Brutalité permanente de la police, mépris de la douleur des gens après la mort de deux adolescents, gazage d’une mosquée, propos irresponsables des autorités de l’État, les provocations d’un pouvoir exclusivement préoccupé par les calculs politiciens et les échéances électorales ont mis le feu aux poudres, et servi de détonateurs à la révolte longuement rentrée de la jeunesse indigène ou indigénisée des quartiers populaires. On parle désormais d’envoyer la troupe pour mater cette révolte. On ne l’envisage, dans une logique de guerre civile, que pour parler de sa répression.
Victimes de toutes les discriminations, de toutes les humiliations, objets permanents du mépris social, de la brutalité policière, des contrôles au faciès, du racisme, privés d’avenir, précarisés, déclassés, rejetés, orientés par le système scolaire dans les voies de garage, interdits de se rassembler, toujours soupçonnés de tous les maux, privés de leur droit au respect et à la dignité, les jeunes des quartiers expriment leur révolte de manière spectaculaire et disent : « Nous n’avons pas d’autre moyen de nous faire entendre ! ». Face à une violence sociale et institutionnelle insupportable, leur révolte est plus que légitime : elle est salutaire. Elle constitue une réaction politique. En l’assimilant à la délinquance, en y opposant la répression brutale, en ajoutant le mépris à la provocation, le pouvoir souffle sur l’incendie qu’il a lui-même allumé.
Cette révolte confirme l’analyse que le Mouvement des Indigènes de la République a proposée depuis le lancement de son Appel en janvier 2005. La riposte des institutions de l’État est l’illustration de la gestion coloniale des populations issues de l’immigration, quel que soit le régime en place, de droite comme de gauche. Dominique de Villepin en est la dernière incarnation. L’actuel Premier Ministre a décrété l’état d’urgence et la possibilité pour les Préfets d’instaurer un couvre feu dans les quartiers populaires en s’appuyant sur une loi coloniale adoptée en 1955 pour réprimer le mouvement national algérien. C’est cette même loi qui a servi à mater dans le sang les manifestants algériens du 17 Octobre 1961 et qui a été mise en œuvre en Kanaky en 1984 sous le gouvernement socialiste de Laurent Fabius. La continuité des pratiques n’est donc plus à prouver. La matrice idéologique ayant permis ces crimes coloniaux animent toujours les manières institutionnelles de voir, de penser, de ressentir et de traiter administrativement les populations issues de la colonisation et assignées à résidence dans ces nouvelles zones d’indigénat que sont les quartiers populaires.
Quand à la proposition du » droit à l’apprentissage à 14 ans », ce n’est ni plus ni moins qu’une remise en cause de l’obligation de scolarisation jusqu’à 16 ans ; c’est un des acquis que la droite voulait démanteler depuis longtemps. Elle ose aujourd’hui le présenter comme une mesure « en faveur des déshérités » : c’est en réalité l’annonce cynique que, ilotes aujourd’hui, les habitants des quartiers populaires seront ilotes demain, et dès 14 ans.
Les formes prises par cette révolte conduisent à des violences et à des dégâts dont sont également victimes les populations déshéritées de ces quartiers. Nous tenons à affirmer notre plus entière solidarité à ces populations, et à celles et ceux dont les biens ont été endommagés ou détruits. L’État, responsable de la situation, doit sans délai les indemniser de la totalité du préjudice qu’elles subissent.
Ce qu’exige la jeunesse des cités, c’est d’être reconnue dans sa dignité, c’est de pouvoir vivre dans l’égalité et le respect. Il s’agit d’une exigence politique et sociale élevée, juste dans son principe, et à laquelle il est nécessaire de répondre politiquement.
Dès à présent, nous posons un certain nombre d’exigences Bien évidemment, l’actuel ministre de l’intérieur doit être démis de ses fonctions s’il ne démissionne pas lui-même ; il en va de même du premier ministre qui approuve et soutient publiquement la répression de masse que son collègue organise. Mais nous ne nous faisons pas d’illusion sur les effets réels de ces démissions : si, symboliquement, le départ de ces boute-feu s’impose, il ne constitue en aucun cas une solution, ni un objectif de lutte prioritaire. Nous ne militons pas pour un clan contre un autre, nous ne nous faisons pas d’illusion sur les objectifs réels des politiques, de droite ou de gauche, qui lorgnent sur le pouvoir et dont l’horizon est borné par les élections à venir.
Des centaines de jeunes ont été interpellés et arrêtés par les forces de police dans le cadre des évènements en cours. Nous exigeons leur libération immédiate. Il convient de reconnaître aux faits qui leurs sont reprochés leur caractère politique, et de leur refuser un traitement judiciaire, dont la logique est celle de la provocation : les révoltés ne sont ni des « racailles » ni des « sauvageons ». Ils doivent être entendus pour ce qu’ils sont, et pour cela l’amnistie pour les révoltés s’impose. Nous refusons qu’une justice plus ou moins expéditive frappe arbitrairement certains, et que les autres demeurent sous le coup d’un risque d’arrestation et de poursuites. À révolte politique, réponse politique.
Des parties entières de la Seine-Saint Denis et d’autres zones urbaines font l’objet d’une véritable occupation par des milliers de CRS ou autres gendarmes, dans une logique de guerre civile. Nous exigeons leur évacuation sans délai. La présence de ces forces de répression – et à plus forte raison celle de forces militaires – contribue, non pas à la « sécurité publique », mais à attiser la révolte des populations. Elle porte atteinte à leur dignité et constitue comme une punition collective que nous refusons.
Par centaines, des habitants des cités en révolte ont subi de gros dommages du fait des émeutes. Ces victimes doivent être indemnisées immédiatement ; l’intervention à cette fin des pouvoirs publics se justifie parfaitement par la responsabilité entière de l’État dans la situation actuelle.
Il est indispensable de faire la lumière complète et de dire la vérité sur les évènements qui ont déclenché la révolte : sur la mort de Zyad Benna et Bouna Traoré et sur le gazage de la Mosquée de Clichy-sous-bois. Une commission d’enquête indépendante, comportant des représentants des habitants et des acteurs de terrain doit être formée et dotée de moyens réels, pour mettre en lumière les agissements de la police tout au long du déroulement des évènements.
L’instauration de l’état d’urgence renforce de manière scandaleuse l’isolement et l’enclavement organisés des quartiers populaires. Il doit y être mis fin sans délai et la liberté de circulation des habitants des quartiers doit être restaurée et garantie.
Les dispositifs « sécuritaires » institués par les lois Perben, Sarkozy, Chevènement, Vaillant, doivent être supprimés ; les textes qui les instituent doivent être retirés.
Nous exigeons la mise en place d’une politique résolue de lutte contre les discriminations dans tous les domaines et de mesures immédiates contre la précarité , le chômage et la ghettoïsation : la création d’emplois stables et valorisants, tant publics que privés ; la garantie d’une égalité réelle en matière d’éducation et de formation ; la mise en place de mesures d’amélioration des conditions de logement et du cadre de vie dans les quartiers populaires , ce qui passe notamment par la garantie de transports en commun dignes de ce nom et gratuits ; le droit de vote et la citoyenneté de résidence pour les non-français et la régularisation de tous les sans-papiers.
Nous invitons par ailleurs, partout où c’est possible, à l’organisation de débats et de réunions publiques, à la prise des dispositions nécessaires à la convergence de l’action en vue de faire plier le gouvernement.
Mouvement des indigènes de la république, le 9 Novembre 2005
(publié mercredi 31 mai 2006)