Certes, on n’est pas étonné de trouver des chroniques élogieuses dans Minute, sur le site Atlantico, ainsi que sur Boulevard Voltaire, ni d’entendre le livre recommandé sur Radio Courtoisie ou encore dans l’émission de télévision de MM. Zemmour et Nauleau sur Paris Première. Tout cela participe d’un univers politique bien précis. L’on n’est pas non plus surpris lorsque l’on entend Marine Le Pen faire la promotion directe de ce livre : « vous devez absolument le lire et le faire lire », s’écrie la présidente du FN dans une vidéo spécifiquement consacrée au livre, et mise à la Une du site de son parti (voir ici). Le thème central du livre est en effet « l’ensauvagement d’une nation ». Sur la toile, la « fachosphère » exulte (voyez les éloges de fdesouche, Riposte laïque, etc.). Et M. Obertone bénéficie d’un juste retour d’ascenseur, lui qui avait fait un éloge assumé de la nouvelle présidente du FN, empreint d’une nostalgie certaine pour le « vieux lion » Jean-Marie Le Pen (voir ici).
On commence déjà à tiquer lorsque l’on voit paraître des articles largement a-critiques dans Le Point et Les Echos. Et on se met carrément en colère lorsque l’on est contacté par l’émission « Service public » de France Inter, qui nous demande si l’on veut venir débattre de ce livre. France Inter, radio du service public, qui invite un chercheur du CNRS, autre service public, pour discuter tranquillement autour d’un café du dernier avatar du lobby sécuritaire et de son credo d’extrême droite, et ainsi cautionner ce choix d’émission. On a dit non.
On se demande en effet si les journalistes concernés ont réellement lu ce livre. Et si oui, comment se fait-il qu’ils n’aient pas compris (ou pas voulu comprendre ?) que tout son propos, toute cette accumulation de chiffres plus ou moins vrais et de faits divers plus ou moins tronqués n’a qu’un seul et unique but : arriver à la conclusion (parfaitement explicite) que tout cela est de la faute des Arabes et des Noirs et qu’il faut ouvrir des centaines de milliers de nouvelles places dans les prisons pour les y enfermer.
Nous sommes ici en présence du parfait vade-mecum du représentant du lobby sécuritaire et du bon soldat de l’extrême-droitisation des opinions. Au demeurant, les ficelles sont énormes et tous les signes nous en sont donnés. Orange mécanique ? Ce n’est pas la première fois que le célèbre film de Stanley Kubrick (1971) est détourné. Le 2 juin 1998, le journal Le Monde publiait une tribune intitulée « Une pléthore d’oranges mécaniques ». Ses auteurs étaient encore peu connus à l’époque : Alain Bauer et Xavier Raufer. Quelques clics sur Internet suffisent pour savoir que ce dernier est un ancien militant d’extrême droite (Occident, Ordre Nouveau, etc.) et qu’il ne cache pas que le fond de sa pensée n’a jamais changé, notamment sur ce qui constitue l’un des fondements même des discours de l’extrême droite depuis sa constitution politique à la fin du 19ème siècle : l’explication de la délinquance par l’immigration. Incroyable hasard ? Xavier Raufer signe quinze ans plus tard la préface de ce livre de M. Obertone La France orange mécanique. Le monde est petit… Et la similitude va jusque dans les façons de faire : se cacher derrière des chiffres pour tenter de « faire sérieux », partir de faits divers bien sanguinolents et choquants pour accrocher le lecteur à sa révolte, lui asséner de pseudo-évidences (les Asiatiques ne connaissent pas la délinquance, c’est bien connu ; la Creuse n’a pas beaucoup de délinquance donc la délinquance n’a rien à voir avec des facteurs sociaux, la prison à vie est la seule solution, etc.), pour lui faire avaler à la fin les bons vieux préjugés du café du commerce qui régissent toute l’entreprise, du genre : « on n’est pas racistes hein, et on aime bien le couscous, mais tout ça c’est quand même bien la faute des Arabes et des Noirs, y’a trop d’immigrés, on aurait pas du abolir la peine de mort, etc ». CQFD.
On l’aura compris, nous ne recommandons pas d’acheter ce livre, d’autant que le résumé nous est fourni par l’auteur dans d’innombrables interviews (mais évidemment il se dit honteusement boycotté par les médias, c’est toujours bien de se faire passer pour une victime). S’il fallait en citer un parmi des dizaines, recommandons celui paru dans « Le bréviaire des patriotes ». L’auteur s’y dévoile sans retenue, évoquant par exemple « l’éthologie » (science du comportement animal) pour comprendre la délinquance (des immigrés bien sûr), on se croirait presque revenu au bon vieux temps de l’eugénisme de la fin du 19ème siècle.
Ajoutons ce dernier point commun entre le maître et l’élève : dissimuler tout simplement sa véritable identité, puisque « Xavier Raufer » comme « Laurent Obertone » sont des pseudonymes. Quel courage !
Et c’est cela que les médias voudraient célébrer de nos jours ? On ne sait plus s’il faut rire ou pleurer.
Laurent Mucchielli
http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post%2F2013%2F02%2F21%2FLa-France-orange-mecanique