Au cours de l’année écoulée, l’Union Européenne et Israël ont approfondi leurs relations. Le partenariat renforcé induit des relations plus étroites et réciproquement avantageuses en matière politique, commerciale et d’investissements, aussi bien que dans le domaine de la coopération économique, sociale, financière, scientifique, technologique et culturelle. L’U.E. doit injecter 14 millions d’euros (18 millions de dollars) de l’argent des contribuables dans cette coopération au cours des sept prochaines années. Cependant, les discussions destinées à renforcer l’accord associatif en cours ont été suspendues en janvier 2009 à cause de l’attaque qu’Israël a menée pendant 22 jours contre la Bande de Gaza. Le 23 avril, la Commissaire de l’Union Européenne pour les relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, a indiqué dans une déclaration que « l’U.E. déplore profondément les pertes de vies humaines durant ce conflit, en particulier les pertes civiles, et qu’elle suivrait de près les investigations sur de possibles violations de la législation humanitaire internationale ». Ferrero-Waldner sanctionnait le refus d’Israël de souscrire à un Etat Palestinien. Israël a promptement riposté en avertissant l’U.E. qu’elle devait modérer ses critiques.
Au cours même de l’invasion de Gaza, de nombreux experts ont souligné qu’Israël commettait des violations graves et massives de la législation humanitaire internationale. Les réglementations de La Haye et les conventions de Genève font spécifiquement référence à l’illégalité du châtiment collectif, aux tirs contre des civils en temps de guerre et aux règles de la nécessité et de la proportionnalité militaires. Israël n’ayant pas autorisé les journalistes et les responsables internationaux à pénétrer dans Gaza durant l’invasion, ces opinions ne s’appuyaient que sur un nombre limité de témoins oculaires et d’informations médiatiques. Afin de parvenir à une pleine compréhension des opérations et d’établir les dommages causés, des organisations humanitaires, des organismes des Nations Unies et la Ligue Arabe ont entrepris des missions et des investigations pour établissement des faits. A mesure que sont diffusées les conclusions de ces différentes enquêtes, il apparaît maintenant qu’Israël doit bel et bien répondre de nombreuses accusations de crimes de guerre.
En tant que principaux signataires des Conventions de Genève en 1949, les pays de l’Union Européenne se doivent d’intégrer dans leurs législations les obligations légales de la Quatrième Convention de Genève. Le point de départ fondamental est de mettre en place toute législation nécessaire pour prononcer des sanctions pénales effectives contre des personnes commettant ou ordonnant n’importe laquelle des infractions graves à la Convention (c’est-à-dire des crimes de guerre).
Les infractions suivantes mentionnées dans la Convention semblent pertinentes relativement à l’assaut contre Gaza :
– « Volontairement tuer, torturer ou infliger un traitement inhumain ;
– causer volontairement une grande souffrance ou des dommages au corps ou à la santé ;
– priver volontairement une personne protégée du droit à un jugement équitable et régulier ;
– destruction massive et appropriation de biens non justifiées par la nécessité militaire et effectuées de manière illégale et arbitraire, si elles sont commises au détriment de personnes ou de biens protégés par la Convention ».
Les pays de l’Union Européenne ont aussi l’obligation de rechercher les personnes supposées avoir commis ou ordonné de telles infractions graves, et ils doivent faire comparaître ces personnes, indépendamment de leur nationalité, devant leurs propres tribunaux (ou les extrader vers un autre pays qui soit préparé à les poursuivre en justice).
Le commentaire, qui fait autorité, de la Quatrième Convention de Genève, publié par le Comité International de la Croix Rouge (CICR), établit que :
« Dès que l’un des membres contractants s’avise que se trouve sur son territoire une personne qui a commis… une infraction (grave), il est de son devoir de s’assurer que la personne concernée sera arrêtée et poursuivie au plus vite devant la justice. L’action de police nécessaire doit être engagée spontanément et non à la seule suite d’une requête émanant d’un autre Etat ».
Le commentaire du CICR confirme que l’Union Européenne a l’obligation de rechercher activement les suspects de crimes de guerre. Il s’ensuit que ce devoir devrait inclure le maintien de contrôles frontaliers permettant à un Etat de s’assurer que des suspects identifiés qui tenteraient de pénétrer dans son espace juridictionnel soient arrêtés à leur arrivée. De nombreuses études réalisées par des organisations pour les Droits de l’Homme, parmi lesquelles Amnesty International, Human Rights Watch et le Redress Trust, ont examiné l’observance des Etats envers leurs obligations législatives au titre des Conventions de Genève ; ces observations révèlent un certain nombre d’insuffisances choquantes de la part de grands pays européens. L’Autriche, la France, la Grèce n’ont tout simplement rien fait pour rendre possible au titre des Conventions de Genève la poursuite judiciaire sur leur territoire de personnes suspectes de crimes de guerre au nom du principe de la juridiction universelle. Dans le même temps, une pleine conformité au principe de juridiction universelle n’a pas été réalisée dans plusieurs pays ; à Malte et en Lithuanie, la situation n’est pas parfaitement claire et nécessite une recherche plus poussée. En Belgique par exemple, les conditions posées à l’exercice de la juridiction universelle ne correspondent pas aux Conventions de Genève, du fait qu’elles comportent un ensemble de règles complexes concernant les statut du suspect et de la victime, rien de cela n’étant autorisé par les Conventions.
La seule présence d’une personne suspecte d’être un criminel de guerre, de quelque nationalité que ce soit, sur le territoire d’un Etat devrait suffire à déclencher la procédure de juridiction universelle, abstraction faite de la nationalité ou de l’actuelle localisation de la victime. Qui plus est, vu l’obsession de l’U.E. quant à la sécurité des frontières et à la prévention d’une entrée de personnes indésirables dans l’espace de libre circulation marchande, on aurait supposé que les Etats membres se coordonnent pour garantir que des pays européens ne deviennent jamais des asiles pour les suspects de crimes de guerre. Les victimes palestiniennes de crimes de guerre supposés, tout comme les autres victimes de crimes de guerre, demandent justice et que soit accordée à leurs cas une application équitable de la loi internationale.
Le 4 mai, le juge Fernandi Andreu du Tribunal National Espagnol a annoncé la décision de poursuivre l’enquête sur le bombardement de juillet 2002 à al-Daraj, dans la Bande de Gaza. Cette attaque avait eu pour conséquence la mort de 16 Palestiniens, dont 14 civils. Une telle décision représente une avancée majeure vers l’accomplissement d’une justice pour les victimes. Elle ouvre la porte à l’obligation de rendre des comptes, là ou des Israéliens suspects de crimes de guerre peuvent être tenus responsables des souffrances qu’ils ont infligées aux Palestiniens à Gaza.
Des procès criminels justes dans les Etats membres de l’Union Européenne, en particulier s’ils aboutissent à des condamnations, pourraient instaurer une véritable dissuasion et commencer à rendre justice aux Palestiniens victimes des actions israéliennes. A cet égard, le rôle de l’U.E. est considérable. Au lieu de se contenter de vains propos sur les injustices infligées au peuple palestinien en publiant des déclarations « déplorant les pertes humaines » et de promesses de « suivre attentivement les investigations sur les supposées violations du droit humanitaire international », les pays de l’U.E. accompliraient beaucoup plus en appliquant ces règles de droit à Israël, à commencer par la mise en compatibilité de leurs propres lois avec les obligations que leur imposent les Conventions de Genève de 1949. Après tout, soixante ans plus tard, il n’y a guère de signes que se soit réduit le besoin de juger les crimes de guerre. »
17 mai 2009
Daniel Machover est avocat, fondateur de Juristes pour les Droits de l’Homme des Palestiniens, établi en Grande Bretagne ; Adri Nieuwhof est consultant et avocat des Droits de l’Homme, établi en Suisse.
Source : The Electronic Intifada, 14 mai 2009 : http://electronicintifada.net/v2/ar…
(Traduit de l’anglais par Anne-Marie PERRIN pour EuroPalestine)