Paternalisme

La triste et tragique condition de minorité visible

Pour parler de culture, quoi de mieux que de commencer par une chanson. Cartman de Southpark chante dans There is too many minorities : « Il y a trop de minorités (… ) C’était notre terre, notre rêve et ils ont tout pris . » Ce n’est pas du grand art, certes, mais c’est une parfaite illustration de l’idéologie De Souche. Ce que craint le plus cette idéologie c’est que nous sortions de ce statut de minoritaire et que nous réclamions notre du. Elle s’imagine dominante parce que plus nombreuse. Elle croit sincèrement au titre de propriété racial qu’elle s’est auto-attribuée sur la Terre.

Mais ce, en quoi elle n’a pas tort, c’est que, malheureusement, nous partageons son rêve. Rêve pour elle, réalité cauchemardesque pour nous ! Or un rêve ne part pas de rien, il s’ancre dans l’imaginaire d’une culture. Si notre imagination est enlisée, c’est surtout parce que nos cultures sont à genoux. Pour vivre nos propres rêves, il faut donc les relever !

La culture ne nous intéresse donc pas comme une couleur supplémentaire apportée à l’arc-en-ciel diversité. Elle nous intéresse par le potentiel de dignité qu’elle détient pour les indigènes. En ce qui nous concerne, c’est surtout l’indignité… Nos cultures sont infériorisées, minorisées, dominées et reléguées à la marge. Or nos cultures, qu’est-ce sinon nous-mêmes qui pratiquons, échangeons, créons ? Nous continuons à exister que parce que nos cultures existent. Sans culture propre nous ne pouvons exister que dans le regard de l’Autre, du dominant, du Blanc. Relever la dignité de nos cultures conduira à nous-relever nous-mêmes. C’est un problème lié à notre statut de dite « minorité visible ».

La condition de minorité visible, une infantilisation

Nous, originaires de l’immigration post-coloniale, avons été récemment affublés du sobriquet de minorité visibles. Popularisé par les dominants, le terme de minorité est comme un appel à la condescendance, lorsque l’on parle de nous comme de pauvres victimes. Mais c’est également un appel au contrôle étroit lorsque nous sommes soupçonnés de communautarisme. Ce discours, les plus darwinisés d’entre nous, sont même, comme souvent, venus à le reprendre. A ceux qui sont comme hypnotisés par la magie du chiffre, j’aimerais qu’ils se réveillent. Parle-t-on de la minorité chômeur ? De la minorité étudiante ? De la minorité retraitée ? Pourtant ces groupes sociaux sont, on ne peut plus, minoritaires en nombres. Non pour eux on ne parle pas de minorité, car ce terme de minorité ne sert à rien de plus qu’à parler des groupes sociaux dominés et marginalisés. A l’exception notable des enfants que l’on qualifie de mineurs. Mais au fond n’est-ce pas simplement qu’ils nous conçoivent comme de grands enfants, des mineurs à vie ? Le Noir est un grand enfant perturbateur, l’Arabe un assisté ingrat. Ce ne sont pas simplement des représentations coloniales, ce sont aussi les destins qui nous sont imposés. Le français De Souche, colon dans notre pays commun, endossant, lui, le rôle de l’adulte, de notre tuteur. Car en nous (dis)qualifiant de minoritaire, les De Souche s’autoproclament majoritaires affirmant ainsi leur domination et leur normalité. Inversement, nous les minoritaires sommes à la fois les dominés et les anormaux. L’anormalité nous relègue, nous et notre parole, à la marge, à la périphérie aussi bien spatialement dans la banlieue, que culturellement dans l’espace privée. Nous ne sommes pas les bienvenus dans la ville et dans l’espace public. Nulle part et à aucun moment, nous n’avons le pouvoir ou la capacité d’affirmer notre volonté sans, au préalable, obtenir l’autorisation du maître.

La condition de minorité visible, une forme de ségrégation culturelle

Nos cultures, toujours considérées soit comme exotiques et primitives soit comme menaçantes et ostentatoires, sont les premières à en pâtir. Partout dans l’espace public, il nous est demandé, au nom de l’identité nationale, des valeurs républicaines, de l’identité nationale, de la laïcité, de l’universalisme républicain, du vivre ensemble contre le communautarisme ou même de la modernité émancipatrice, de bien vouloir laisser dans le domaine privé nos manières d’être et de penser. Seule une culture moderne, c-a-d blanco-europoéano-chrétienne, a pleinement droit de citer dans l’espace public. Sous couvert de distinction public, privé, il s’agit d’une réelle ségrégation culturelle. A titre exceptionnel, ils exhibent de pâles imitations de nos cultures vidées de leurs substance, c’est-à-dire vidées de ce qui les rends vivante : nous-mêmes. Une Afrique réinventée démontre, ainsi, par le burlesque et le grotesque, le sublime et le sérieux de leur modernité. Des figures fascinantes et menaçantes, fanatiques et décadentes, sont violemment projetées dans les téléviseurs des chaumières occidentales. Elles y apparaissent comme des irruptions intrusives et néfastes ou des exhibitions indécentes. L’Orient, sorte d’épouvantail par l’obscène et le nuisible, démontre ainsi le raisonnable et la bienveillance de l’Occident chevaleresque. Nos cultures ne servent alors qu’à produire le négatif de l’image idéal du Nous, moderne et occidental, comme sublime et sérieux, raisonnable et bienveillant. En refoulant sur nous ses angoisses les plus inavouables, nous ne sommes plus que sa transgression ou la monstruosité. C’est ainsi qu’ils légitiment la ségrégation culturelle dont nous sommes la cible.

La suite au prochain épisode incha’Allah…

Bader Lejmi, membre du PIR

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