Si cette première dimension est fondamentale, une seconde lui est subséquente, celle de l’inscription dans la résistance politique envers un ordre républicain impérialiste !
Si la République, par le biais de ses entrepreneurs, se vante à outrance de garantir la liberté et l’égalité, elle est dans les faits farouchement discriminatoire à l’égard des musulmans. Les individus issus de l’immigration postcoloniale plus généralement, sont sanctionnés socialement par des mécanismes discriminatoires performants et profondément racistes. Il est de notoriété que ces discriminations interviennent en premier lieu dans l’emploi, le logement, l’école (établissements ghettos), l’orientation (scolaire et pré-professionnelle), puis elles se manifestent dans la santé (l’accès aux soins), l’accès aux loisirs et la culture, dans les médias et la politique; sans parler de la ségrégation urbaine et territoriale que vivent ces populations. Ceux qui se disent, en plus musulmans, doivent faire face à un autre phénomène, celui d’une islamophobie grandissante (attisée et entretenue par l’intelligentsia républicaine) et qui, depuis peu, est devenue un sport de détente dans ce qu’on a tort d’appeler le pays des droits de l’homme. Cette violence est d’autant plus forte lorsqu’elle s’accompagne des deux stigmates suivants: être une femme et voilée.
N’ayons pas peur des mots, l’institutionnalisation de l’islamophobie entraîne l’augmentation et la persistance du sentiment anti-islam en France, ce qui confère aux musulmans une condition sociale précise, celle d’indigène de la république, pour ne parler que de la France. Pour exemple, la loi de mars 2004, une loi raciste et sexiste qui a pris le parti de répudier des jeunes musulmanes hors de l’école sans se soucier un instant qu’elle les prive du droit à l’éducation et de surcroît du droit à l’expression. Cette loi, continue aujourd’hui, en 2009, de produire des dégâts collatéraux plus grands et plus violents en voulant s’appliquer également aux mamans voilées qui souhaitent s’impliquer bénévolement dans les affaires éducatives et culturelles au sein des établissements scolaires de leurs enfants (2). Plus récemment, l’appareil islamophobe a démontré sa volonté d’aller plus loin dans l’affront, puisqu’il ambitionne dorénavant de prohiber les espaces publics aux femmes voilées par la proposition d’un projet de loi (3). Voilà comment la République applique ses valeurs émancipatrices et universelles lorsqu’il est question des populations musulmanes. La vérité (que je qualifie d’objective), c’est qu’il suffit d’être musulman-e visible pour mettre à nu un système hypocritement universel et manifestement ethnocentré.
Ainsi, en France, pour les musulmans, l’expression religieuse n’est pas une liberté et l’égalité ne s’est toujours pas manifestée. Pourquoi s’effaroucher alors que l’islamité de ces derniers devance leur francité? Ce n’est qu’un juste retour de la situation opprimante qu’ils subissent et constitue, a fortiori, le point de départ de la résistance.
« Je m’appelle Fatéma, mon identité est fortement liée à ma religion : l’islam. Je suis musulmane. Française, ça vient en deuxième et encore (…) s’identifier française (…) j’sais pas. Je ne m’identifie pas à eux, comment eux se disent être français, le statut être français, l’identité française, comment c’est développé et expliqué, je m’en sens en dehors. De part ça, de part ce qu’ils disent, je ne m’identifie pas comme française mais par rapport à ma religion en premier temps et principalement, tout simplement. »
L’affirmation d’une identité comme l’islam est un moyen de s’affranchir du joug culturel dominant. C’est dans ce contexte que la citation ci-dessus s’inscrit. Elle reflète la lutte que mènent beaucoup de musulmans résidant en France, à l’égard d’un ordre social méprisant et infériorisant qui tente de réduire à néant toute islamité assumée par ces derniers. Effectivement, une lutte quotidienne, par laquelle, ils protègent ce en quoi ils croient.
– La soeur vêtue d’un hijab ou d’un jelbeb et qui le porte par choix rationnel alors que la société française, du moins la culture majoritaire, prône indécemment son contraire – c’est de la résistance! De même que celle qui ne le porte pas mais défend la liberté de celles qui veulent le porter – c’est de la résistance!
– La mère qui insiste régulièrement pour que ses trois jeunes enfants s’expriment en langue arabe lorsqu’ils sont à la maison – c’est de la résistance! Tout comme le père qui emmène ses enfants tous les samedis matins à l’école coranique – c’est de la résistance!
– Toute personne victime des politiques assimilationnistes – qui par l’alphabétisation l’ont menée à l’alpha-bétis-ation (dixit Ndiaga Loum) – qui décide de retourner aux études pour apprendre la langue ou la religion de sa culture d’origine – c’est de la résistance!
– Le frère qui durant son temps de pause fait sa prière et ce malgré son appréhension d’être pris sur le fait – c’est de la résistance! Des appréhensions, qui font dire au frère que si jamais ses collègues ou sa direction apprennent qu’il fait sa prière pendant sa pause pourrait faire de lui un « islamiste », un « fondamentaliste » voire un terroriste éventuel ou tout autre terminologie du genre.
De toute évidence, cette résistance est nécessaire afin de défendre un mode de vie particulier et d’en assurer la survivance.
Si dans la citation, Fatéma ne s’identifie pas au modèle actuel de l’identité française, cela est lié au fait que la définition de ce même modèle est excluante, complètement rigide et hostile à toutes tentatives de le réinventer, en l’occurrence ici par une dimension musulmane. Afin de répondre à la revendication cultuelle des musulmans, on voit apparaître de nouveaux concepts idéologiques: « islam modéré », « musulman laïc », « islam de France » etc.. Ces concepts laissent – à peine – entrevoir le rapport de domination et visent explicitement à étouffer toute envie de soi exprimée (ce qu’on est et veut être) pour demeurer enchaîné à l’envie de l’autre, implicitement.
En bout de ligne, la volonté est de freiner voire de briser toute résistance cultuelle formulée vis-à-vis d’un ordre qui dans ses mots vise à émanciper mais dans les faits a pour ambition de maintenir sous contrôle. C’est pourquoi, l’affirmation d’une identité religieuse musulmane met à mal cet ordre et compromet la persistance de la suprématie culturelle blanche et chrétienne. Rappelons que dans une société où les rapports sociaux se structurent aussi autour de la « race », produisant ainsi des privilégiés et des opprimés, le fait d’insister pour qu’une minorité abandonne ses expériences, ses trajectoires de vie et ses affinités culturelles afin d’adopter un point de vue (et de vie) général, ne sert qu’à renforcer la situation des privilégiés (4). On comprend donc l’enjeu politique du retour à soi, à son islamité, à sa culture d’origine.
L’envie de soi « by any means necessary » (5). On ne peut s’épanouir dans la culture de l’autre particulièrement lorsque celle-ci pratique l’assimilation forcée par l’oubli de soi!
République coloniale, tiens-toi prête :
– Nous ne troquerons l’envie de soi pour l’envie de l’autre – abaadan! (6);
– Nous garderons nos croyances et pratiques cultuelles actives car elles ont éminemment du sens à nos yeux;
– Nous refusons la laïcisation forcée de nos croyances et pratiques religieuses;
– Nous sommes musulmans, pleinement ancrés et satisfaits de cette appartenance. Les campagnes infantilisantes et stigmatisantes n’y feront rien;
– Nous continuerons de lutter contre la stigmatisation des musulman-e-s;
– Nous continuerons de remettre en question le piège de cet universalisme qui aliène les communautés dominées et génère discriminations et exclusions.
Les musulmans aux côtés de leurs homologues racisés (noirs, arabes, antillais, comoriens etc.) sont les acteurs du changement social de demain – inshAllah !. Participer à la réalisation de ce changement est un droit et plus que ça : un devoir.
Une blédarde, Avril 2009
Notes :
1- L’adhésion à tout type de croyances religieuses ou non, s’explique par le fait que le sujet a des raisons fortes d’y croire et que ces croyances font sens pour lui. Cf. la théorie du choix rationnel de M. Weber.
2- Malika Latrèche, Ismahan Chouder et Pierre Tévanien, Les filles Voilée Parlent, Éd. Lafabrique 2007.
3- http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1080.asp Consulté le 24 mars 2009.
4- Iris Marion Young, Justice and Politics of Difference, Princeton University Press, 1990.
5- El-Hajj Malik El-Shabazz. Plus connu sous le nom de Malcolm X.
6- jamais au grand jamais.