Soutien

Le procès contre Houria Bouteldja : syndrome de la lepénisation des esprits

L’inimaginable vient donc de se produire : une descendante de ces dizaines de milliers de Maghrébins qui furent conduits en France pour reconstruire le pays après la deuxième guerre mondiale et qui furent la colonne vertébrale de ce que les historiens ont appelé « les Trente glorieuses », se voit traduite devant les tribunaux pour « racisme anti-Blanc » par une obscure association d’extrême-droite appelée l’AGRIF. Cela au motif qu’elle aurait, au cours d’une émission-TV, traité les « Français de souche » de « souchiens ». A entendre ses détracteurs, Houria Bouteldja, aurait en réalité dit « sous-chiens ».

Avant d’analyser ces deux expressions, qu’il me soit permis de souligner le fait que personne n’a fait le compte des milliers de ratonnades qui se sont produites au cours des Trente glorieuses. Personne n’a décompté les centaines de travailleurs maghrébins décédés sur les chantiers des autoroutes, du bâtiment ou du métro de Marseille, par exemple (un mort tous les trois jours !). Personne n’a été traîné en justice pour racisme anti-arabe ou anti-nègre jusqu’à tout récemment. Bien au contraire, à longueur de colonnes ou d’émissions radio ou télé, d’éminents intellectuels « de souche » ou auto-proclamés tels, du genre Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, J-L. Amselle ou P-A. Targuieff, n’ont de cesse de fustiger « l’équipe de France black-black-black », le « nouvel antisémitisme des banlieues » ou « le communautarisme exacerbé à relents islamistes ». Les descendants de ceux qui ont rebâti la France, aux côtés des travailleurs français sont chaque jour stigmatisés, vilipendés, sommés de courber l’échine car « Soit on aime la France soit on la quitte ! ».

Pour être régulièrement confondu avec un Maghrébin chaque fois qu’il m’arrive de me rendre en France, je sais ce qu’est le racisme anti-arabe. Je mesure les regards haineux, les réflexions lourdes de menaces ou les actes délibérément odieux. Hormis dans les quartiers populaires, s’asseoir dans un restaurant, arrêter un taxi, demander un simple renseignement, pénétrer dans un magasin pour y acheter quelque chose, sont des épreuves au quotidien. Epreuves que les plus jeunes, la « troisième génération » comme disent pudiquement les sociologues, a de plus en plus de mal à supporte. D’où leur révolte, leur juste révolte, parfois désordonnée. Révolte née de la désespérance, de l’absence d’avenir. Du déni d’humanité tout simplement. Et les bonnes âmes et autres intellectuels « de souche » de s’exclamer : « Racaille ! », « Sauvageons ! » et j’en passe.

Mais à côté de ces rejetés, il existe toute une jeunesse arabe, africaine et antillaise qui étudie, qui travaille, qui se bat jour après jour contre l’oppression. Houria Bouteldja est de ceux-là. Elle aurait pu tenter d’échapper à sa condition et se fondre dans la masse comme beaucoup. Au contraire, elle a choisi de se mettre aux côtés de ses frères et sœurs quoiqu’il lui en coûte et le prix de cet engagement est lourd à payer. Très lourd. Son combat : faire que la société française admette les « troisièmes générations » comme des Français à part entière sans pour autant qu’ils renient une part de leur héritage ancestral. Son combat est celui d’une France multiculturelle, métisse, non jacobine. Une France qui accepte enfin de regarder son terrible passé colonial en face au lieu de l’occulter car l’actuelle présence maghrébine et noire dans ce pays est la résultante directe dudit passé. En clair : les descendants des immigrés n’ont pas choisi de venir en France ni de « l’envahir ». Ils y sont nés, par la force des choses et de l’histoire, et ce pays est désormais aussi le leur. Ils n’ont ni à prouver qu’ils sont Français ni à éradiquer toute trace de la culture de leurs grands-parents. Tel est le combat de Houria Bouteldja !

Venons-en maintenant aux expressions « souchiens » et « sous-chiens ». Rappelons d’abord que c’est l’extrême-droite et une partie de la droite française qui ont inventé l’expression « Français de souche ». Sans que cela choque quiconque ! D’abord parce qu’au plan historique, cette expression n’a aucun sens et sans remonter jusqu’à Jules César qui envahit la Gaule comme chacun sait, la France s’est constituée au fil des siècles d’apports venus des pays européens voisins, puis, des pays qu’elle avait colonisés. Sarkozy (Hongrie), Balladur (Turquie), Devedjian (Arménie) etc…sont-ils « de souche » ? Pourtant personne ne conteste leur francité. Et pourquoi ? Parce qu’ils sont « Blancs » ! Conclusion logique : « de souche » veut dire en réalité « Blanc ». S’il y a donc un racisme qui fleurit en toute impunité en France, c’est bien celui qui se développe aux dépends des personnes qualifiées ou perçues comme « non Blancs ». Or, les parents de ces derniers ne sont-ils morts par dizaines de milliers pour défendre la France aux cours des deux guerres mondiales ? Les monuments aux morts qui ornent le moindre village sont couverts de patronymes arabes, africains et antillais. Il existe même des cimetières musulmans pour les soldats de cette confession tombés au front.

Quelle est donc « la faute » commise par Houria Bouteldja ? D’avoir simplement procédé à une dérivation lexicale, en parfaite conformité avec la langue française, à partir de l’expression « de souche » : « souchiens ». Elle aurait pu procéder à une autre dérivation : « souchiais », moins euphonique il est vrai. Mais gageons que ses détracteurs y auraient aussitôt vu le verbe « chier » et lui seraient tombé dessus à bras raccourcis ! Certes, l’expression « souchiens » résonne, par pur hasard, comme « sous-chiens », du reste très rarement employée, mais c’est la faute à qui ? A ceux qui ont inventé l’odieuse expression de « de souche » et à personne d’autre. L’extrême-droite aurait lancé l’expression « Français de racine » qu’il aurait été possible de qualifier ces derniers de « raciniens ». Mais ce dernier terme évoquant le grand dramaturge du XVIIe siècle, il aurait été tout de même difficile à l’AGRIF de poursuivre en justice Houria Bouteldja. Il faut bien rire un peu…

Que les tribunaux français, déjà bien engorgés, puissent perdre leur temps à examiner cette accusation fallacieuse de « racisme anti-Blanc » témoigne d’une réelle déliquescence des notions d’impartialité et de justice dans la France d’aujourd’hui. Elle démontre surtout qu’une large frange de l’intelligentsia s’est, hélas, ralliée, de manière tantôt ouverte tantôt masquée, aux thèses de l’extrême-droite.

Vous avez dit « lepénisation des esprits » ?
Raphaël Confiant

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