Face à cette négation d’un droit fondamental, celui de manifester, près de 10 000 personnes ont convergé vers Barbès en début d’après-midi. Dès lors, la mission des forces de l’ordre a été très claire : empêcher coûte que coûte l’unité des manifestants, par tous les moyens nécessaires. Diviser, isoler, encercler, écarter, faire taire. C’est ainsi que plusieurs quartiers ont été quadrillés en amont, dont celui de la Gare du Nord et les autres quartiers périphériques de Barbès, où la police se chargeait de bloquer les accès et les mouvements des personnes, très souvent arbitrairement et au faciès. Déjà à 14 heures, plusieurs groupes ont été stoppés de toute progression avant d’être encerclés, tandis que d’autres ont continué inlassablement à chercher une faille pour rejoindre Barbès. Contournement par les rues adjacentes, voies du métro… tous les moyens ont été bons pour atteindre le noyau dur de la manifestation. Premier succès : la détermination était là – interdiction ou non. Les groupes isolés ne faiblissaient pas mais redoublaient de voix aux abords de Barbès et les autres manifestants finirent finalement par gagner Barbès.
Les manifestants étaient nombreux, très nombreux. Des personnes d’horizons très divers, y compris des militants et étudiants d’extrême-gauche et des citoyens de bonne volonté simplement révoltés des massacres qui s’opèrent actuellement à Gaza. Mais ce sont surtout des personnes issues de l’immigration qui gonflaient la foule, et notamment des jeunes, Arabes et Noirs en majorité. La jeunesse postcoloniale était là, plus que jamais visible, politisée et mobilisée en plein Paris, elle qui trop souvent reste reléguée à la marge. Et face à cette présence indigène – une présence très politique – les mensonges éhontés d’État quant à la manifestation du 13 juillet et l’interdiction arbitraire de la manifestation du 19 juillet traduisent deux choses : d’une part la compromission du gouvernement français et son alignement total sur la politique d’Israël, d’autre part la peur de voir la puissance indigène se manifester et exister politiquement. Entre ces deux aspects : le trait d’union est colonial : « A Paris, à Gaza, résistance, résistance ! » scandait la foule à plusieurs reprises. Nous savons que cette résistance est double autant que le sionisme est une idéologie coloniale tout comme l’est la haine de l’indigène. S’opposer à l’interdiction de manifester c’est à la fois affirmer notre soutien inconditionnel aux palestiniens et défier l’État dans sa volonté de faire taire la jeunesse des quartiers.
En si peu de jours nous avons été témoins de toutes les mesquineries possibles et imaginables employées par l’État et la police d’État pour briser cet extraordinaire mouvement de solidarité. Après avoir couvert la LDJ qui a provoqué les affrontements du week-end dernier, la police a franchi une nouvelle étape dans la stratégie du pire. Invoquant pourtant elle-même le trouble à l’ordre public pour interdire la manifestation, la police a décidé en ce jour d’en être l’acteur le plus décomplexé. C’est elle qui – encore une fois – décida de mettre fin à une marche pacifique pour la transformer en un affront. C’est ainsi que peu de temps après le départ du cortège vers 16h, la police se mit à gazer lourdement la foule sans raison valable et à charger en bataille rangée contre les manifestants. Beaucoup de manifestants ont pu tant bien que mal se réfugier dans les cages d’escaliers et immeubles avoisinants – profitant de l’extraordinaire solidarité des habitants du quartier, d’ailleurs eux-mêmes pris pour cibles. A ce moment précis ce n’était que le début d’un long après-midi répressif. Par la suite, d’incessants tirs de flahsballs et de mortiers ont été effectués et la répression s’est étendue à l’ensemble du 18ème arrondissement. Des personnes ont également été arrêtées arbitrairement et de manière violente. Ici, évoquer le racisme d’État est tout sauf de trop. Après la condamnation injustifiée d’un manifestant, Mohamed, 23 ans, une semaine plus tôt à quatre mois d’emprisonnement, le mot d’ordre a visiblement été donné : faire planer le plus possible la menace d’enfermement sur les manifestants. Aussi, les manifestants ont été plusieurs à être témoins de très probables infiltrations de la police dans plusieurs groupes de manifestants : une personne, par exemple, qui a appelé, drapeau français en main et lunettes noires, les manifestants à se disperser avant d’insulter copieusement l’ensemble des personnes présentes alors qu’un dialogue était calmement établi avec la police. Curieusement, même à la demande des manifestants, cette personne n’a pas été approchée par la police « qui fait [sait] son travail ». Elle le faisait visiblement très bien. Voilà donc ce qui est entendu comme la stratégie du pire choisie par l’État : tenter de briser la solidarité envers la Palestine en provoquant délibérément des affrontements artificiellement.
Mais cette stratégie s’est très vite retournée contre les forces de l’ordre, et l’enfumeur se trouva très vite lui-même enfumé. En effet, malgré les souricières, les tirs au mortier, l’intimidation, la police n’a pas été en mesure de contenir la foule. De véritables poches de résistance se sont établies entre les quartiers, avec un mouvement et un afflux continuels de manifestants accompagnés par la population dans son ensemble très solidaire face à l’interdiction et la répression d’État. Pas de répit jusqu’à 20h pour les forces de l’ordre, même avec les renforts des brigades de Seine Saint-Denis et du Val de Marne… c’est dire ! Force est de constater que l’État a perdu la bataille qu’il a voulu mener à Paris en optant pour la stratégie du pire. Et c’était prévisible.
« Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence. » (Frantz Fanon)
Tarieg Guenine, membre du PIR