De là, un discours de réhabilitation du passé colonial, notamment, qui ne relève pas de l’histoire en tant que discipline, mais de la restauration politiquement intéressée d’une mythologie nationale de la grandeur, mobilisée à des fins démagogiques et électoralistes. À preuve, le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Toulon le 7 février 2007, dans lequel il rappelait que le « rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc » ne fut pas « tant un rêve de conquête, qu’un rêve de civilisation ». Inspiré par son conseiller Henri Guaino, ce « crayon qui se prend pour une plume » selon le bon mot d’un député de la majorité, le même ajoutait : « Faire une politique de civilisation comme le voulaient les philosophes des Lumières, comme essayaient de le faire les républicains au temps de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise d’identité, à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation (…), voilà ce à quoi nous incite la Méditerranée. » Eu égard à la personnalité de l’orateur et aux responsabilités qui sont aujourd’hui les siennes, de telles déclarations sont sans précédent depuis la fin de la guerre d’Algérie, en 1962. Jamais le candidat de la principale formation politique de la droite parlementaire n’avait entrepris de restaurer ce passé en de semblables termes. Stupéfiante régression qui, sous couvert de lutte contre « la pensée unique » et la « tyrannie de la repentance », réhabilite un discours impérial républicain convenu et forgé au temps de l’Empire triomphant. Grossière écholalie et véritable réaction.
À cela s’ajoutent certaines promesses électorales de N. Sarkozy, bien faites elles aussi, pour parvenir au but qu’il s’est fixé : « Aller chercher les électeurs du Front national un par un », puis les maintenir dans le giron électoral de l’UMP en multipliant les signes politiques indispensables à la réalisation de cet objectif. Faisant droit aux revendications du comité de liaison des associations nationales de rapatriés, auquel participe l’ADIMAD – association d’anciens activistes de l’OAS dont les membres saluent chaque année la mémoire de Jean Bastien-Thiry, l’organisateur de l’attentat du Petit-Clamart perpétré contre le général de Gaule, le 22 août 1962 -, N. Sarkozy a promis, dans une lettre adressée au président de ce comité, le 6 avril 2007, d’associer à la journée des « morts pour la France » en Afrique du Nord, les « victimes civiles et les familles de disparus ». Derrière cette phrase sibylline se cache, notamment, la réhabilitation des partisans de l’Algérie française tués lors de la manifestation organisée par l’OAS, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Là encore, il s’agit d’une revendication ancienne de l’ADIMAD, entre autres, qui a coutume de faire célébrer des messes « pour les victimes » en l’église intégriste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Dans la même missive et pour être bien entendu de ses interlocuteurs, l’actuel président écrivait aussi : « Notre passé outre-mer fait partie du patrimoine culturel des Français. Ce patrimoine doit être transmis dans son intégralité aux futures générations. »
Dans ce contexte, la loi du 23 février 2005, qui sanctionne une interprétation officielle, apologétique et mensongère du passé colonial de la France – seul son article 4 a été retiré, à la suite de protestations de nombreux universitaires et historiens -, offre de multiples avantages. Outre qu’elle manifeste « la reconnaissance par la nation de l’oeuvre matérielle et culturelle accomplie par nos compatriotes en outre-mer, en Indochine comme en Afrique du Nord », comme le soutenait l’ex-ministre délégué aux Anciens Combattants, M. Hamlaoui Mekachera, elle contient aussi une disposition fort précise mais trop souvent ignorée. En effet, l’article 13 de cette loi, toujours en vigueur, prévoit l’octroi d’une « indemnité forfaitaire » et non imposable – délicate attention – aux « personnes (…) ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie (…), de condamnations ou de sanctions amnistiées ». Apparemment technique et anodine, cette disposition a été votée pour satisfaire une revendication défendue depuis longtemps par d’anciens partisans de l’Algérie française condamnés à des peines de prison en raison de leurs activités. Et, comme deux précautions valent mieux qu’une, on découvre que l’arrêté du premier ministre, en date du 29 décembre 2005, « relatif à la composition de la commission de l’indemnité forfaitaire », établie en application de l’article de la loi précitée, inclut dans la liste des membres appelés à siéger un certain Athanase Georgopoulos. Ancien membre de l’OAS et créateur, début 1961, de la zone 3 de cette organisation à Oran, il s’est par la suite exilé en Espagne, avant de rentrer en France en 1969.
Pour les amateurs d’exceptions françaises, en voilà plusieurs remarquables, mais sinistres au regard des principes politiques supposés limiter les pouvoirs de la puissance publique. À ce jour, la France est le seul État démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne où des dispositions législatives qualifient de façon positive l’histoire coloniale. Sans précédent, mais pas sans conséquences, car l’existence même de la loi du 23 février 2005, qui est l’aboutissement d’une offensive d’ampleur menée sur le terrain mémoriel par la droite parlementaire et gouvernementale, a contribué à libérer comme jamais des discours et des écrits apologétiques du passé impérial du pays. Quant aux anciens activistes de l’organisation terroriste – OAS, responsable de l’assassinat de 2 300 personnes, parmi lesquelles une majorité d’Algériens -, ils sont « de facto et de jure » réhabilités par les dispositions législatives mentionnées et par les engagements plus récents du président de la République. Le 26 mars 2008, encouragés par cette nouvelle conjoncture et par les promesses du chef de l’État, ces militants et quelques autres ont pour la première fois osé organiser un rassemblement devant l’Arc de triomphe à la mémoire de « leurs victimes » tombées à Alger, lors de la manifestation du 26 mars 1962. De même cette année, avec l’accord de la préfecture et du pouvoir politique. Drôle d’époque.
Olivier Le Cour Grandmaison
SOURCE : L’Humanité