Pierre Péan en osant «Le Monde, selon K.», un livre de déconstruction de l’image galvaudée du «french doctor», essuie l’accusation, suprême, d’antisémitisme. Siné, le caricaturiste, pourfendeur de toutes les religions, bouffeurs de curés et d’imams, avait essuyé l’accusation pour être débarqué de «Charlie Hebdo». L’accusation était grotesque et elle a soulevé une indignation sans précédent en France. Le Commissariat Politique de la bien-pensance a du intervenir dans la presse pour justifier l’immolation sans aucune forme de procès du caricaturiste pour crime d’antisémitisme. La justice a bien entendu fini par disculper le caricaturiste de l’accusation infamante destinée à interdire de réfléchir et de juger sur pièces. Pierre Péan, journaliste d’investigation, auteur de plusieurs enquêtes qui ont suscité des polémiques, est trop prudent pour prêter, dans ses écrits, le flanc à de telles accusations. Ce qui ne les empêche pas d’être lancées par Bernard Kouchner lui-même et ses très nombreux amis dans les médias. Pourtant, les arguments de Pierre Péan ne manquent pas de force et de pertinence et l’exercice de déconstruction qu’il fait de l’image de Bernard Kouchner est décapant. Rien n’y échappe. Le début de la légende commence au Biafra, où le «french doctor» commence son «tapage médiatique» humanitaire accompagnant complaisamment une tentative de sécession suscitée par Elf et armée par les réseaux de Jacques Foccart.
Une déconstruction décapante
Dès ce moment commence le glissement où l’humanitaire va servir à justifier et à imposer l’intervention militaire. Le droit d’ingérence, forgé par quelques juristes, va devenir le cheval de bataille – c’est le cas de le dire – de Bernard Kouchner et il fera sa notoriété car épousant très parfaitement les logiques impériales. Il n’y a aucun hasard au fait que Bernard Kouchner ait soutenu l’invasion criminelle et sanglante de l’Irak, qu’il soit «récompensé» par la fonction de Haut-commissaire de l’Onu au Kosovo. L’image de Kouchner enlaçant affectueusement George W Bush, qui fait la «une» du livre, illustre parfaitement les liens avec les néoconservateurs américains qui, comme chacun le sait, ont apporté la paix et la prospérité à la planète. Pierre Péan démontre comment la technique sommaire de la désignation du «bon» et du «méchant» au mépris des réalités, beaucoup plus nuancées, fonctionne au Darfour. Mobilisation des médias, simplification des termes du conflit et, accusation de «génocide», démentie pourtant par de nombreuses organisations humanitaires, sont les éléments du «tapage», c’est-à-dire de la propagande, destinée à manipuler les opinions publiques. Le fait que cela épouse de manière intime les démarches américaines n’a rien de fortuit. C’est bien la face cachée du «french doctor» qui apparaît à travers le livre, avec sa vision à géométrie très variable et très politicienne, des droits de l’homme. Le droit d’ingérence célébrée avec lyrisme se révèle comme l’habillage idéologique moderne pour les vieilles logiques coloniales. Le fait que cet «homme de gauche» devienne le ministre des affaires étrangères de Nicholas Sarkozy n’est pas une bizarrerie, ils sont bien, au-delà des apparences, des atlantistes, partisans de l’alignement sur les Etats-Unis, tous deux regardent le monde arabo-musulman par les oeillères d’Israël. Tout cela relève d’un examen politique de la carrière et des prises de positions de Bernard Kouchner. Même si l’analyse est très argumentée, elle n’aurait pas suscité la polémique si, en reproduisant des informations déjà donnée par le site Bakchich, Pierre Péan n’avait pas relevé un troublant mélange des genres. Bernard Kouchner faisant une «étude», chèrement payée, pour deux autocrates africains, prédateurs peu regardant sur les droits de l’homme, et surtout illustres représentants de la «françafrique».
Dans la gadoue de la françafrique
L’icône patauge dans la gadoue du pré carré néocolonial. Rien d’illégal dans les «prestations» grassement rémunérées bien sur, Pierre Pean ne dit pas le contraire. Mais pour ce donneur de leçons qu’est Kouchner, la proximité avec des dirigeants africains qui passent difficilement pour des modèles de probité et de respect des droits humains, est dévastatrice. Le hasard a voulu que le «subordonné» de Bernard Kouchner, à la coopération, Jean-Marie Bockel, a vu dans ces deux «clients», Omar Bongo et Sassou Nguessou pour ne pas les nommer, de la société de conseil de M. Kouchner, l’exemple même de dirigeants avec qu’il faut rompre. Trop naïf, Jean-Marie Bockel a promis de «l’acte de décès la françafrique moribonde » et a dénoncé la «mauvaise gouvernance », le «gaspillage des fonds publics » et la «prédation de certains dirigeants » africains. Omar Bongo avait réagit en exprimant sa «surprise» en rappelant benoîtement les «avantages que tirent la France et les autres Etats occidentaux de leurs rapports économiques depuis toujours, avantages mutuels par ailleurs, avec les pays africains». Qu’est-il arrivé à Jean Marie Bockel qui devait s’attendre au soutien du très «moraliste» Kouchner ? Limogé et renvoyé réapprendre la realpolitik en se tournant les pouces aux anciens combattants. L’icône est née en Afrique, elle est ébréchée par la françafrique. Pierre Péan en s’attaquant à ce communicateur flamboyant, s’attendait surement à une riposte. Elle est bien venue, sous l’antienne usée jusqu’à la corde d’antisémitisme. Et comme dans l’affaire Siné, Internet est là pour suppléer aux médias institutionnels qui n’aiment décidemment pas les briseurs d’icône.
K. Selim
Le Monde selon K., Pierre Péan – Editions Fayard -février 2009
Source : Le Quotidien d’Oran,