Discours de présentation de l’Ecole Décoloniale à l’occasion de son lancement à La Colonie (Paris), le 15 juin 2019, par Houria Bouteldja.
Bonjour à tous,
Un grand merci à la Colonie et à Kader Attia de nous recevoir aujourd’hui pour le lancement de l’Ecole décoloniale.
Il y a un an, au mois de mai 2018, avait lieu le Bandung du Nord à St Denis. Le Bandung du Nord a été ce grand forum militant tenu sur trois jours, parrainé par Mumia Abu Jamal, Léonard Peltier et Georges Ibrahim Abdallah, trois hommes non blancs détenus dans les geôles de nos grandes démocraties occidentales pour des faits qu’ils nient avoir commis ou pour lesquels ils ont déjà effectué leur peine. En réalité pour leur engagement révolutionnaire, des prisonniers politiques avant toute chose. Outre l’honneur qu’ils nous faisaient de nous parrainer, la symbolique était puissante car c‘est sûrement à partir du racisme structurel de nos Etats impérialistes dont ces hommes sont victimes qu’il nous faut penser ici et maintenant un projet décolonial. C’est ce que nous avons tenté de faire au Bandung du Nord. A l’issue du forum, deux promesses principales ont été faites. La première, très ambitieuse, était de nous lancer dans la construction à l’échelle des pays occidentaux d’une internationale décoloniale, avec comme base sociale ce que nous appelons les Sud du Nord, c’est-à-dire Nous, les non blancs vivant dans les pays occidentaux, une base sociale que nous devons développer dans un projet d’alliance qui soit le plus large possible avec les forces politiques blanches qui seront convaincues que le projet décolonial est aussi un projet de libération des Blancs. Ça, c’est l’horizon politique. L’autre, plus à notre portée immédiate c’était celui de lancer une école décoloniale. Un an après, le projet est abouti et c’est la raison de notre présence ici.
S’il y a une urgence de mettre en place un cycle de formation décolonial tel que nous avons tenté de le penser c’est que d’une part nous croyons à la nécessité absolue de doter les militants issus de l’histoire coloniale d’une véritable pensée politique, une véritable théorie pour pouvoir croiser le fer avec les idéologies hégémoniques qui écrasent notre puissance politique. Il ne suffit pas de critiquer l’idéologie des Lumières ou de l’universalisme pour espérer combattre efficacement des politiques qui nous maintiennent dans un état de dominés, il faut aussi construire une pensée alternative de libération. En d’autres termes, s’il faut combattre la modernité occidentale, l’impérialisme, le système économique qui la définit ou son éthique eurocentrique, il faut sortir urgemment du paradigme blanc.
Donc Objectif N° 1 : participer à former des militants et des cadres politiques. Objectif n°2 : Nous avons parfaitement conscience de toutes les ruses qui existent pour si j’ose dire coloniser le mouvement décolonial.
En effet, le mouvement décolonial, à peine est-il en train d’éclore et de produire ses fruits, qu’il est déjà menacé de récupérations et d’instrumentalisations. Non seulement il est attaqué de toute part, mais ça c’est normal et c’est même une bonne chose car si nous ne sommes pas capables de faire réagir l’ennemi, c’est que nous ne transformons rien. Il faut donc se réjouir d’une certaine manière de l’offensive tous azimuts contre ce qu’on appelle aujourd’hui les « indigénistes ». Ce que nous revendiquons et que nous défendons becs et ongles c’est que la lutte décoloniale, fondée sur un vrai matérialisme politique, sur l’idée qu’il faut créer du rapport de force, un pouvoir capable d’imposer son agenda aux autres forces en présence, fondée sur l’idée qu’une politique d’alliance, parce qu’il faut une politique d’alliance, ne peut pas s’envisager sans une vraie existence politique au sens que lui donnait Abdelmalek Sayyad. Aujourd’hui, cette idée est menacée par des approches libérales de la lutte où il s’agirait de commencer la décolonisation par la réforme de soi, par la réforme individuelle. Chacun serait donc invité à décoloniser ses pratiques, son esprit, son opinion. Bref, une approche dépolitisante de la lutte. Entre ceux qui nous attaquent frontalement et ceux qui promeuvent une décolonialité libérale, des deux, nous considérons les seconds comme plus nuisibles dans la mesure où ils participent à dissoudre le caractère matériel et systémique de l’oppression de race. Pour nous qui proposons cette école de formation, nous plaidons pour une théorie décoloniale indissociable de la lutte politique, qui se mène dans l’arène des rapports de force et qui prend pour cible un système et ses valeurs. En d’autres termes, la modernité occidentale qui à l’échelle de la France prend le visage de la Françafrique, de l’Etat d’exception quand il s’agit des banlieues, de Frontex quand il s’agit des migrants noyés aux Frontières de l’Europe, du recul de l’Etat social et de l’ultra libéralisme face à leur dernières victimes déclarées que sont les gilets jaunes.
Donc cette école, qui sera ouverte à tous, sera une école pour consolider ou renouer avec une approche politique de la lutte décoloniale.
Dans l’ordre, je vais donner la parole à Ramon Grosfoguel, que certains d’entre vous connaissent. Il est un pilier du réseau décolonial international (le DIN). Il est lui-même à l’initiative de l’école d’été de Barcelone et de Grenade qui existent aujourd’hui depuis de nombreuses années. Il se propose de faire une intervention sur le thème : « Modernité et capitalisme, une approche décoloniale ». Nous profitons de sa présence à Paris pour faire cette courte introduction à ce qui nous parait être une base théorique de la pensée décoloniale.
Ensuite nous entendrons Norman Ajari, philosophe fanonien, membre de la FFF et militant au PIR. Il est aussi l’auteur d’un livre qui vient de sortir aux Editions la Découverte : « La dignité ou la mort » que je vous recommande chaudement. Le titre de son intervention : « La stratégie décoloniale et ses ennemis ».
Puis, je demanderai à Wissam Xelka de venir présenter ce pour quoi nous sommes tous là aujourd’hui : le programme de l’Ecole décoloniale que vous pourrez retrouver ensuite sur la page fb de l’école décoloniale.
Enfin, pour finir, Mireille Fanon Mendès-France dira le mot de conclusion.
Merci à vous !
Paris, le 15 juin 2019