Aujourd’hui nous l’écrivons au passé, car à notre grand regret Marek Edelman est décédé ce vendredi 2 octobre. En avril 1943, les Allemands décident de liquider le ghetto de Varsovie où il ne reste plus que 60.000 Juifs sur le demi-million au début de la guerre, la majorité ayant déjà été déportée vers le camp d’extermination de Treblinka. C’est alors que survient l’insurrection du ghetto contre les nazis dont Marek Edelman fut l’un des dirigeants. Il était le dernier survivant parmi ceux qui s’étaient retrouvés à la tête de cette lutte héroïque, désespérée mais exemplaire. Il déclara par la suite : «On savait parfaitement qu’on ne pouvait en aucun cas gagner. Face à deux cent vingt garçons mal armés, il y avait une armée puissante.», «Nous, nous n’avions pour nous tous qu’une seule mitrailleuse, des pistolets, des grenades, des bouteilles avec de l’essence et tout juste deux mines dont l’une n’a même pas explosé». Ils se sont opposés pendant trois semaines dans un combat inégal et désespéré, à la machine de guerre des Waffen SS. Pour venir à bout de l’insurrection, les Allemands ont décidé de brûler tout le ghetto, maison par maison. «Ce sont les flammes qui l’ont emporté sur nous, pas les Allemands», soulignait Marek Edelman. Il a réussi avec quelques derniers combattants à sortir du ghetto le 10 mai par des égouts. Il a rejoint la Résistance polonaise. Plus d’un an après, il a participé en 1944 à l’Insurrection de Varsovie, dont la répression par les nazis coûta la vie à 200.000 Varsoviens, insurgés et civils, et se solda par la démolition quasi-totale de la ville.
Après la guerre, il fait des études de médecine et devient un cardiologue connu. Bien que la majorité des survivants juifs aient émigré en Israël, lui a décidé de rester en Pologne. «Il fallait bien que quelqu’un reste ici pour s’occuper de tous ceux qui y ont péri», répondait-il. Il s’est engagé du côté de l’opposition ce qui lui a valu d’être interné lorsque le général Jaruzelski imposa la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. A la chute du système soviétique en 1989, il est élu sénateur sur les listes de Solidarité puis de l’Union démocratique. Il n’a cessé jusqu’à sa mort de dénoncer le racisme dont l’antisémitisme en Pologne et dans le monde.
De nombreuses commémorations ont été organisées où été invitées les représentants d’Israël. Mais Marek Edelman a refusé d’y participer. Lorsqu’une journaliste israélienne lui a demandé s’il ne craint pas que sa mort ne fasse tomber dans l’oubli l’insurrection du ghetto de Varsovie, il répond, sûr de lui : « Non. Cet événement a laissé trop de traces dans l’histoire, la musique, la littérature et l’art. C’est en Israël qu’on risque d’effacer notre souvenir.» «Pour vous, Israéliens, la guerre des Six-Jours (1967) a été l’événement le plus important de l’histoire juive contemporaine. Vous pouvez vous appuyer sur un Etat, des chars et un puissant allié américain. Nous, nous n’étions que 200 jeunes avec 6 revolvers pour tout armement, mais nous avions la supériorité morale.» Lorsque la journaliste tente de minorer le rôle des collaborateurs juifs dans le génocide des leurs il rétorque cinglant : «Ça, c’est votre philosophie d’Israélienne, celle qui consiste à penser qu’on peut tuer vingt Arabes pourvu qu’un Juif reste en vie. Chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu ni pour une Terre promise.»
Dénonçant les manipulateurs de l’histoire du génocide des juifs, il les qualifie de « professionnels de la mémoire» ayant une « éthique trop israélienne«. Car il n’a pas oublié la lâcheté des sionistes durant la seconde guerre mondiale. « Le Mossad savait aussi ce qui se passait ici. Ses agents se sont pourtant contentés d’évacuer les gens disposant d’argent, et encore, jamais pendant la guerre et uniquement vers la Palestine. Le fondement de l’idéologie de Ben Gourion et des siens, c’était la rupture avec la diaspora (juive). Il en était arrivé à refuser de s’exprimer dans sa langue maternelle, le yiddish (langue juive d’Europe de l’Est), la langue des 11 millions de Juifs d’Europe et d’Amérique.» Ben Gourion avait en effet déclaré le 8 décembre 1942 : «Le désastre qu’affronte le judaïsme européen n’est pas mon affaire». Evidemment Marek Edelman ne ménage pas le fondateur de l’entité coloniale sioniste : «Il n’aurait évidemment pas pu sauver des millions d’entre nous, mais certainement des milliers. Il n’a pas bougé. Ici, personne n’aimait Ben Gourion, pas même les plus fervents sionistes.”
Pour lui c’est évident si les juifs voulaient un Etat «Il eût mieux valu créer un Etat juif en Bavière !». Pour de telles déclarations, le président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad a été qualifié d’antisémite. Marek Edelman de répondre en s’esclaffant : «Il a raison, le climat y est excellent !». Lucide alors que tous autour de lui sont aveugles, pour lui, Israël n’est pas le havre de paix des juifs persécutés qu’ont voulu nous vendre les impérialistes occidentaux mais bien une enclave coloniale en terre arabo-musulmane : «Si Israël a été créé, c’est grâce à un accord passé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS. Pas pour expier les 6 millions de Juifs assassinés en Europe, mais pour se partager des comptoirs au Moyen-Orient.» Réfutant une solidarité sectaire avec les juifs d’Israël : «La culture israélienne, ce n’est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux et laisser l’assimilation, le métissage, faire son œuvre.» et «Israël ne pourra survivre dans une mer de 100 millions d’Arabes » car « chez (lui), il n’y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une terre promise ».
Le grand homme accusait l’Etat d’Israël d’avoir donné le coup fatal à l’existence des Juifs d’Europe de l’Est : « Les Israéliens, si forts et si puissants, les Israéliens qui ont gagné toutes leurs guerres, ont honte des victimes de la Shoah et méprisent les survivants. Israël n’a rien fait pour la renaissance de la culture juive, pour l’héritage de millions d’êtres humains qui ont créé un monde juif entre le Dniepr et la Vistule. Même leur langue a été enterrée. Comme si Israël avait honte de l’histoire du peuple juif d’Europe de l’Est et voulait gommer son passé. »
Il était même intervenu, durant l’été 2002, en faveur de Marwan Barghouti dans le procès de ce dirigeant de la résistance palestinienne condamné à une peine de prison à perpétuité.
Son militantisme, il l’a construit dans une société et une époque de racisme débridée où l’on exigeait l’assimilation aux [juifs en tant que minorité nationale, mais aussi une époque où les sionistes prêchaient dans le désert puisque la majorité des immigrants choisissaient l’Amérique comme terre promise. Réfutant sionisme et assimilationisme, tous deux racistes, Marek Edelman a choisit la voie du Bund comme ses parents avant lui. Parti socialiste juif anti-sioniste d’Europe de l’Est, le Bund, était partisan d’une autonomie culturelle juive au sein des nations qui permettait aux [Juifs de jouir de la totalité de leurs droits nationaux sur le plan linguistique, culturel et cultuel dans les pays où ils résidaient, sans discrimination et sans revendiquer de territoire spécifique.
« En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres » déclarait Marek Edelman. Ses paroles doivent rester gravées dans nos cranes pour que l’exemplarité d’une vie serve de modèle à tous ceux qui luttent pour la reconnaissance de leur existence.
Allah yarhmou.
Bader Lejmi, membre du MIR
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