La situation est à son comble en Languedoc-Roussillon – région qui a pourtant vu naître la mobilisation contre l’installation de la société israélienne Agrexco dans le port de Sète([Sur la mobilisation contre l’installation de la société israélienne Agrexco dans le port de Sète, voir le site internet de la Coalition contre Agrexco, http://www.coalitioncontreagrexco.com/. Cette coalition a connu un succès rapide et est désormais composé de près de 90 associations, organisations, syndicats et partis politiques. Cf. aussi le reportage de la chaîne Al Jazeera à l’occasion de la manifestation régionale contre Agrexco le 25 juin 2009 à Montpellier ? disponible sur le blog du Collectif Resistance 30 de Nîmes, http://resistances30.skyrock.com/.)] – où certains commerçants n’ont pas hésité à disposer à la vente des dattes provenant de la société… Agrexco ! Nombreux sont donc les musulmans qui, en cette période de Ramadan, achètent des dattes en provenance des colonies israéliennes. Reconnaissables à leur forme (elles sont en général plus grosses que les dattes provenant du Maghreb) et à leur goût, la présence de ces dattes auprès des commerces communautaires n’en constituent pas moins un scandale. Cette situation hallucinante mérite des clarifications quant au fait d’acheter et de consommer des produits en provenance d’un Etat (Israël), dont les massacres récents, la politique coloniale et les méthodes sanglantes ne sont un secret pour personne et ont clairement été mis à l’index par les organisations de défense des droits de l’homme([Cf. Le rapport accablant d’Amnesty International sur l’offensive israélienne à Gaza de janvier 2009. Cette même organisation avait déjà accusé Israël d’avoir commis des « crimes de guerre » lors de la guerre du Liban à l’été 2006. Cf. Gaza : 22 jours de mort et de destruction, rapport d’Amnesty International disponible sur le site de l’organisation, www.amnesty.fr et Amnesty International dénonce les « crimes de guerre » commis par l’armée israélienne au Liban, Le Monde, 23 Août 2006.)]. Aussi, l’objectif de ce texte est clair : il s’agira pour nous de rappeler le caractère illicite, au regard de la loi islamique, de la consommation de produits israéliens et particulièrement ceux provenant des colonies. Car l’heure est grave : alors que le mois du Ramadan bat son plein – mois de partage, de recueillement et de communion spirituelle à travers la Oumma – et qu’il est observé en France par des millions de musulmans, il est quand même consternant et affligeant de voir les dattes israéliennes envahir les marchés et épiceries de nombreux quartiers populaires.
Rappelons d’abord les règles qui guident les principes islamiques. La promotion du droit, de la justice, de la dignité humaine, de même que la défense de l’opprimé, l’assistance aux pauvres et aux déshérités constituent des points cardinaux de l’éthique islamique. La vie du Prophète Mohamed (Saw) est à ce titre exemplaire : symbole de bonté et d’humanité, il était constamment au service des hommes. Une célèbre tradition prophétique nous rapporte que « le meilleur des hommes est le plus utile à ses semblables »(Hadith considéré comme hassan (fiable) et rapporté par Al-Qudâ’y, Ibn ‘Assâkir et d’autres d’après le compagnon Jâbir). Cette bienfaisance devait se voir naturellement intensifiée pendant le mois de Ramadan. Ibn ‘Abbâs rapporte : « Le messager de Dieu était l’homme le plus généreux, et il l’était davantage pendant le Ramadan, quand il recevait (l’archange) Gabriel. Gabriel lui rendait visite chaque nuit de Ramadan, et ce jusqu’à la fin de ce mois durant lequel le prophète lui récitait le Coran. Lorsque Gabriel rencontrait le Prophète, celui-ci se montrait plus généreux que le vent amenant la pluie. »([Hadith rapporté par Bukhâri et Muslim.)].
En plus de ces valeurs d’humanité, l’islam fait de la fraternité et de la communion spirituelle entre les croyants une nécessité vitale. Après l’Hégire de La Mecque vers Médine, le Prophète Mohamed (Saw) fonda la nouvelle société sur trois piliers : la construction de la mosquée (lieu fédérateur par excellence), la fraternité entre les Ansars et les Mohajirines([Les Ansars étaient les habitants de Médine ayant adopté la nouvelle foi tandis que les Mohajirines représentaient les Mecquois ayant quitté La Mecque en compagnie du Prophète (Saw).)] et la Déclaration de Médine (ou Constitution de Médine). Il est intéressant de noter qu’immédiatement après avoir posé les bases de la mosquée, le Prophète a fait de la solidarité et de la fraternité entre les musulmans une règle d’or, véritable socle sur lequel reposerait la nouvelle société qui venait de s’établir à Médine([Cf. l’ouvrage en arabe « Fiqh As Sira An Nabawiyya » (Fiqh de la Biographie du Prophète Mohamed), Dr Saïd Ramadan Al Bouti, Dar As Salam, Damas, Syrie. Saïd Ramadan Al Bouti figure parmi les savants musulmans les plus réputés de l’époque contemporaine.)]. Cette notion de fraternité est si prégnante chez les musulmans que l’islam considère ses adeptes comme tenant d’une même famille. Le Coran nous enseigne d’ailleurs : « Les croyants ne sont que des frères. Etablissez la concorde entre vos frères, et craignez Dieu, afin qu’on vous fasse miséricorde »(Coran, Sourate 49 : Les appartements (Al-Hujurat), Verset 10.). Dans ce cadre, il ne fait aucun doute que la Oumma, au sens de communauté spirituelle mondiale, n’est pas insensible aux malheurs et à l’injustice qui frappent les musulmans de Palestine, d’Irak, de Tchétchénie ou du Soudan – et plus largement du monde. Et ce sentiment d’appartenance à une même communauté de foi se manifeste de la manière la plus éclatante pendant le mois de Ramadan.
Nous profitons donc de ce mois sacré pour lancer un appel aux musulmans de France et d’Europe. Il leur faut tout mettre en œuvre, par voie pacifique, pour contribuer à mettre un terme à l’une des injustices les plus longues de l’histoire contemporaine. Israël se considérant constamment au dessus du droit et la communauté internationale étant incapable de forcer l’Etat hébreu à appliquer les résolutions internationales, il appartient désormais aux peuples et aux citoyens de la planète d’agir pour la défense et le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Initiée par de nombreuses associations palestiniennes issues de la société civile palestinienne et soutenue par plusieurs prix Nobel de la Paix, l’arme du boycott est aujourd’hui l’un des moyens les plus efficaces pour contraindre Israël à se plier au droit international(171 associations palestiniennes ont lancé, en juillet 2005, l’appel BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanction). A l’instar du boycott du régime d’Apartheid d’Afrique du Sud dans les années 1980, l’objectif de cette campagne est de susciter une dynamique de Boycott à l’égard de l’Etat d’Israël pour le contraindre à appliquer le droit international. Cf. http://www.bdsmovement.net/.). En ce sens, les musulmans d’Occident ont une responsabilité historique à mettre en pratique ce boycott et ce, à tous les niveaux et notamment dans le domaine économique. Plus qu’une responsabilité, c’est un devoir et nous allons ici en détailler les motivations.
Par conséquent et au regard de la situation actuelle, il nous apparait primordial de rappeler que l’éthique du musulman devrait lui interdire de consommer des produits provenant de l’Etat d’Israël. En ce sens, nous appelons les musulmans d’Europe à souscrire aux recommandations émises par l’Union Mondiale des Oulémas au sujet de la solidarité que doivent témoigner les musulmans du monde à l’égard du peuple palestinien. Nous affirmons cela sur la base de l’avis juridique (Fatwa) émis le 31 décembre 2008 par l’Union Mondiale des ‘Oulémas, association qui regroupe des dizaines de personnalités religieuses et de savants provenant de nombreux pays musulmans comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Indonésie, le Maroc, la Jordanie etc. et présidée par le Cheikh Youssouf Al Qardawi. D’après cet avis juridique, promulgué en plein carnage à Gaza, « Il incombe à la Oumma toute entière de soutenir et de venir en aide au peuple de Gaza, victime de la barbarie israélienne. Cet édit religieux (hukm shar’i) est valable pour tous les musulmans de la planète sans exception et s’adresse autant aux gouverneurs qu’aux peuples. (…) Car la Oumma est à l’image d’un seul corps, si un membre se plaint, c’est tout le corps qui souffre. En effet, les croyants sont frères et l’agression infligée à l’un d’eux devient une. ». Dans ce même texte, les savants musulmans mettaient l’accent sur le boycott des produits israéliens comme moyen de lutter contre l’impunité et l’agression israélienne : « Nous appelons à faire revivre la dynamique du boycott économique à l’égard des produits israéliens et même américains. C’est l’un des moyens les plus efficaces et l’une des armes les plus redoutables pour venir à bout de l’agresseur. Car chaque centime dépensé dans ces produits se transformera en balle qui finira par se loger dans le corps de l’un de nos frères »([La traduction de cet avis juridique (Fatwa) est disponible à l’adresse suivante : http://www.tariqramadan.com/spip.php?article10523 : « L’Union mondiale des ‘Oulémas appelle au soutien à la résistance », Ennari Nabil, 14 janvier 2009.)].
Cet appel au boycott d’Israël émis en janvier dernier a depuis été rappelé à de nombreuses reprises. Il apparaît donc important pour nous d’affirmer que ce boycott ne relève pas simplement du choix. Au regard de ce qui précède, nous pouvons soutenir que le boycott des produits israéliens relève non seulement d’une démarche éthique, d’un acte citoyen mais également du devoir religieux. Cette attitude devrait, pour les musulmans, s’intensifier pendant le mois de Ramadan, période propice à la compassion et à la solidarité. En effet, jamais la situation du peuple palestinien n’aura été si tragique. Alors qu’Israël est gouverné depuis plus de six mois par un gouvernement d’extrême droite, la population palestinienne n’en finit plus de croupir dans des conditions insoutenables. Le peuple de Gaza souffre toujours d’un blocus criminel et abject qui maintient près d’un million et demi de personnes dans des conditions épouvantables. Même la mosquée Al Aqsa fait aujourd’hui l’objet d’assauts répétés de colons fanatiques et les fouilles entreprises par les gouvernements israéliens depuis quelques années vont jusqu’à menacer les fondations du Troisième lieu saint de l’Islam([Cf. à ce sujet La mosquée Al Aqsa est en danger !, Ennasri Nabil, www.oumma.com, 12 Août 2009. Cf. également l’émission Bila Houdoud d’Al Jazeera, diffusée le 25 Août 2009 et consacrée en partie aux menaces de destruction de la mosquée Al Aqsa.)]. Comment donc en cette période de Ramadan, moment intense de recueillement où nos pensés et invocations devraient être destinées à ce peuple martyr, consommer des produits d’un Etat criminel qui – dernier avatar d’une longue série d’agissements sanglants – vient de se rendre coupable d’un abominable trafic d’organes prélevés sur le corps de Palestiniens([Un journal suédois accuse l’armée israélienne de trafic d’organes de Palestiniens, Le Monde, 24 Août 2009 et Israël accusé de trafic d’organes, Hicham Hamza, www.oumma.com, 24 Août 2009.)]? Comment pourrait-on rompre son jeûne avec des dattes issues d’un pays sur lequel plane des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et commercialisés par des sociétés (Agrexco-Carmel) qui sont le bras armé de la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ? Est-ce qu’il est logique et cohérent à ce que des musulmans puissent, pendant le Ramadan, participer financièrement à la colonisation israélienne et contribuer ainsi à faire perdurer le cauchemar palestinien ?
Il faut donc dire et répéter aux citoyens européens de confession musulmane (notamment ceux de France et de Belgique) que la consommation de dattes israéliennes est comme une insulte proférée à l’égard du peuple palestinien. On ne peut concevoir que le mois de Ramadan soit une occasion pour les colonies juives de voir leur production s’écouler auprès des consommateurs musulmans occidentaux surtout lorsqu’on se rappelle que le Prophète Mohamed (Saw) lui-même utilisa cet arme lors de l’embargo décrété contre Qoraysh par l’entremise de la tribu Banu Hanifa(Episode de la Sîra du Prophète (Saw) rapporté par Al Bûkhari ainsi que par Muslim d’après Abou Hourayra. Les Banu Hanifa (tribu de la région Al-Yamâma au Yémen) coupèrent tout approvisionnement en direction des Qorayshites et ce, en raison de leur hostilité envers la nouvelle religion.). Consommer des dattes israéliennes est donc illicite pour qui entend vivre conformément à l’éthique du musulman. Cet appel que nous lançons aujourd’hui rejoint pleinement celui lancé par la campagne BDS pour qui le boycott est une prise de position pacifique et citoyenne. En effet, les solidarités qui composent le mouvement de soutien à la cause palestinienne sont plurielles et complémentaires et c’est cette dynamique prometteuse qui permettra de mettre en branle une campagne internationale de boycott de l’Etat d’Israël, dont les premiers succès apparaissent déjà(Israël est-il menacé par une campagne de désinvestissement ? Willy Jackson, Le Monde diplomatique, Septembre 2009 et Veolia s’apprête à se désengager du tramway de Jérusalem, Le Monde, 10 juin 2009.).
Comme ce fut le cas pour le régime d’Apartheid en Afrique du Sud, il faut désormais contraindre Israël à cesser son occupation et son entreprise de colonisation des territoires palestiniens. Notre démarche rejoint d’ailleurs celle soutenue par d’autres autorités religieuse non-musulmanes. En visite en Palestine, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, ancien prix Nobel de la Paix et figure emblématique de la lutte contre l’Apartheid, a récemment soutenu au quotidien israélien Ha’aretz qu’il était « nécessaire de frapper le régime d’apartheid (israélien) au portefeuille, comme cela a été le cas en Afrique du Sud avec l’embargo sur les armes et le boycott économique. »([Cf. http://www.haaretz.co.il/hasen/spages/1110762.html)]
Nabil Ennasri et Mustapha Kastit