moi ». Elle se lance dans un monologue sur la relation entre les musulmans et le reste du monde et en particuliers les Juifs. Elle fait état de son pessimisme sur la situation en France et prédit un avenir chaotique. Elle met en cause le Coran. Selon elle, le Coran prône la haine des Juifs et met les occidentaux dans le même sac. Ensuite, elle s’adresse aux non musulmans qui étaient restés assis : « C’est à cause d’eux qu’on en est là ! » allant jusqu’à mettre en doute la possibilité pour l’éducation nationale de poursuivre sa mission auprès des populations exotiques. Nous, toujours debout (les 2/3 de la classe), mains dans le dos, étions morts de rire ». Farid, Massy
« Ca se passe un an après le 11 septembre. Nous sommes le 11 septembre 2002, j’arrive à l’aéroport de Philadelphia. La police américaine est sur les dents. Un an après les attentats, l’Amérique craint le pire. A la sortie de l’avion, les passagers sont triés en deux files : une file de blancs et une file de basanés. Je me retrouve dans la deuxième ». M’baïreh, Paris.
« Je n’ai pas été impressionnée par le 11 septembre. Je m’en foutais. J’ai mis un point d’honneur à être indifférente ». Fatima, Paris