On nous demande parfois de préciser quel est le rapport entre le Parti des indigènes et les quartiers populaires. La réponse est simple : un parti des indigènes doit être un parti des quartiers populaires et un parti des quartiers populaires doit être un parti des indigènes.
Mais voyons cela plus précisément car il y a beaucoup de confusion sur la signification de l’expression « parti des quartiers populaires » ou « des banlieues ». Demain, en effet, d’autres organisations peuvent se réclamer des cités ou s’autoproclamer parti des quartiers, sans avoir pour autant une politique qui s’appuie sur les intérêts fondamentaux des habitants des quartiers.
1°) Un parti des indigènes n’existe pas en dehors des quartiers
En effet, la grande majorité des indigènes vit et lutte dans les quartiers. On peut même ajouter que de nombreux Blancs qui vivent dans les cités populaires sont traités comme des indigènes et sont, en quelque sorte, indigénisés. Par conséquent, un parti qui aspire à devenir un instrument de lutte des indigènes, qui voudrait les organiser, les unir, et les représenter sur le plan politique, doit nécessairement s’enraciner dans les quartiers.
Certains partis disent vouloir représenter les habitants des quartiers, ils considèrent la population des quartiers populaires comme un simple réservoir de voix, ils sont incapables d’avoir un discours qui prend en compte leurs considérations profondes d’un réel changement dans ces quartiers. Par ailleurs ces partis envoient leurs militants y diffuser des tracts ou y faire des meetings. Mais cela n’a aucun sens car un vrai parti des quartiers doit être le produit des résistances de ceux qui y vivent. C’est bien sûr le cas du PIR dont la majeure partie des adhérents vivent et agissent dans des quartiers. Leur légitimité politique, ils la tirent pour commencer de leur vécu et de leur action quotidienne sociale, culturelle ou politique dans les quartiers.
Le PIR est le seul parti politique en France qui permet aux habitants des quartiers de s’organiser dans le parti à partir de leurs propres références spirituelles et culturelles ; pour la première fois en France on peut adhérer à un parti sans abandonner sa culture ou sa religion comme c’est souvent le cas pour les partis politiques français.
2°) La ségrégation urbaine est l’une des formes principales de la ségrégation raciale
La ségrégation urbaine n’est pas seulement la conséquence des inégalités économiques. Il est vrai que depuis longtemps les pauvres sont relégués à la périphérie des villes. Mais à ce phénomène s’ajoute aussi la relégation dans les banlieues des populations issues de l’immigration et de la colonisation. Ce n’est pas par choix que les travailleurs immigrés venus du Maghreb ou d’Afrique ont vécu dans des bidonvilles puis dans des « cités de transit » puis dans les HLM les plus pourris. Ce n’est pas par choix que leurs enfants et petits-enfants continuent de vivre dans des quartiers où ils y a peu d’emplois, où les transports sont particulièrement difficiles, ou l’enseignement est déplorable, où les loisirs sont souvent absents et où ils sont confrontés à une surveillance constante et aux violences policières. Si les populations d’origine coloniales sont concentrées dans ces quartiers, c’est en premier lieu le résultat d’une politique de discriminations raciales, de même que, dans les colonies, on séparait dans les villes, les quartiers des colons et les quartiers des colonisés. C’est pourquoi nous disons que la ségrégation urbaine est une forme de la ségrégation raciale/coloniale et que la lutte politique dans les quartiers est, fondamentalement, une lutte décoloniale qui ne concerne pas que les habitants des cités populaires.
Prenons deux exemples :
– l’islamophobie. Les campagnes islamophobes visent à stigmatiser les banlieues, par conséquent un parti qui ne se bat pas de toutes ses forces contre l’islamophobie ne peut être considéré comme un parti des banlieues. Cependant, l’islamophobie ne concerne pas que les banlieues. Elle concerne aussi les musulmans qui ne vivent pas dans les cités et, plus largement encore, elle concerne le modèle de société et la nature du pouvoir en France. En effet, l’islamophobie est un racisme qui s’enracine dans le colonialisme mais aussi dans l’offensive impérialiste mondiale pour soumettre les pays du sud. Le combat contre l’islamophobie est donc un enjeu national et international. On peut, certes, atténuer l’islamophobie en France par l’action associative mais on ne peut pas s’attaquer à ses fondements sans un projet politique global qui soit vraiment capable de remettre en cause la ségrégation sociale et raciale, de promouvoir nos histoires, nos cultures et nos religions. C’est-à-dire, pour le répéter une fois de plus, la lutte contre l’islamophobie est vouée à l’échec si elle ne s’intègre pas dans une politique décoloniale globale (voir la Déclaration du 1er Congrès du PIR sur l’islamophobie : ICI.)
– La lutte pour les « réparations » relatives à la déportation des Africains en Amérique et leur réduction en esclavage. Cette question concerne au premier chef les descendants des Africains déportés, comme les Antillais. Mais elle concerne aussi tous les Africains dont les sociétés ont été en grande partie détruites par le caractère massif de la traite négrière transatlantique. Elle concerne également tous ceux dont les peuples ont été colonisés puisque la question des « réparations » soulève le problème de la reconnaissance officielle des crimes de la colonisation. Enfin, la déportation des Africains et l’esclavage de type américain ont inauguré la mise en place à l’échelle mondiale d’une société caractérisée par la hiérarchie raciale : les Blancs en haut de la pyramide et les autres aux étages inférieurs. On voit bien, ici, que le combat pour les « réparations » est un combat global qui dépasse le cadre des banlieues mais, comment ne pas voir qu’il est central dans ces banlieues où les inégalités raciales sont massives et où les descendants de colonisés sont si nombreux ? (Voir la Déclaration du 1er Congrès du PIR sur les « réparations » : ICI.)
3°) Un parti des quartiers n’est ni une association ni un syndicat des quartiers
Cette affirmation peut paraître étrange. Pourtant, beaucoup conçoivent l’action politique dans les quartiers comme une activité associative ou syndicale. Pour eux, il s’agit seulement de défendre au jour le jour les revendications les plus urgentes des habitants des cités. Ces formes de résistance sont indispensables et tout parti des quartiers digne de ce nom doit s’y impliquer, mais elles ne suffisent pas. Les résistances dans l’urgence, quartier par quartier, sont fondamentales, mais, si elles ne s’intègrent pas dans une stratégie politique globale, elles risquent de favoriser l’émiettement et la dispersion : chacun agit dans son quartier et néglige les autres quartiers, alors que seule la coordination entre toutes les résistances peut changer les rapports de forces. Surtout, l’action qui se préoccupe seulement des problèmes les plus immédiats ne peut pas remettre en cause les raisons profondes du traitement colonial et racial des banlieues ; elle soigne les symptômes mais ne guérit pas la maladie ; elle ne peut pas agir là où se décident et se mettent en œuvre les politiques : le pouvoir de l’Etat. Or, pour décoloniser la société française, c’est bien les institutions de l’Etat (communes, assemblée nationale, gouvernement, etc.) dont il faut changer la composition et la politique.
De plus, il est temps de sortir du modèle associatif dans lequel les quartiers populaires sont enfermés depuis trop longtemps. Quand il s’agit de la représentation politique des quartiers il est toujours question d’association, qui au final ne parviennent pas à changer réellement la situation de leurs quartiers. Pour les municipalités cela permet de garder une emprise dans les quartiers par le biais du jeu des subventions. Trop souvent, la recherche des subventions prend en effet le dessus sur le projet politique et favorise le clientélisme dans les quartiers.
C’est pourquoi, dans l’autonomie politique, organisationnelle, financière, le PIR a pour objectif d’unifier les luttes locales au sein d’un combat politique national et autour d’un programme décolonial. Notre but n’est pas seulement défensif ; nous voulons aussi que les indigènes soient le fer de lance de la constitution d’une nouvelle majorité politique qui change radicalement la politique française.
4°) Une politique des quartiers est forcément décoloniale et anti-impérialiste
De manière générale, le racisme, les inégalités et le traitement particulier que subissent les banlieues sont dans une très large mesure d’origine coloniale. Le caractère colonial de la situation que l’on vit dans nos quartiers n’est pas toujours évident, pourtant dès que l’on replace cette situation dans la perspective de la domination coloniale, on comprend beaucoup mieux sa logique même s’il ne s’agit pas de l’assimiler à l’oppression coloniale telle qu’elle existait au Maghreb et en Afrique noire. Ainsi, si on prend un cas concret comme la B.A.C (Brigade anti-criminalité) et qu’on en retrace l’histoire, on découvre que son origine provient d’une brigade chargée de contrôler les quartiers indigènes durant la colonisation française en Algérie. Ce n’est qu’un exemple, mais nous pourrions en donner quantité d’autres.
On ne peut d’ailleurs pas séparer les inégalités raciales et la politique impérialiste française (françafrique, soutien à Israël, intervention en Afghanistan, etc…), la politique coloniale outre-mer et la politique vis-à-vis de l’immigration. Dans tous ces cas, il s’agit de préserver la domination du Nord sur le Sud. Les indigènes en France sont considérés comme les représentants du Sud à l’intérieur même du territoire français. C’est pourquoi, du reste, on en parle souvent comme d’une « Cinquième colonne ». Par conséquent, un parti des quartiers ne peut être préoccupé que par les questions qui concernent exclusivement les quartiers ; il doit avoir une perspective politique anticolonialiste et anti-impérialiste.
C’est ce que disait Malcolm X, dans un discours prononcé en 1963 : « Ceux qui viennent (m’écouter) le font car il leur paraît important de comprendre non seulement les problèmes locaux mais aussi les questions internationales, et la manière dont notre peuple, les Afro-américains, s’inscrit dans cet ordre international. (…) Au bout de cinq minutes de conversation, vous avez repéré si votre interlocuteur a l’esprit étroit ou non, si son intérêt se porte sur son quartier ou sur le monde. Avec leurs connaissances limitées, les gens étroits d’esprit pensent qu’ils ne sont affectés que par la vie du quartier. Au contraire, celui qui se tient au courant de la politique internationale sait que les événements qui se déroulent au Sud-Vietnam peuvent rejaillir sur sa vie à St-Nicholas Avenue, ou que ceux qui se passent au Congo peuvent se répercuter sur sa situation sur la Huitième, la Septième ou la Lenox Avenue. Quiconque réalise l’impact du moindre événement dans le monde sur son quartier, son salaire, son acceptation ou non par la société, s’intéresse d’emblée aux affaires internationales. Par contre, une personne qui estime que seul ce qui se passe de l’autre côté de la rue ou en ville la concerne ne s’intéressera à rien d’autre. »
Malcolm X avait parfaitement raison et c’est pourquoi nous avons donné son nom au Congrès de fondation de notre parti.
5°) Le Congrès « Malcolm X » du PIR
Les 27 et 28 février 2010, nous avons constitué le PIR. A cette occasion, pour clarifier notre projet, nous avons discuté et adopté un texte qui précise quelle sera a politique du PIR en tant que parti des quartiers et n parti décolonial.
Ce texte a pour titre : « Principes politiques généraux ». Le PIR y est défini comme : 1) un parti autonome de tous ceux qui sont traités comme des indigènes, pour que ceux-ci soient enfin représentés sur la scène politique, 2) un parti de résistances et de luttes quotidienne contre le mépris, la misère et la ségrégation raciale et culturelle, 3) Un parti décolonial qui agit pour transformer en profondeur la société et l’Etat français afin que puissent être réalisées la justice, l’égalité et la dignité de tous, indépendamment de leurs cultures, de leurs couleurs et de leurs religions, 4) un parti solidaire des luttes anti-impérialistes et anticolonialistes en Afrique, dans les territoires d’Outre-mer, en Palestine et ailleurs.
Ces 4 points constituent la base nécessaire d’un véritable parti des quartiers populaires. Ils sont au cœur de la politique du PIR.
* Cet article a été mis en ligne en avril 2010.