L’Indigène de la république : Que peux-tu nous dire sur les relations qui existent historiquement entre les mouvements de l’immigration et la cause palestinienne ?
Ali El Baz : Tous les militants de l’immigration étaient les enfants des mouvements de libération nationale et accordaient une importance particulière aux luttes de libération en général. Le dernier pays arabe à être colonisé, encore aujourd’hui, c’est la Palestine. La question palestinienne cristallisait nos espoirs tant dans sa forme radicale que dans son approche démocratique incarnée par l’OLP. Cette formation était une alternative intelligente de gestion des divergences à l’intérieur d’un mouvement politique car il était pluraliste et composé de plusieurs organisations comme le Fatah, le FPLP, le FDLP… C’était quelque chose d’autre que les partis uniques issus des mouvements de libération du Maghreb (FLN, Istiqlal, Destour). Les années 1971/1980, c’est l’émergence de groupes d’extrême gauche et de groupes révolutionnaires qui voulaient réaliser une alliance dans les luttes contre l’impérialisme américain et contre le sionisme. Dans les années 1970, de nombreux militants de l’immigration étaient au MTA (Mouvement des Travailleurs Arabes) mais également au sein des Comités Palestine. Notre solidarité avec la Palestine s’est manifestée aussi par la création de collectifs nombreux et variés : l’AMFP (Association Médicale Franco-Palestinienne), l’association France Palestine… Il y avait alors une grande proximité entre nous et les leaders palestiniens. C’est cette filiation qui a fait que les associations de l’immigration se sont engagées dans le soutien à la cause palestinienne. L’une de nos grandes revendications était la reconnaissance de l’OLP comme représentant unique et légitime de la cause palestinienne. En même temps, nous étions contre la réaction arabe qui voulait affaiblir le mouvement palestinien. L’une des raisons fondamentales de notre identification au mouvement palestinien était donc également son opposition radicale aux régimes arabes réactionnaires.
L’Indigène de la république : Parles-nous d’une des luttes qui t’a particulièrement marqué…
Ali El Baz : Peu de temps après les accords de camp David dénoncés par toutes les associations en 1979, il y a eu les massacres de Sabra et Chatila, en septembre 82. Ces massacres ont suscité des manifs monstres partout en France. Il était fondamental pour nous que l’OLP sorte de son isolement et soit reconnue. D’autant plus que des groupes palestiniens, comme celui que dirigeait Abou Nidal, avaient été instrumentalisés par les régimes arabes pour faire du tort à la cause palestinienne. Systématiquement, l’OLP était prise dans l’engrenage de l’instrumentalisation des régimes arabes. L’autonomie des décisions de l’OLP était donc pour nous essentielle. Ce fut un de nos principaux combats. C’est pourquoi nous avons organisé des manifs à Strasbourg d’abord puis à Paris pour accueillir Arafat. Nous avions reçu à l’époque, le soutien de la Ligue arabe grâce au regretté Hammadi Essid, qui en était alors le directeur à Paris. Je tiens à lui rendre hommage car il a redonné leur fierté à tous les Arabes de France par son éloquence et son engagement total au service de la cause palestinienne et arabe. Il a réussi à faire converger l’action de la Ligue arabe et des associations de l’immigration. Une grande manif a ainsi pu avoir lieu lors de la visite d’Arafat en France. Des militants de nos réseaux ont fait partie du comité d’accueil du leader palestinien. Je me souviens également d’un concert qu’on avait organisé avec le chanteur Renaud à l’Olympia vers 1989. Il y avait Sapho aussi. Les grands artistes arabes n’ont pas eu le courage de venir. On a ramassé 100 000 francs. A l’époque, c’était énorme. Et Renaud nous a remis un chèque de la même valeur. Il était venu gratuitement en plus. C’était très fort et la salle était comble. Je me souviens également d’un épisode significatif : au lendemain de Sabra et Chatila, nous avions créé un collectif Palestine. Une militante PS du bureau de Clichy nous a rejoint. Elle a été virée du PS !
L’Indigène de la république : Quels liens existaient-ils entre les mouvements anti-racistes et la Palestine ?
Ali El Baz : On ne peut pas dire que la lutte palestinienne éclaire la lutte anti-raciste, car c’est d’abord une lutte de libération. Par contre, les Arabes étaient stigmatisés comme antisémites. Puis une mode est apparue : aller visiter Auschwitz. Nous, on a pris le contre-pied avec l’UJFP (juifs anti-colonialistes) en organisant des voyages en Palestine. Nous pensions que nous n’avions rien à faire à Auschwitz. Nous n’avions, nous, aucune raison de nous sentir coupables vis-à-vis des juifs. Et le fait que plusieurs organisations y allaient répondait à une inadmissible injonction. Celui qui ne faisait pas son pèlerinage à Auschwitz était considéré comme ne luttant pas contre l’antisémitisme. Cela ne signifie pas que les Arabes ne sont jamais antisémites. Il existe une animosité certaine contre ceux qui soutiennent Israël. Pour clarifier les choses, c’est-à-dire pour contribuer à mettre fin à la confusion entre juifs et pro-israéliens, nous avons d’ailleurs organisé une série de débats sur ces questions avec Michel Tubiana qui était alors président de la LDH.
L’Indigène de la république : Où en est-on aujourd’hui, selon toi ?
Ali El Baz : Au delà du sentiment basique de solidarité, on peut constater que les négociations avec Israël suite aux accords d’Oslo, l’émergence du mouvement Hamas, les luttes intestines en Palestine, tous ces événements ont entravé la mobilisation, même pour les militants aguerris. D’autre part, il existe une usure de la lutte, ou plutôt dans les luttes, surtout quand il s’agit, comme pour la Palestine, d’une lutte qui s’inscrit dans la longue durée et qui n’a pas encore de perspectives claires. Ensuite, il y a la tragédie de l’Irak qui a fait diversion. Tu ne peux pas déployer le maximum d’énergie pour la Palestine alors que l’Irak est bombardé. La dynamique s’est affaiblie depuis la première guerre du Golfe. Nous n’avons plus la capacité d’apporter des réponses. Il y a aussi l’affaiblissement des associations de l’immigration. On n’a plus les mêmes capacités de mobilisation. On compte sur les Indigènes de la république pour prendre la relève.
Propos recueillis par Houria Bouteldja
Cet entretien est paru en mai 2007 dans le numéro 7 de « L’Indigène de la république ».