Dans « Principes politiques généraux du PIR », le document-cadre adopté par notre congrès constitutif, le « congrès Malcolm X », qui a eu lieu les 27 et 28 février dernier, il est écrit ceci : « Le PIR a pour objectif politique l’avènement d’une majorité politique contrôlant les principaux leviers institutionnels et déterminée à engager les profondes réformes institutionnelles, sociales, économiques et culturelles, nécessaires pour poursuivre le processus décolonial, dans ses différentes dimensions, et combattre les inégalités raciales. »
Cette phrase est fondamentale. Elle donne tout son sens à la constitution de notre parti et définit le cadre de notre action. Elle constitue également une innovation essentielle par rapport aux traditions de lutte de l’immigration et des banlieues. Il nous faut donc l’expliquer plus précisément.
1°) Les limites de l’action revendicative sans perspective en termes de pouvoir
Depuis des décennies, les luttes de l’immigration, des habitants des quartiers populaires, et, plus généralement de tous ceux qui sont traités comme des indigènes en France, se cantonnent dans deux dimensions : soit, elles sont strictement « protestatives », c’est-à-dire qu’elles se bornent à protester contre les politiques menées par le gouvernement ou une autre institution de l’Etat, soit, elles sont revendicatives et demandent l’abrogation de telle loi, de telle mesure, ou, au contraire, elles demandent que soit adoptée telle loi ou telle mesure.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces luttes : elles ont parfois permis de faire pression de manière efficace sur le pouvoir, elles ont aussi permis des améliorations de nos conditions, elles ont favorisé notre organisation et fait évoluer les rapports de force.
Mais elles ont aussi d’évidentes limites : la plupart du temps, elles sont défensives ou réactives, elles sont ponctuelles ou locales, elles mobilisent seulement telle ou telle fraction des populations indigénisées par la république, elles concernent chaque fois un aspect particulier de la politique de l’Etat (ou d’une autre institution), c’est-à-dire qu’elles s’en prennent aux symptômes et non pas à la maladie.
Surtout, l’initiative de la politique est laissée à ceux qui dirigent qu’ils soient de droite ou de gauche. Les majorités se succèdent dans les municipalités, au Parlement, au gouvernement ; elles développent un programme, elles le mettent en œuvre, elles le contrôlent, et nous, nous n’avons pas d’autre choix que de protester ou de demander un changement sur tel ou tel aspect de ces politiques, conçues et appliquées en dehors de nous. Pour utile qu’elle soit, l’action strictement revendicative, menée par des associations ou même par un large mouvement social, ne peut sortir de ce cercle vicieux. La seule manière d’en sortir pour être partie prenante de la conception et de l’application des politiques menées, c’est de construire une force politique organisée, représentative, puissante, qui soit capable d’accéder au pouvoir, c’est-à-dire au cœur des institutions de l’Etat qui prennent les décisions et les appliquent. C’est nécessairement le but du PIR !
2°) Rompre avec le complexe de l’immigré qui serait illégitime sur le plan politique
L’une des forces du système national-racial français, c’est qu’il est parvenu à convaincre une majorité des populations issues de l’immigration coloniale que ses droits sont « naturellement » limités. Et quand nous parlons de droits, nous pensons plus particulièrement aux droits politiques.
Certes, de plus en plus, nous revendiquons le droit de vote pour les immigrés, nous exigeons d’être plus représenté lors des élections, ou de faire entendre nos voix dans les médias. Trop souvent encore, même lorsque nous sommes nés en France et que nous avons la nationalité française, nous considérons que nous devons respecter le cadre général de l’Etat français, de ses institutions fondamentales, de ses valeurs, de sa culture, de ses symboles, etc… Nous agissons comme si la République, la nation française et son histoire, étaient sacrées et intouchables. En quelque sorte, nous sommes plus royalistes que le roi : toutes les autres composantes de la population et tous les autres courants politiques, ont, à un moment ou à un autre, remis en cause ces institutions et ces valeurs.
Beaucoup continuent à le faire. Nous, nous n’osons pas, ou en tous cas pas souvent, comme si nous n’avions pas le droit de changer la France parce que la France était là avant nous, comme si nous n’avions pas le droit de contester le système républicain ou de vouloir transformer « l’identité nationale » parce que nous ne sommes pas « de souche » ou comme nous disons-nous « souchiens ».
D’une certaine manière, une telle attitude revient à accepter les fondements de notre propre exclusion politique et culturelle : « Vous venez d’ailleurs, nous dit-on, vous demandez notre hospitalité, alors acceptez nos traditions… ». En vérité, accepter ce principe, c’est renoncer à nos droits à la citoyenneté, c’est renoncer à la politique, c’est renoncer à remettre en cause les mécanismes de l’Etat et de la société qui sont à l’origine du racisme colonial.
Affirmer, comme le fait le PIR, qu’il faut un gouvernement décolonial et que nous devons être partie prenante du pouvoir, c’est dire que, tout en étant attachés à nos pays d’origine, à nos cultures et à nos religions, nous sommes ici, d’ici, nous avons nos histoires mais nous faisons partie de l’histoire de ce pays et que nous avons autant de droit que tous les Français pour changer le système politique et participer à l’évolution des identités nationales et culturelles de la France.
3°) Qu’est-ce qu’un gouvernement décolonial ?
Comme nous l’avons déjà dit à de nombreuses reprises, le racisme en France est un racisme d’Etat. Il n’est pas seulement le fait d’individus qui ont des préjugés à l’encontre des Noirs, des Arabes ou des Musulmans, mais aussi le résultat d’une politique de l’Etat. Cette politique est liée à l’histoire esclavagiste et coloniale; elle est liée à la domination coloniale que la république continue d’exercer sur les peuples des « Dom Tom », elle est liée aux rapports de dépendance qui existent encore vis-à-vis des anciennes colonies du Maghreb et d’Afrique noire, elle est liée à la politique impérialiste française et, plus largement, au rôle de la France dans le maintien de la domination du nord sur le sud. Tout cela se traduit par l’indigénisation des populations issues de la colonisation au sein même de la métropole, par le racisme, par les discriminations raciales, par la relégation des habitants des quartiers, par le mépris pour nos cultures d’origine, nos histoires et nos religions.
On ne peut pas, ici, rentrer dans le détail, mais ce qu’il est important de souligner c’est que pour changer tout cela, il faut réformer l’Etat et ses politiques en profondeur ; on ne peut pas se contenter d’en rafistoler certains aspects. Il faut donc un programme global qui ne soit pas simplement un chapelet de revendications partielles mais qui trace les lignes directrices des réformes nécessaires pour entamer le processus qui aboutira à la remise en cause du caractère colonial, racial et impérialiste de l’Etat français. Ce programme, nous l’appelons un programme décolonial et la majorité politique qui le portera jusqu’au gouvernement, une majorité décoloniale.
Le Parti des indigènes agira, par conséquent, pour contribuer à une recomposition des forces politiques françaises dans la perspective de faire émerger une alliance majoritaire dans les principales instances politiques (parlement, gouvernement…), une majorité déterminée à engager un processus de réformes en profondeur qui battent en brèche les dispositifs et les instruments de la reproduction des inégalités raciales et de la politique impériale (sur ce dernier point, on peut évoquer, à titre d’exemple, la nécessité d’une politique qui rompe avec la Françafrique ou avec le soutien à l’Etat sioniste).
4°) Construire la majorité décoloniale
Soyons clair : les conditions sont loin d’être remplies aujourd’hui pour la constitution d’une majorité décoloniale et, a fortiori, pour qu’elle accède au pouvoir à l’échelle nationale.
Mais, il est évident que la seule possibilité pour les populations indigénisées d’être parties prenantes du pouvoir politique, c’est la constitution d’une large alliance avec d’autres couches populaires, notamment dans les quartiers.
Dans certaines communes, il est peut-être déjà possible de tisser de telles alliances mais à l’échelle nationale, dans l’état actuel des rapports de forces politiques et culturelles, cela est encore irréaliste. Une nouvelle majorité politique décoloniale ne peut être constituée à partir des partis politiques – de droite ou de gauche – tels qu’ils existent actuellement. Aussi bien dans leurs politiques que dans leurs fonctionnements internes, ces partis participent, à des degrés divers et selon des modalités plus ou moins directes, à la préservation des injustices actuelles. Même en leurs seins, les Noirs, les Arabes, les Musulmans sont et resteront marginalisés, instrumentalisés, considérés comme des indigènes. Certes, il existe de nombreux individus et militants, ainsi que quelques groupes politiques restreints qui semblent prêts à soutenir une politique décoloniale ; de même, dans certains partis, des courants, encore peu influents, semblent approuver notre démarche. Mais le chemin est encore long avant que n’apparaissent des forces décoloniales de poids qui pourraient être nos alliées pour constituer une nouvelle majorité politique. Par conséquent, il faut être lucide : comme cela a été le cas des luttes anticoloniales, nous devons concevoir notre combat sur le long terme. Chercher des raccourcis, faire uniquement de la politique dans l’urgence ne peut être la solution.
Le pari que nous devons faire sur l’histoire est, que notre action et l’ensemble des luttes à l’échelle locale et internationale, puissent faire émerger dans le champ politique, dans les partis existants ou à venir et dans les différents mouvements sociaux et culturels, de nouvelles forces politiques convaincues que notre lutte est légitime, et qu’elle est indispensable à l’avènement d’un monde égalitaire et plus juste.
Il est certain que les forces décoloniales n’apparaîtront pas toutes seules ! Elles ne pourront se former et se développer qu’à deux conditions au moins : 1) que les indigènes parviennent eux-mêmes à se constituer en force organisée indépendante, capable de proposer une alternative politique globale, 2) que le parti des indigènes parviennent à développer une stratégie appropriée en direction des autres couches populaires et des différents courants politiques, 3) qu’il agisse pour construire des liens, stimuler le débat en leur sein, et agir sur leur évolution.
En d’autres termes, notre parti devra être capable à la fois de préserver son autonomie politique et de construire des alliances qui favorisent le développement des luttes et de la culture décoloniale, dans l’ensemble de la société.
Il faudra donc du temps, mais l’objectif d’un gouvernement décolonial, s’appuyant sur une nouvelle majorité politique est un but réaliste si l’on veut vraiment battre en brèche les politiques racistes et impérialistes. Il doit constituer le fil à plomb stratégique dans la politique quotidienne de tout parti qui prétend représenter les populations indigénisées et les quartiers populaires. Agir au jour le jour pour la satisfaction de nos revendications immédiates, nous organiser, concevoir un programme, développer des alliances, participer aux élections, toutes ces formes d’action doivent aboutir un jour à la constitution d’une majorité décoloniale susceptible d’accéder au gouvernement.
En résumé : le PIR ne saurait être ni un « syndicat » des immigrés ou des quartiers, ni un « mouvement social » destiné seulement à obtenir la satisfaction de telle ou telle revendication, ni une « force protestataire » pour « crier » nos révoltes, et encore moins un « lobby » destiné à permettre à une « élite indigène » de négocier quelques privilèges sur notre dos. Le PIR agira pour modifier les rapports de forces politiques au sein de la société et au cœur même des centres du pouvoir, afin que le projet décolonial devienne une dimension majeure des politiques menées par les principales instances de décision de l’Etat.
En dehors d’un tel horizon, il n’y a pas de politique indigène indépendante. Il n’y a que l’« intégration ».