La « victime » serait le Blanc
Il y aurait beaucoup à dire sur l’analyse qui est proposée dans les deux paragraphes cités. Nous nous contenterons de relever la condamnation par le MRAP de ce qui est nommé ici « racisme anti-blanc » dont l’usage, à nos yeux, concentre l’ensemble des arguments mobilisés.
L’emploi de manière a-critique d’une telle notion, comme si elle allait de soi, soulève en effet nombre de problèmes. Sans en faire la généalogie, comment toutefois ne pas tenir compte des conditions dans lesquelles elle est apparue en France dans le lexique politique, portée par les mêmes personnalités qui n’ont eu de cesse depuis quelques années de stigmatiser l’immigration et les populations des quartiers populaires ?
Comment ne pas voir que la notion de « racisme anti-blanc » a émergé dans le débat politique français pour inverser les rapports de responsabilité : la « victime » ne serait plus l’immigré ou le descendant d’immigrés mais le Blanc, inversion que l’on peut exprimer d’une autre manière ; si l’hostilité à l’immigration progresse, c’est la faute aux immigrés, ou encore : si les immigrés vivent et travaillent dans de terribles conditions, eh bien, c’est de leur faute.
Un texte « préoccupant »
Comment ne pas s’interroger sur la portée politique réelle d’une notion dont l’extrême-droite identitaire s’est rapidement emparée avec avidité, comme en témoignent nombre de campagnes qu’elle mène sur ce thème. Faut-il donc rappeler, avec Albert Memmi ce que celui-ci expliquait il y a déjà un demi-siècle : aucun lien ne peut être établi entre le racisme du dominant, reflétant et s’appuyant sur la puissance des dispositifs de domination, et ce qu’il désignait par « racisme édenté », c’est-à-dire cette forme de « racisme » du dominé, sans force, sans pouvoir, incapable de n’être autre chose que des mots, et dont on pourrait se demander en conséquence s’il mérite même d’être considéré comme un racisme ?
Le MRAP n’a pas de leçon d’antiracisme à recevoir, lui que nous avons connu si courageux. Nous ne pouvons pas cependant ne pas trouver préoccupant que le texte d’orientation adopté par son congrès manifeste une telle perméabilité à des thématiques douteuses qui ne peuvent que semer la confusion parmi les militants antiracistes et donner aux véritables racistes l’occasion de citer, à l’appui de leurs propos ou de leurs actes, une organisation dont la raison d’être depuis des décennies est la lutte contre le racisme.
Les signataires : Michel Agier (Directeur d’études EHESS/IRD) ; Paola Bacchetta (Professeur, University of California, Berkeley) ; Jean Batou (Professeur d’histoire, Université de Lausanne) ; Omar Benderra (membre du CISA-Comité International de Soutien aux Syndicats Autonomes Algériens) ; Said Bouamama (Sociologue, militant de l’immigration) ; Houria Bouteldja (Membre du Parti des indigènes de la République) ; Casey (Rappeuse) ; Grégoire Chamayou (Philosophe, CNRS) ; Jim Cohen (Universitaire) ; Raphaël Confiant (Ecrivain, Martinique) ; François Cusset (Professeur, Université de Nanterre) ; Christine Delphy (Sociologue, directrice de recherche, CNRS) ; Rokhaya Diallo (Militante antiraciste) ; Cédric Durand (Economiste) ; François Gèze (Editeur) ; Ramon Grosfoguel (Professeur, University of California, Berkeley) ; Nacira Guénif (Sociologue, Université Paris-Nord) ; Eric Hazan (Editeur) ; Rada Ivekovic (Philosophe)Razmig Keucheyan (Maître de conférences en sociologie) ; Michaël Löwy (Sociologue) ; Danièle Obono (Militante altermondialiste et antiraciste, Front de gauche) ; Stéphanie Precioso (Professeure d’histoire, Université de Lausanne) ; Maboula Soumahoro (Enseignante-Chercheuse, Université de Tours – Bard College, USA) ; Rémy Toulouse (Editeur) ; Eleni Varikas (Paris 8 – CRESPPA CNRS).