Mais cet événement culturel n’était que la garniture de l’événement central : l’inauguration de l’ « Implantation militaire française dans les Emirats arabes unis ». Cette base militaire permanente, la seule à l’étranger en dehors de l’Afrique, est la première que la France installe dans le Golfe, dans une zone qui, souligne l’Elysée, « se trouve face au Détroit d’Ormuz par où transite 40% du pétrole mondial ». D’où son « importance stratégique », accrue du fait que, à une centaine de kilomètres à peine, se trouve l’Iran. En plus de la base navale qui sera installée dans la zone de Mina Zayed, l’implantation, rebaptisée « Camp de la paix », comprend un détachement aérien déjà opérationnel sur la base de Al-Dhafra, et un groupe terrestre basé dans la ville militaire de Zayed. Selon l’accord stipulé par Sarkozy lui-même en 2008, la construction des infrastructures de la base française est financée par Abu Dhabi, tandis que Paris couvre les frais opérationnels.
Après l’inauguration, Sarkozy s’est rendu à la base de Al-Dhafra pour assister, avec les monarques des Emirats, à l’exhibition du chasseur-bombardier Rafale. Le président chapeaute une délégation qui comprend les dirigeants de l’industrie constructrice, Dassault Aviation, dans une tractation avec les Emirats pour leur vendre 60 Rafale. L’affaire, d’une valeur d’environ 8 milliards d’euros, est fondamentale pour Dassault, qui jusqu’ici n’est arrivé à placer aucun de ces avions à l’étranger, à cause surtout de la concurrence avec Lookheed Martin et du consortium européen producteur de l’Eurofighter Typhoon. Pourtant le Rafale n’a rien à envier à ses concurrents européens (y compris le futur F-35 de Lookheed) : c’est un chasseur-bombardier multi-rôle, en mesure de remplacer 7 autres types d’appareils utilisés par la France, adapté à toutes les missions d’attaque, dont celles avec des armes nucléaires. Dans la délégation qui accompagne le président, il y a aussi des représentants de l’industrie nucléaire française qui essaient de vendre deux réacteurs aux Emirats. Le contrat devrait être conclus dans l’année mais se heurte à la forte opposition de Washington qui vient à peine de signer un accord pour la fourniture de technologies nucléaires aux Emirats, troisième exportateur de pétrole (cf. il manifesto, 24 mai).
La France est ainsi en train de mettre en pratique ce qu’elle a énoncé dans son « Livre blanc de la défense » : constituer un « axe stratégique majeur de l’Atlantique à l’Océan Indien », en passant « d’une stratégie de défense passive à une stratégie de défense active en profondeur », qui prévoit « une réaction rapide et une action offensive ». Cette politique ouvre des contradictions avec Washington, non pas cependant en termes de conception de politique extérieure et de défense qui serait différente, mais de revendication d’un poids plus important de la France dans le cadre de la stratégie conduite par les Usa : celle-ci prévoyant la projection de forces militaires partout dans le monde où seraient mis en question les intérêts fondamentaux de l’Occident. Le retour de la France dans le commandement OTAN sous leadership Usa, dont elle était sortie en 1966, le confirme. L’idée énoncée dans le « Livre blanc de la défense » n’est donc pas l’idée d’une Europe nouvelle, mais la reproduction en de nouvelles formes de la vieille Europe des empires coloniaux.
Manlio Dinucci
Reçu de l’auteur et traduit par Marie-Ange Patrizio,
SOURCE : le grand soir