Soudain, une forte explosion trouble le calme de cet endroit, seule porte d’entrée et de sortie pour toute la population de Gaza meurtrie par plus de 3 semaines d’intenses bombardements. Un hélicoptère israélien vient de lâcher un missile qui visait certainement un tunnel de la Résistance, seul moyen de briser le blocus criminel qui étrangle les Gazaouis depuis près de deux ans.
Le lieu de l’explosion ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres de nous et le choc de l’explosion nous a tous fait sursauter. Scène terrible mais en même temps tellement coutumière des habitants de Gaza, victimes depuis plus de 40 ans de l’occupation israélienne.
C’était donc la première fois que nous assistions à un bombardement pour la plupart d’entre nous. Tout s’est passé si vite. En quelques secondes, l’hélicoptère a lâché son missile, survolé la zone de bombardement et est reparti alors que l’imposante fumée ne mettait que quelques minutes à disparaître du ciel, pourtant très clair, de cette bande de terre abandonnée par le monde entier.
Ce premier contact avec la bande de Gaza nous permet de constater à quel point le cessez-le-feu décrété il y a quelques semaines n’est qu’une chimère et qu’Israël poursuit ses bombardements avec la même impunité qui la caractérise depuis toujours. D’ailleurs, trois autres explosions retentiront encore dans la journée, toujours à proximité du terminal de Rafah et pendant des heures, nous constaterons la présence des drones survolant le territoire.
Nous resterons toute la journée au point de passage de Rafah, les autorités égyptiennes ayant interdit tout passage d’étrangers dans la bande de Gaza. Seules, quelques ambulances et voitures entreront et sortiront de ce point de passage qui est en fait un véritable barrage qui maintient la bande de Gaza dans une situation dramatique. Car depuis le 5 février, quasiment plus personne ne rentre et ne quitte la bande de Gaza faisant de celle-ci une véritable prison, ou plutôt une cage à ciel ouvert. Les histoires sont nombreuses de médecins, de volontaires internationaux ou de simples Gazaouis qui voient leur entrée refuser par les responsables égyptiens.
La raison ? L’ouverture du point de passage est suspendue aux négociations en cours entre le Hamas et Israël et tant que la trêve n’est pas signée, la frontière restera hermétiquement fermée. Nous savions que l’Égypte collaborait avec Israël pour faire plier le Hamas à Gaza mais la constatation de visu de cette alliance honteuse nous a tous mis en colère.
Car il y avait quelque chose de surréaliste de voir les obus israéliens exploser de l’autre côté de la frontière alors que de ce côté-ci, les Égyptiens nous refusaient le passage pour porter assistance à un peuple en danger. Pris entre le marteau et l’enclume, on imagine la souffrance, la colère et le désespoir de ces centaines de milliers de personnes, victimes d’une situation hallucinante et révoltante.
Le lendemain, la situation est restée sensiblement la même. Seule une fine pluie donnait au désert une allure plus chatoyante. L’air s’était rafraichi en même temps que notre espoir de voir le terminal de Rafah s’ouvrir. En effet, cette journée allait se terminer comme celle de la veille. La police égyptienne ne laisse personne passer. Nous rencontrons devant le poste-frontière des familles palestiniennes à l’histoire stupéfiante.
Elles sont bloquées en Égypte depuis plusieurs jours voire depuis quelques semaines. Leur faute ? Personne ne sait, les autorités égyptiennes leur faisant savoir simplement qu’il leur est interdit de rentrer chez eux !! Nous sommes, avec d’autres médecins et volontaires étrangers provenant de Corée du Sud, d’Irlande, de Malaisie et du Canada spectateurs d’une véritable mascarade à l’accent tragique. En témoigne ces médecins marocains quittant la bande de Gaza et relatant une situation catastrophique ou cette voiture transportant dans un cercueil la dépouille d’une femme et qui mettra des heures à franchir la frontière…
En fin de journée, nous rentrons à Al-Arish, ville moyenne située à une quarantaine de km de Rafah. Avant de rentrer à notre hôtel, nous passons par le stade municipal, notre correspondant égyptien nous ayant informé que des tonnes d’aide humanitaire y était stockées. Quelle a été notre surprise en constatant ce gâchis inqualifiable. 12 000 tonne de vivres, de médicaments et de couvertures offerts par des pays du monde entier (Jordanie, Libye, Vénézuela, Qatar etc.) et provenant également des provinces d’Egypte se trouvent ici depuis un mois.
Des centaines de palettes d’eau, d’huile, de riz, de farine, de vêtements sont entassées de manière anarchique, certaines étant très endommagées. Des sacs de riz éventrés nous font comprendre qu’une partie de cette aide est déjà perdue. Plus tard dans la soirée, lors d’une rencontre avec des responsables des Nations Unies chargés de l’aide humanitaires, nous apprendrons que 15% de toute cette aide, soit plus de 1800 tonnes de vivres, est anéantie. Alors que le million et demi de Palestiniens manque de tout, l’Égypte bloque et laisse pourrir cette aide précieuse. A l’incompréhension s’ajoute désormais la colère.
Le jour suivant, soit le mercredi 18 février, nous décidons de retourner à Rafah pour continuer à mettre la pression, aussi modeste soit-elle, sur la police égyptienne.
D’ailleurs, cette dernière semble visiblement agacée par notre détermination à vouloir franchir la frontière. Bien sûr, notre demande d’entrer à Gaza se verra essuyer une fin de non-recevoir de la part des Moukhabarat, les « légendaires » services secrets égyptiens, omniprésents dans ce secteur hautement sensible. Croulant sous une température de près de 30°, nous serons alors rejoints par un groupe de musiciens jordaniens désirant partager leur art avec leurs homologues palestiniens.
Dépités par le refus des policiers égyptiens, les chansons qu’ils entonneront seront bientôt couvertes par le vrombissement des F-16 israéliens qui attaqueront à plusieurs reprises. Cette journée aura été la plus violente depuis notre arrivée. Plusieurs bombardement auront lieu et la terre tremblera littéralement sous nos pieds à différentes reprises. Le paysage de Gaza en cette fin d’après-midi de février est parsemée de colonnes de fumée noire, symboles de l’oppression et de l’injustice infligées à tout un peuple.
A l’heure où ces lignes sont écrites, la probabilité de nous voir franchir le barrage de Rafah s’amenuise de plus en plus. En effet, les discussions autour de la trêve s’éternisent, Israël arguant encore une fois de faux prétextes pour ajourner sa mise en application. Rafah, triste et lugubre point de passage désespérement fermé, n’est que le reflet du cynisme d’une communauté internationale qui a décidé d’abandonner tout un peuple.
Devant Gaza la martyre, outre toutes ces violations répétées des lois humaines les plus élémentaires, nous retiendrons surtout ces quelques mots lancés à la face du monde par cette mère palestinienne, dont on refuse l’entrée à Gaza et qui n’a pas revu ses enfants depuis plus de trois mois : « Ghaza da’iman tabqa arda lsabr wassoumoud »…
Ennasri Nabil
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis). Son mémoire « Le champ politico-religieux du Qatar : une vision estudiantine » obtenu en vue de la validation du Master II (Recherche) « Politique Comparée » à été rédigé sous la direction du professeur François Burgat. Il est également membre du Collectif des Musulmans de France.