Le dernier renforcement de l’asphyxie de Gaza par Israel – l’arrêt de toutes les livraisons d’approvisionnement dans la Bande depuis plus d’une semaine (première semaine de novembre) – a produit des conséquences immédiates et choquantes pour le million et demi d’habitants de Gaza.
Le refus de laisser entrer le fuel a entraîné l’arrêt de la seule centrale électrique de Gaza, créant un black-out qui a poussé les Palestiniens à tenir des chandelles dans les rues en signe de protestation la semaine dernière. On s’attend à une crise de l’eau et du système sanitaire.
Et jeudi 13 novembre 2008, les Nations Unies annonçaient qu’il ne leur restait plus d’aliments de base à fournir aux 750’000 Gazaouis désespérément dans le besoin. « C’est devenu un blocus contre les Nations Unies », a déclaré un porte-parole.
Coup supplémentaire, la grande Banque Hapoalim israélienne a dit qu’elle refuserait toutes les transactions avec Gaza d’ici la fin du mois, en imposant effectivement un blocus financier sur une économie dépendante du shekel israélien. Les autres banques projettent de suivre, mises au pied du mur par la déclaration d’Israël en septembre 2007 que Gaza est « une entité ennemie ».
Il y a probablement peu de témoins de la chute de Gaza dans un hiver sombre et affamé. La semaine dernière, tous les journalistes se sont vus refuser l’accès à Gaza, ainsi qu’un groupe de diplomates européens. Quelques jours plus tôt, des dizaines d’universitaires et de médecins qui devaient assister à une conférence destinée à estimer les dégâts du blocus sur la santé mentale des Gazaouis ont aussi été refoulés.
Israël a rejeté la responsabilité des dernières restrictions d’aide et de fuel pour Gaza sur la violation par le Hamas d’un cessez-le-feu de cinq mois en lançant des roquettes depuis de la Bande. Mais Israël est impliqué dans la rupture de l’accord : alors que le monde était distrait par les élections présidentielles aux Etats-Unis, l’armée a envahi Gaza, tuant six Palestiniens et provoquant les tirs de roquettes.
La catastrophe humanitaire à Gaza n’a pas grand-chose à voir avec les dernières attaques de représailles entre le Hamas et Israël. Il y a environ un an, Karen Koning Abu Zayd, commissaire général de l’agence pour les réfugiés de l’ONU, a mis en garde : « Gaza est sur le point de devenir le premier territoire à être intentionnellement réduit à un état de misère abjecte. »
Elle a rejeté l’asphyxie de Gaza directement sur Israël, mais a aussi cité la communauté internationale comme complice. Ensemble, ils ont commencé à bloquer l’aide en 2006, suite à l’élection du Hamas à la tête de l’Autorité Palestinienne.
Les Etats-Unis et l’Europe ont accepté la mesure sur le principe que cela forcerait la population de Gaza à repenser son soutien au Hamas. La logique était soi-disant la même que celle qui avait conduit aux sanctions appliquées contre l’Irak sous Saddam Hussein dans les années 90 : si les civils gazaouis souffrent assez, ils se soulèveront contre le Hamas et installeront de nouveaux leaders acceptables pour Israël et l’Occident.
Comme l’a dit Mme Abu Zayd, ce moment a marqué le début de la complicité de la communauté internationale dans la politique de punition collective imposée à Gaza, en dépit du fait que la Quatrième Convention de Genève classe un tel traitement des civils comme un crime de guerre.
Le blocus s’est poursuivi depuis de façon implacable, même si le résultat espéré n’a pas été plus atteint à Gaza qu’il ne l’a été en Irak. Au lieu de cela, le Hamas a enraciné son contrôle et a consolidé la séparation physique de la Bande de la Cisjordanie dominée par le Fatah.
Loin de reconsidérer leur politique, les dirigeants israéliens ont répondu en mettant la pression toujours plus fort – jusqu’au point où la société gazaouie est maintenant au bord de l’effondrement.
En vérité, la catastrophe grandissante déclenchée à Gaza est seulement indirectement liée à l’arrivée au pouvoir du Hamas et aux attaques de roquettes.
Ce qui intéresse le plus Israël, c’est ce que chacun de ces développements représente : un refus de la part des gazaouis d’abandonner leur résistance à l’occupation continue d’Israël. Les deux fournissent à Israël un prétexte pour se débarrasser des protections offertes aux civils gazaouis par le droit international pour les soumettre.
Avec un timing gênant, les médias israéliens ont révélé ce week-end que l’un des premiers actes d’Ismaïl Haniyeh, le premier ministre élu en 2006, a été d’envoyer un message à la Maison Blanche de Bush offrant une trêve de longue durée en échange de la fin de l’occupation israélienne. Son offre a été complètement ignorée.
Au lieu de cela, selon le quotidien Jérusalem Post, les politiciens israéliens ont cherché à renforcer l’impression qu’ « il serait inutile pour Israël de faire tomber le Hamas parce que la population (de Gaza) est le Hamas. » Selon ce point de vue, la punition collective est justifiée parce qu’il n’y a pas de vrais civils à Gaza. Israël est en guerre avec chaque homme, femme ou enfant.
Pour montrer à quel point cette opinion est partagée, le conseil des ministres a discuté la semaine dernière (novembre 2008) d’une nouvelle stratégie pour détruire les villages dans une tentative de stopper les tirs de roquettes, un écho aux tactiques israéliennes discréditées utilisées au Sud Liban pendant la guerre de 2006. Les habitants devraient être prévenus avant que commence le bombardement aveugle.
En fait, le désir d’Israël d’isoler Gaza et de terroriser sa population civile précède même l’élection victorieuse du Hamas. On peut le dater de l’époque du désengagement d’Ariel Sharon pendant l’été 2005, quand le gouvernement du Fatah de l’Autorité Palestinienne était incontesté.
Une indication sur le type d’isolement que Mr Sharon souhaitait pour Gaza avait été révélée peu de temps après le retrait, en décembre 2005, quand les officiels ont d’abord proposé la coupure de l’électricité de la Bande.
La politique n’a pas été mise en application, les médias locaux l’ont fait remarquer à ce moment-là, à la fois parce que les dirigeants pensaient que la violation des lois internationales serait rejetée par les autres nations et parce qu’ils redoutaient qu’une telle action ne porte atteinte aux chances du Fatah de gagner les élections le mois suivant.
Toutefois, le vote terminé, Israël avait une excuse pour commencer à se soustraire de toute responsabilité envers la population civile. Il a revu sa relation avec Gaza en passant d’une relation d’occupation à une relation de guerre avec des parties hostiles. Une politique de punition collective qui était considérée, de toute évidence, comme illégale en 2005 était devenue alors un mode opératoire normal d’Israël.
Les paroles de plus en plus véhémentes des officiels , culminant en février avec la remarque infâme du député Matan Vilnai (ancien militaire, membre du Parti travailliste) à propos de créer une « shoah » ou holocauste à Gaza, correspondaient aux mesures israéliennes. Les Forces de l’Occupation ont bombardé la centrale électrique de Gaza en juin 2006, et, depuis lors, ont coupé les livraisons de fuel.
En janvier, Mr Vilnai a affirmé qu’Israël devrait se désengager de « toute responsabilité » envers Gaza et deux mois après, Israël signait un accord avec l’Egypte pour qu’elle construise une centrale électrique dans le Sinaï.
Toutes ces actions sont faites avec le même objectif en tête : persuader le monde que l’occupation de Gaza par Israël est terminée et qu’Israël peut donc ignorer les lois de l’occupation et utiliser une force constante contre Gaza.
Les ministres ont fait la queue pour exprimer de tels sentiments. Ehud Olmert, par exemple, a déclaré que les Gazaouis ne devaient pas être autorisés à « avoir une vie normale » ; Avi Dichter (membre du nouveau parti Kadima et depuis mai 2006, Ministre de la Sécurité intérieure) croit que des punitions doivent être infligées « sans tenir compte du coût pour les Palestiniens » ; Meir Shetrit (ministre des Transports) a recommandé qu’Israël « choisisse un quartier dans Gaza et le rase » – c’est la politique discutée par les ministres la semaine dernière.
En même temps, Israël a relativement fermé les yeux sur l’augmentation du marché de contrebande par les tunnels entre Gaza et l’Egypte. Le bien-être matériel des Gazaouis est actuellement en train de peser plus lourdement sur les épaules de l’Egypte.
La question demeure : quelle réponse attend Israël des gazaouis pour leur appauvrissement et l’insécurité toujours plus grande en face des représailles militaires israéliennes ?
Eyal Sarraj, le chef du Programme de Santé Mentale à Gaza, a dit cette année que l’objectif à long terme d’Israël était de forcer l’Egypte à mettre fin à son contrôle le long de sa petite frontière avec la Bande. Dès que la frontière est ouverte, prévient-il, « Attendez-vous à un exode ».
Jonathan Cook,
17 novembre 2008
* Paru en français sur le site de « A l’encontre ».
* Jonathan Cook est un journaliste britannique basé à Nazareth. Il dispose d’un site : www.jcook.net. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier s’intitule Disappearing Palestine. Israel’s Experiments in Humam Despair, Zed Book, octobre 2008.