Quand l’OLP a été créée en 1964, son objectif principal était d’initier une révolution populaire s’appuyant sur la lutte armée pour libérer le territoire palestinien occupé de 1948 et permettre le droit au retour. Les écrits des débuts de l’OLP suggéraient que l’état envisagé s’établirait à la suite de la libération du territoire, et serait structuré sur des principes laïques et démocratiques pour tous ses habitants, quelles que soient leurs origines ethniques et religieuses.
Après quelques années de domination de l’OLP par le Fatah, la direction de l’OLP adopta en 1974 le « Programme en dix points », qui visait essentiellement la mise en place d’une autorité nationale « sur chaque partie libérée de la terre palestinienne ». Bien que beaucoup pensaient qu’une telle mesure n’était que tactique puisque le programme précisait en outre que l’objectif était de compléter «la libération de tout le territoire palestinien», le «Programme en dix points» a marqué un tournant radical dans l’agenda de l’OLP vers un État basé sur la solution à deux Etats. Ce programme a dans les faits polarisé l’OLP, en divisant ses factions en deux camps opposés : la tendance en faveur d’un État dirigée par le Fatah, et les partisans de la libération représentés par le Front des Forces palestiniennes hostiles aux Solutions de Reddition (Le Front du Refus), dirigés par le FPLP.
Après que l’OLP ait été expulsée de sa base au Liban, la direction du Fatah dans ses nouveaux locaux en Tunisie craignait la marginalisation et l’incapacité d’exercer un contrôle sur les événements qui se déroulaient au sein des communautés palestiniennes aussi bien en Palestine que dans les pays voisins. Cette crainte se renforça quand la première Intifada palestinienne éclata, car elle transférait pour la première fois le centre de gravité de la lutte palestinienne sur le territoire occupé. En particulier, la première Intifada produisit un nouveau leadership local composé de toutes les factions de l’OLP unies dans leur lutte, qui s’appuyait sur des prises de décision locales et consensuelles plutôt que sur les ordres émis par la direction extérieure. La crainte croissante de marginalisation de l’élite de l’OLP en exil expliquerait en partie pourquoi ils se sont précipités pour signer la «déclaration de reddition» que constituaient les accords d’Oslo[1].
Avec la signature des accords d’Oslo en 1993, les partisans d’un Etat étaient convaincus que leur ambition s’était réalisée. Une part considérable de ceux qui s’étaient historiquement opposés à la stratégie d’un d’État avait même été cooptée et incorporée dans la structure de l’Autorité palestinienne naissante, tandis que d’autres avaient été absorbés par le secteur émergent des ONG conçu par les bailleurs de fonds pour aider au processus de construction de l’État. L’OLP, qui porte toujours le terme «libération» dans son titre, a dans les faits été dépouillée de son esprit révolutionnaire et est devenue au contraire subordonnée à l’Autorité palestinienne. Ironie du sort, elle pourrait même devenir la première organisation de libération dans l’histoire bénéficiant d’un siège dans un building en verre qui héberge principalement des agences commerciales.
Vingt ans après la signature des accords d’Oslo, les colonisations imposées par les israéliens sur le terrain ont convaincu une partie croissante de Palestiniens que l’AP n’est pas faite pour fonctionner comme un État indépendant. Il s’agit plutôt d’une autorité avec des mandats spécifiques : sous-traiter l’occupation en préservant les intérêts sécuritaires d’Israël et le soulager de la prise en charge socio-économique de la population. Aux yeux de nombreux Palestiniens, l’Autorité palestinienne n’est rien de plus qu’une version réussie de la «ligue des villages».
Cependant, malgré cette prise de conscience populaire, le processus d’Oslo a systémiquement déformé la conscience palestinienne et redéfini sa vision du monde vers l’acceptation de la solution étatique comme allant de soi. C’est la négation de décennies de lutte anticoloniale palestinienne pour la libération et l’autodétermination. Vingt ans après les accords d’Oslo, les débats continuent à tourner autour de la réussite ou de l’échec de la construction de l’État. Le terme de libération n’est que rarement entendu dans le discours public, et les factions et organisations palestiniennes ne l’utilisent ni dans leurs déclarations ni dans leurs programmes.
Mais pourquoi l’Autorité palestinienne de Ramallah persiste-t-elle dans la recherche d’un État sur les territoires de 1967, malgré le fait que cet objectif soit devenu presque irréaliste? Les colonies et les colons ont doublé davantage; le régime d’apartheid a été institutionnalisé; et les fragmentations physiques, géographiques et politiques sont devenues une caractéristique intégrante de la vie des Palestiniens, et ont toutes contribué à la décoloration de la carte de 1967, rendant ainsi un État palestinien impossible. La réponse simple est que l’Autorité palestinienne est devenue un mécanisme efficace pour maintenir et sécuriser les intérêts et les privilèges de la classe dirigeante et de ses acolytes. Le statu quo offre un commerce lucratif pour ceux cachés à Al-Muqata’a à Ramallah ainsi que leurs associés dans les quartiers luxueux isolés, totalement détachés de la déplorable réalité palestinienne.
Tant que le cadre hautement restrictif d’Oslo continue de définir la vie politique, sociale et économique de la Palestine, ni un État ni une véritable autonomie ne seront possibles. Les vingt ans du mirage d’Oslo ont endommagé toutes les conquêtes du mouvement de libération de la Palestine, gâché d’innombrables sacrifices, et brouillé le concept même de libération. Après tout cela, si les Palestiniens ne parviennent pas à formuler une nouvelle stratégie collective loin de celle d’Oslo, une stratégie qui donne la priorité aux principes de libération, de retour et d’autodétermination, alors le cours précaire actuel des événements conduira sans aucun doute à de nouvelles formes de désolations et de désintégrations.
Source : Palestinians between statehood and liberation
Traduit de l’anglais par Azzedine Benabdellah, membre du PIR
Tariq Dana est un universitaire, chercheur palestinien et conseiller politique à Al-Shabaka (Palestinian Policy Network)
[1] Edward Saïd qualifiera ces accords d’« instrument de la reddition palestinienne, un Versailles de la Palestine »