Alors que je signais des ouvrages, Dieudonné et Alain Soral sont passés devant le stand : ils se sont arrêtés et nous avons eu un échange de quelques minutes. Beaucoup de personnes présentes m’ont reproché de les avoir salués alors qu’il y avait des caméras et des appareils photos qui les accompagnaient et qui « immortalisaient » cette rencontre comme d’autres pendant la durée du congrès. Au moment de notre rencontre, je ne savais pas, au demeurant, que Dieudonné et Soral avaient choisi le congrès du Bourget pour lancer la campagne européenne du « Parti antisioniste ».
Il importe ici de clarifier les choses. J’ai défendu, et je continuerai à défendre, le droit de Dieudonné à s’exprimer. En 2005, j’ai dit et répété publiquement que l’on ne pouvait pas accuser Dieudonné d’antisémitisme alors que, procès après procès, il était blanchi de ces accusations. Ma position, il y a quatre ans déjà, était claire déjà : je n’étais pas d’accord ni avec le contenu ni avec la forme de certaines interventions de Dieudonné mais je m’opposais – et je m’oppose aujourd’hui encore – à toute forme de diabolisation qui empêcherait le débat et la confrontation d’idées. A tous ceux qui me reprochent de rencontrer Dieudonné et Soral (samedi dernier ou auparavant), je réponds que, sur le plan des idées, le rejet, l’ostracisme et la mise au ban définitive ne font pas partie de ma philosophie et de ma compréhension du débat démocratique.
Je refuse néanmoins de la même façon les potentielles instrumentalisations de ma personne ou de ma pensée. J’ai dit et répété que rien, jamais, ne peut justifier un rapprochement avec l’extrême droite dont l’idéologie et les projets politiques sont à l’antithèse de ce que je défends. Je l’avais dit à des militants d’extrême droite comme à Marine Le Pen. Lors de notre courte rencontre au Bourget, c’est ce que j’ai dit et répété à Dieudonné et à Soral. Je n’adhère pas à cette stratégie et je ne partage pas (et ne partagerai jamais) ce type d’alliances politiques quelles que soient les circonstances et les conditions. Je ne crois pas, par ailleurs, que le fait d’être « antisioniste » suffise à déterminer le programme d’un parti à l’échelle de l’Europe : ma critique de la politique de l’Etat d’Israël est ferme, et connue, et elle s’inscrit dans une vision large et cohérente du respect des droits et de la dignité des peuples.
Entre la diabolisation et l’instrumentalisation potentielles des uns et des autres, ma position reste claire : rencontrer, écouter, débattre, critiquer. Cela veut dire refuser les atteintes (très sélectives) à la liberté d’expression (et donc défendre le droit de Dieudonné ou Soral à s’exprimer ou à se produire en France) mais également m’autoriser des critiques claires et fermes (et j’espère constructives) quand les idées et les stratégies défendues me paraissent inacceptables, ou simplement erronées.
Tariq Ramadan
SOURCE : Tariq Ramadan, Site officiel