Vous avouez vers la fin de l’article, mais sans l’expliquer, que « les mobiles bédésiens (comprendre « de BDS ») peuvent certes être légitimement discutés », pour souligner ensuite que les méthodes employées relèveraient de « la ségrégation, la discrimination, la haine de l’autre, etc ». Et enfin vous concluez sur le rêve d’un festival façon Woodstock dans lequel artistes ou intellectuels israéliens et palestiniens se produiraient ensemble et sur une image idyllique de Tel-Aviv, « first capitale gay et festive du monde ».
Reprenons ces points.
L’équation « Israël = Afrique du Sud ? »
Vous ne manquez pas de qualifier Israël de « démocratie », sans doute selon cet adage courant comme quoi un pays où les gens votent librement bénéficie automatiquement du label démocratique. Pourtant, l’opinion publique internationale est de plus en plus consciente que le peuple palestinien subit partout, que ce soit dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza, ou en Israël, une vie quotidienne faite soit d’exclusion, de colonisation, d’apartheid, d’épuration ethnique, de déni des droits nationaux, d’humiliation, de répression, voire de blocus (ces termes relevant de réalités concrètes juridiquement étayées). Quelques exemples : Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent pas se déplacer librement, ils ne pourront pas aller écouter Julien Clerc. Ceux de Cisjordanie vivent une situation d’apartheid qui leur impose un contrôle et une répression militaire permanents. Ceux d’Israël sont des citoyens de seconde zone : ainsi la récente loi Prawer, votée en première lecture à la Knesset, vise à expulser au moins 40 000 Bédouins du Néguev de leurs villages. Ainsi, la comparaison avec la situation sud-africaine de l’apartheid n’est pas exagérée, vous citez vous-mêmes le soutien en ce sens de Desmond Tutu, et le Tribunal Russel pour la Palestine l’a largement étayé juridiquement.
Tous les citoyens attachés aux droits humains, donc y compris les artistes, sont interpellés par cette situation. Celui que vous appelez « Juju » l’a lui-même chanté « A quoi sert une chanson si elle est désarmée ? ».
Peut-on utiliser la culture comme arme de guerre ?
C’est assurément ce que fait Israël, qui pour se donner une image de pays ouvert à toutes les cultures, se sert des artistes pour se blanchir de ses crimes. Des politiciens israéliens avouent eux-mêmes que cette manipulation de la culture permet de rehausser l’image de leur pays.
L’État d’Israël tient à sponsoriser de nombreux festivals dans d’autres pays, ainsi le festival « Jazz et Klezmer » en France. La « guerre » dont vous parlez est donc bien déclenchée par le régime israélien. Le boycott culturel ne fait qu’en parer les assauts en s’adressant aux artistes invités en Israël et en les invitant à refuser de servir de caution à une politique d’apartheid.
Contrairement à vos allégations mensongères, cela se fait sans aucun harcèlement, aucune menace ni injonction aucune interpellation de nature « féroce ». Julien Clerc l’avoue lui-même, nous qualifiant de « gentils ».
Nos interventions sont non-violentes, citoyennes, elles relèvent du débat démocratique.
Vous ne pouvez pas en dire autant des interventions d’Israël dans le domaine culturel quand elles concernent les Palestiniens. Année après année, le Jérusalem Festival palestinien, une manifestation parfaitement pacifique, est réprimé par des interdictions et des descentes de police, les dernières en date ont été rapportées ces jours derniers.
Concernant les nombreux artistes qui ont refusé d’aller se produire en Israël (vous auriez pu ajouter Roger Waters des Pinks Floyd, Elvis Costello, Annie Lennox, Nigel Kennedy, Santana, le dramaturge Peter Brook – et bien d’autres), faute d’arguments sérieux reconnaissant leurs motivations, vous déclarez qu’ils ont été victimes de nos « fourches caudines ».
Auriez-vous combattu les artistes qui ont refusé de se produire en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid ? Leur auriez-vous dit, comme vous l’écrivez, qu’ils n’ont pas lieu d’être « les acteurs d’un combat qui ne les concerne pas directement » ?
Vous vous efforcez d’essayer de déceler des incohérences dans nos positions (telles vos observations sur le film « Cinq caméras brisées ») et vous nous accusez d’utiliser des « moyens » relevant de la ségrégation, la discrimination, la haine de l’autre en jouant sur la confusion des mots.
En effet, nous soutenons explicitement les artistes israéliens et palestiniens qui diffusent un message anti-colonialiste : des cinéastes tels que le cinéaste israélien Eyal Sivan et les artistes palestiniens qui échappent courageusement au rouleau compresseur de la politique israélienne. Pour autant, la ligne du boycott culturel est extrêmement claire sur le fait que nous n’appelons pas au boycott des individus ni des films israéliens en tant que tels. Vous rappelez d’ailleurs vous-même cette position en citant Mona Baker, alors pourquoi nous accuser de créer des amalgames alors que nous précisons exactement la limite de notre action politique ?
Si un festival façon Woodstock (bizarre, vous ne qualifiez pas Woodstock de «ringard») devait se produire à Tel Aviv il devrait décemment commémorer l’expulsion massive qu’ont subie les Palestiniens du quartier de Jaffa lors de la création d’Israël, il devrait appeler au droit au retour des réfugiés palestiniens, à la fin de l’apartheid israélien, et déclarer Tel Aviv ville ouverte à tous les Palestiniens.
Mais il ne s’agit là que d’un vœu. Pour le réaliser nous continuerons, soyez-en assurée, à développer la campagne BDS et à encourager les artistes à ne pas accepter les invitations des chantres de l’apartheid israélien.
Imen Habib
Animatrice de la Campagne BDS France
Source : http://www.huffingtonpost.fr/imen-habib/reponse-au-billet-de-brig_b_3588651.html