Le règne sans partage de l’Hyper puissance états-unienne a sans doute vécu. Il se sera dissous dans les sables du désert irakien, dans la politique financière irresponsable qui a mené la planète au bord du gouffre. Le passage à la Maison Blanche de Georges Bush, président improbable, aura accéléré la mise en cause du primat de son pays sur la scène mondiale. Même les plus proches alliés des Etats-Unis pointent leur inconséquence et affirment qu’ils se refusent désormais à financer les monstrueux déficits de l’ « ami américain ». De plus en plus de voix s’élèvent pour appeler à un nouveau Bretton Woods qui consacrerait la fin du rôle privilégié du dollar (« c’est notre monnaie mais c’est votre problème », disait, au début des années 70, John Connally, Secrétaire au Trésor), rôle sur lequel s’est construite, sur le dos du monde, la prospérité des Etats-Unis.
Et l’avènement d’Obama dans tout cela ? La première promesse de l’élu n’a pas été de construire un monde plus juste mais de défendre la suprématie des Etats-Unis. A l’évidence, ceux qui ont investi en lui l’espoir d’un monde meilleur en seront pour leurs frais. Il est dans la filiation des présidents états-uniens obsédés par le rang de leur pays. La couleur de sa peau est anecdotique. Elle lui a permis de cultiver l’ambiguïté durant sa campagne et de capter les voix de ceux qui ont cru reconnaître en lui le champion de leurs droits. Comme le disait le Cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Obama s’est donc bien gardé de réfuter la filiation qu’on lui a complaisamment prêtée avec Martin Luther King ou Malcolm X. Il s’est défendu d’être un crypto-musulman mais il n’a pas eu l’élégance de Colin Powell qui a dit que, de toutes façons, « être musulman ne saurait être un crime ». Alors qu’il s’est rendu dans nombre d’églises et de synagogues, il s’est abstenu de visiter une mosquée, alors que même Georges Bush l’avait fait au lendemain des attentats du 11 septembre ! Et comment oublier que, sitôt investi officiellement par la Parti démocrate comme candidat à l’élection présidentielle, il s’est précipité à la convention de l’AIPAC, principal lobby pro israélien aux Etats-Unis, pour y proclamer, au mépris du droit international, « Jérusalem, capitale éternelle et unifiée d’Israël » ? Comment oublier que, lors de sa visite en Israël en été, il n’ait trouvé que 45 minutes à consacrer aux Palestiniens et, bien sûr, pas un moment pour visiter les camps de réfugiés ou constater les dégâts de la colonisation ? Comment oublier son silence assourdissant sur les injustices faites aux Palestiniens, le Mur, les bouclages incessants… ? En revanche, il a justifié l’agression du Liban en juillet 2006, ne reprenant même pas à son compte la condamnation par l’administration Bush à l’époque de l’utilisation par Israël de bombes à fragmentation. Sa première initiative a été de nommer au Secrétariat Général de la Maison Blanche (poste beaucoup plus important que celui de vice-président) Emanuel Rahm (surnommé Rahmbo !), né d’un père israélien ultra sioniste, ayant lui-même servi dans l’armée israélienne comme volontaire durant la première guerre du Golfe. Obama ne sera certainement pas un allié dans la nécessaire opération de refondation d’un nouvel ordre du monde. Il faudra compter avec lui et ne pas douter un seul instant qu’il utilisera la formidable puissance militaire dont il dispose pour y faire barrage. Ce sera toutefois un combat d’arrière-garde. A l’évidence, personne ne pourra empêcher l’avènement d’un monde différent.
Personne n’est vraiment en mesure d’appréhender ce monde qui vient. Il est cependant clair que les nouvelles puissances d’Asie, Inde, Chine, mais aussi les nombreux « petits » pays, ceux qu’on surnomme les dragons en raison de leur dynamisme, y auront une place de première importance. L’Amérique du Sud, fédérée par le Brésil, sera sans doute de la partie. Le monde arabe, pour peu qu’il en finisse avec les pesanteurs qui l’entravent, peut mettre à profit ses immenses richesses pour devenir, lui aussi, un acteur de premier plan.
A contrario, l’Europe vieillissante devra en rabattre sur ses prétentions à régenter le monde. Elle devra probablement finir par admettre qu’elle n’est pas la communauté internationale à elle toute seule et qu’elle n’a plus la possibilité d’imposer ses canons moraux. Le discours qu’elle a servi pendant des décennies et qui a tant séduit les élites du tiers-monde, sur les droits de l’homme, la démocratie, la laïcité…, ne fait plus recette. On sait l’usage biaisé qui en a été fait et qui a fini par le décrédibiliser. En particulier, l’universalisme des valeurs qu’il affirmait porter a rencontré ses limites en Palestine, en Irak, en Afrique. Les politiques agressives dont ces contrées ont fait et font encore l’objet ont définitivement disqualifié leurs auteurs.
Pour autant, l’idéal démocratique ne doit pas être jeté avec l’eau du bain. Mieux encore, il doit structurer la vision d’un nouveau monde. Il faut toutefois lui donner l’épaisseur qui lui a fait défaut et lui offrir le monde entier comme champ d’application. La globalisation n’a concerné que des intérêts mercantiles. Elle s’est même paradoxalement accompagnée d’un recul des libertés. Il lui a manqué la valeur qui lui aurait donné son sens, la démocratie monde. Il ne doit plus y avoir, comme aujourd’hui un « ici » et un « là-bas », c’est-à-dire des prétendus Etats de droit pratiquant le brigandage à l’échelle internationale. Utopie ? Peut-être. On a considéré comme la réalisation d’une utopie l’arrivée d’un président noir à la tête des Etats-Unis. Le vrai rêve à réaliser est l’avènement d’un monde de citoyens égaux, soumis aux mêmes règles, bénéficiant des mêmes droits. Quelle en est l’alternative ? La course au leadership pour le contrôle des matières premières, la prolifération des armes de destruction massive, et, in fine, la transformation de notre monde en un champ de ruines.
C’est la réalisation de cette utopie qui empêchera la matérialisation de ce scénario macabre…
Brahim Senouci