Détournement

le 50e anniversaire des indépendances africaines

La France s’apprête à célébrer en grande pompe, pour l’Afrique ? ou plus certainement pour elle-même, le 50ème anniversaire des indépendances africaines de 1960 qui avaient fini par briser sa domination coloniale raciste sur le continent suite à des décennies de luttes anticolonialistes des peuples africains ou d’ailleurs.

A notre connaissance, elle est la seule ancienne puissance coloniale européenne à vouloir ses festivités à domicile, à partir du 14 juillet 2010. Pourquoi ?

Sans doute pour sa propre gloire. Sinon comment comprendre qu’un colonialisme, défait dans les principes et la réalité, puisse fêter sa défaite et sa condamnation par l’histoire.

On le sait : la digestion de ce moment honteux du passé nationale n’est pas terminée malgré des assaisonnements mythologiques ; et il est à craindre que ces festivités, en totale contradiction avec les idéaux trahis de 1789, ne répètent des moments d’indigestion de cette histoire continuée aujourd’hui par un néocolonialisme prédateur en Afrique ; et sans cesse révisionniste, criminalisant et sécuritaire ici même.

De ce point de vue, que disent et signifient ces célébrations voulues par la France ? Cette France de Sarkozy-Hortefeux-Besson et autres socio-démocrates de paille ? Quels enjeux politiques visent-ils? Quelle nouvelle relecture de ce passé colonial peuvent-ils encore déclinées et exprimées en dehors de la vision rétrograde et arrogante qu’ils partagent sur l’Afrique et ses peuples ? On peut même, légitimement, craindre le pire dans ces conditions ; car le néo-conservatisme régnant, qui aujourd’hui caractérise et marque idéologiquement les sommets de l’Etat en France, prédispose franchement à une exhumation-manipulation des plus réactionnaires de ce passé colonial. Sa perception et son évaluation se sont toujours opérées par fantasme et sur le mode de l’apport de civilisation à des sauvages. Mais on le sait. Un tel aveuglement a pour fonction d’occulter, de façon hypocrite et unilatérale, tout le processus historique de l’exploitation-oppression-implantation de la domination coloniale et de l’impérialisme dont les intérêts étroits, objet de toutes les protections, n’ont cessé de peser de détruire ou d’abîmer l’existence quotidienne des peuples.

Cette France là, on la connaît déjà. Et c’est peu de dire que sa vision de l’Afrique relève d’une arriération intellectuelle et idéologique dévastatrice. Trop liée à ses propres intérêts néocoloniaux et continuellement appuyée sur les dictateurs prédateurs africains qu’elle soutient ou met en place, la présence française en Afrique reste encore très éloignée de toute ambition de prospérité et de progrès démocratique au profit des peuples.

Qu’avons-nous donc à espérer du battage médiatique honteux à venir ? Des défilés et parades d’autocrates africains à la tête de leurs troupes invitées au défilé du 14 juillet ? En tant qu’anti-impérialistes et militants de la paix, de la solidarité et de l’amitié avec les peuples d’Afrique, la réponse est : Rien ! Mais on peut rêver et espérer qu’à l’occasion de ces festivités où seront conviés les éléments les plus frelatés du néocolonialisme en Afrique, la France assume enfin le cours honteux de son histoire coloniale en Afrique et ailleurs. Là où justement, par « inspiration dite civilisatrice », elle s’est adonnée aux pillages et aux massacres de populations dressées dans la résistance contre sa domination, son oppression, sa politique d’exploitation ou de déni des droits les plus élémentaires qu’elle proclamait par ailleurs de façon hypocrite. On peut rêver et espérer qu’elle rende hommage aux soulèvements populaires et aux luttes de libération nationale. Et qu’elle reconnaisse enfin les grandes figures de l’anticolonialisme africain dont les combats contre le racisme colonial, l’exploitation, l’oppression, les inégalités et les injustices restent une contribution majeur à la paix.

Mais vu l’étroitesse du cadre de définition des manifestations, il n’est pas certain qu’on avance dans la bonne direction. La réduction de leur assiette spatio-temporelle au pré-carré (Afrique occidentale, équatoriale et insulaire malgache où subsistent encore ses bases militaires de présence néocoloniale) et à l’année 1960 (comme date de rupture historique) traduit une méconnaissance de la profondeur de l’histoire de l’Afrique dont les impulsions et les rythmes les plus décisifs, en termes d’émancipation, ont toujours été imposés de l’intérieur par des initiatives africaines mêmes. Le rejet de l’esclavage, de la colonisation, de l’apartheid ou du néocolonialisme prédateur relèvent de telles initiatives. Et c’est bien antérieurement à 1960 que le continent entame sa libération. Pour l’exemple, le Libéria est indépendant en 1847, l’Afrique du Sud en 1910, l’Egypte en 1922, la Libye en 1951, le Soudan, le Maroc et la Tunisie en 1956. Ils sont rejoints par le Ghana (nom symbole de la renaissance africaine) en 1957, la Guinée en 1958 après le « NON à la France Gaullienne ». L’exception ici est l’Ethiopie indépendante depuis l’antiquité.

L’aboutissement des indépendances de 60 s’inscrit donc dans un contexte de résistances et de contestations lointaines et multiformes qui mobilisent le monde des campagnes et des villes, des travailleurs, des femmes, des étudiants de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France ) et d’autres, de militants progressistes, des combattants dans la lutte armée en Algérie(1954), au Mozambique, en Angola, en Guinée Bissau, au Zimbabwe, en Namibie…au Sahara Occidental, sans compter tous les fronts désamorcés précipitamment.

L’anticolonialisme soviétique, américain ou onusien pour d’autres raisons, du groupe des Non-alignés, de Cuba ont contribué à ces luttes africaines, victorieuses du colonialisme français, anglais ou portugais et espagnol dans les années 70-80. Ces luttes continuent aux Comores contre la France à Mayotte ou contre le Maroc au Sahara Occidental où se rejoue le jeu colonial contrairement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Devant cette France non débarrassée de ses relents coloniaux, on ne peut s’empêcher de citer F. Fanon. « En colonie, les colons n’étaient pas payés à lire Marx » ni mêmes les humanistes bourgeois. Les massacres et la torture y relevaient de l’ordinaire. Et devant un tel bilan, au lieu de célébrations douteuses, chargées de révisionnisme historique éculé, d’appels du pied à des dictateurs prédateurs africains, la France gagnerait à s’amender de ses crimes coloniaux, à se désengager de sa politique néocoloniale impénitente, à fermer ses bases de présence militaire et à s’engager dans une politique efficace de coopération respectueuses de la paix et des indépendances non octroyée mais gagnées ou conquises par les peuples d’Afrique.

Cette France là, en interne, par respect pour ses propres prétentions de grandeur, se devait de faire l’économie de débats nauséeux sur l’identité nationale et autres mythologies entretenues par des élites conservatrices dont l’abonnement à un républicanisme étroit policier et socialement dangereux ne relève plus de la fiction. Et il est à craindre qu’on ait carrément oublié une évidence, à savoir que l’ambition de la grandeur nationale appelle ici, nécessairement, une autre lecture de l’histoire. Une lecture critique, conjuguée avec une autre politique pour l’égalité sociale ; et donc de combat contre tous les racismes dont sont victimes les ressortissants et citoyens originaires de l’ancien empire colonial anéanti.

Harana Pare

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