Le pire, c’est que cette communautarisation n’est pas tant le produit de la mobilisation des dites « communautés » en faveur de telle ou telle « cause » mais d’abord le produit d’un certain imaginaire social qui hante nos élites politiques. Le thème rabattu des risques d’importation du conflit Israël-Palestine sur le territoire français vise, en grande partie, à exonérer les politiques de leurs propres responsabilités en faisant porter le chapeau aux citoyens ordinaires. Alors que l’action extérieure de la France devrait être fondée sur la défense des principes du droit international, celle-ci tend à épouser, en les fantasmant très largement d’ailleurs, les intérêts d’un certain nombre de groupes de pression. S’agissant de la relation à Israël, la politique étrangère française semble éprouver des difficultés à privilégier une certaine « normalité diplomatique », confortant l’Etat hébreu dans un statut d’exception, faisant ainsi perdre à la France tout pouvoir de médiation. Si la défunte « politique arabe de la France » a produit incontestablement par le passé des effets catastrophiques en confortant les régimes autoritaires et dictatoriaux du Proche et du Moyen-Orient (les Saddam Hussein, Assad, Ben Ali, Moubarak…), la « nouvelle politique israélienne » entame largement sa crédibilité auprès de la communauté internationale.
Débutant sa tournée-éclair au Proche-Orient, Nicolas Sarkozy a, dans une interview à la presse libanaise, estimé que le Hamas « portait une responsabilité lourde dans la souffrance des Palestiniens de Gaza » car il a « décidé la rupture de la trêve et la reprise des tirs de roquette sur Israël ». Après avoir rappelé à plusieurs reprises que l’escalade de la violence était due aux « provocations irresponsables » et « aux tirs de roquettes » du Hamas, le président de la République a reçu avec les honneurs, jeudi 1er janvier, la chef de la diplomatie israélienne, Tzipi Livni.
Alors que la bande de Gaza étouffe sous un déluge de feu et que la situation humanitaire y est « épouvantable » selon les termes du Programme alimentaire mondiale, le président français s’est donc résolument aligné sur la position officielle israélienne, en dépit d’un appel au cessez-le-feu et d’une tentative de médiation avortée. Faisant fi de la réalité du terrain et surtout, de la traditionnelle politique étrangère de la France qui faisait de Paris un acteur plutôt critique à l’endroit d’Israël, Nicolas Sarkozy dévoile au grand jour la véritable substance de sa politique étrangère. Une politique qui se rapproche dorénavant de celle des Etats-Unis avec une lecture des évènements qui fait d’Israël l’éternelle victime des « terroristes palestiniens ».
En témoigne les différentes prises de position des autorités françaises depuis le « samedi noir », date du début du carnage israélien ; tous les communiqués et prises de positions officielles de la France vont dans le même sens. Le Hamas est responsable de l’escalade de violence et c’est lui qui a rompu la trêve avec ses tirs de roquettes. C’est cette grille de lecture donnée par les autorités françaises, et pitoyablement relayée par la plupart des médias français, qui fait perdre à la France toute crédibilité. Une grille de lecture erronée et au fond, révoltante car venant du pays se proclamant comme étant la « Patrie des droits de l’homme ».
Car la diplomatie française semble souffrir actuellement d’amnésie et de manque de courage. Rien n’est dit sur ce qui précédait la fin de la trêve comme si celle-ci avait pris fin par simple enchantement : ni le blocus israélien qui asphyxiait et étranglait la vie du million et demi de réfugiés palestiniens de la bande de Gaza depuis plus de dix-huit mois, ni la multiplication des raids, incursions et assassinats, ni les points de passage qui sont désespérément restés fermés etc. . Au-delà de ces causes immédiates, il convient également de rappeler aux autorités françaises que la puissance occupante n’a jamais permis à la bande de Gaza de vivre normalement. L’armée israélienne contrôle depuis toujours l’espace aérien et maritime de ce bout de terre de moins de 360 km2 et a toujours eu la mainmise sur son approvisionnement. La punition collective infligée aux habitants de la bande de Gaza depuis un an et demi était connue de tous et tout le monde savait que cette situation explosive ne pouvait durer.
A l’heure ou le président Sarkozy se présente aux autorités israéliennes comme un « ami », Tsahal a recours à des bombes au phosphore blanc pour couvrir l’assaut de ses soldats , tout comme lors de son offensive meurtrière au Liban en juillet 2006. Partisan farouche d’un rapprochement avec Israël, à la différence de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy est donc loin d’avoir la capacité et la volonté de faire pression sur Israël pour qu’elle accepte un cessez-le-feu. Pire, à l’unisson des autres puissances, Paris semble vouloir donner davantage de temps à Israël pour qu’elle “nettoie“ la bande de Gaza, au prix de massacres s’il le faut.
A l’heure où un véritable drame humanitaire se noue, la France, tout comme l’Europe, perd son âme et foule aux pieds ses propres valeurs. La position de la France a été scandaleuse, elle qui, en tant que présidente de l’Union européenne, a honteusement proposé il y a quelques semaines le rehaussement des relations entre l’Union européenne et Israël, confortant ainsi le gouvernement israélien dans sa stratégie criminelle d’étranglement de la bande de Gaza. Le silence et la complaisance avec laquelle les autorités françaises poursuivent leur dialogue avec Israël devient insupportable. Il est temps que la France, au nom des valeurs des droits de l’homme qui fondent la République, soit à la hauteur de ses principes.
Ce n’est pas en écrasant une population que l’Etat hébreu parviendra à faire plier le Hamas, bien au contraire. Il est temps pour la France de prendre ses responsabilités et, à l’image du conflit entre la Russie et la Géorgie l’été dernier, de tout mettre en œuvre pour qu’un cessez-le-feu puisse aboutir immédiatement. La responsabilité de l’occupant israélien est écrasante dans le déclenchement de cette tuerie (plus de 1000 morts à ce jour) et il en va de l’honneur de la France de forcer Israël à accepter une paix juste et équitable.
La politique étrangère de la France ne doit pas rester un domaine « à part » de la vie publique, échappant à tout contrôle démocratique mais doit être le fruit des aspirations profondes du peuple français. Il en va de l’avenir de notre démocratie que d’être capable de tenir un discours à vocation universaliste tant à l’égard de la communauté internationale que de « sa » propre société nationale, refusant de verser dans les formes de clientélisme et de communautarisme larvées. N’oublions pas que « la politique arabe » de la France n’a jamais fait le bonheur des peuples arabes (mais uniquement servi les dictateurs et leur Cour). Pas plus que la nouvelle « politique israélienne » des conseillers diplomatiques de l’Elysée ne fera le bonheur de la population d’Israël…et de Palestine.
Nabil Ennasri et Vincent Geisser