Hommage à notre frère René Vautier

L’indompté, l’indomptable breton, notre frère en humanité s’est éteint. Chéchia et casquettes basses, drapeaux et « Gwenn ha du », en berne. Que fusent mille youyou en son hommage ! C’est un géant qui nous quitte.

Comment dire simplement une si grande perte ? Comment dire simplement à ceux qui ne le connaissent pas, tout ce que nous lui devons à l’instar de ce que nous devons à nos autres frères que furent les Maurice Audin, Henri Alleg, lieutenant Maillot, Francis Jeanson ou Jean Louis Hurst.

Les grands récits épiques ont leur aède, leur griot, le grand récit anti colonial, lui, a son barde. René Vautier. Mais notre barde breton n’était pas qu’Algérien, un breton du sud tout simplement. Contre le colonialisme, certains luttèrent par la plume, d’autres par les armes, lui ce fut par les images. Et les batailles qu’il permit de remporter furent aussi décisives.

Ce résistant professionnel, maquisard à 15 ans sous l’occupation allemande en Bretagne, fit de la caméra son arme et ce avant même le déclenchement de la lutte algérienne. Déjà avec « Afrique 50 », arrivent les premiers ennuis avec l’État français. L’affaire Henri Martin du nom de ce jeune réfractaire à la guerre d’Indochine , à qui il consacre un documentaire, lui en amène d’autres.  Un peu prophète dans « Une nation, l’Algérie », il pressent dés 1955 la défaite du colonialisme. Plus tard, toujours animé de la même foi, il s’engage aux côtés de l’immigration en lutte avec son acteur fétiche le célèbre Mohamed Zinet puis aux côtés des résistants anti-apartheid avec son film « Front-line ». Mille fois il met son talent de cinéaste au service de notre cause, mille fois il risque sa liberté et même sa vie pour que le monde sache. De fait il est aujourd’hui le cinéaste de ce pays qui aura connu tout au long de sa carrière le plus grand nombre de poursuites et d’œuvres censurées. Il y a quelques années, une rétrospective de ses œuvres à Paris n’a t-elle pas été annulée pour d’obscures raisons ? Ces poursuites et tracas, ce sont ses seules médailles à lui. Elles l’honorent.

Ne s’inclinant devant aucune autre autorité que la justice, ne recherchant ni la gloire, ni les privilèges, il sut toujours garder cette indépendance d’esprit et ce courage qui l’amenèrent plus d’une fois à braver les pouvoirs. Le pouvoir impérialiste français bien sûr mais aussi, par exemple, le jeune pouvoir algérien après l’indépendance quand son éthique l’exigea.

Il aura réussi à nous fausser compagnie sans prévenir. Et nous restent la discrétion, la bienveillance, l’humilité, le regard acéré que seuls connaissent les grands créateurs et dont sont emprunts ses films. Ceux qui l’approchèrent et nous en sommes peuvent en témoigner. Nous parlons déjà de lui au passé et nous avons tort. Même s’il y a tant d’années que son œuvre confine à l’immortalité et que c’est sans doute la raison pour laquelle nous le pensions lui aussi voué à l’éternité. Tout comme « Afrique 50 » ( 1950) , « Algérie en flammes » ( 1957) ou « Avoir 20 ans dans les Aurès » ( 1972) mais aussi tous ses autres chefs d’œuvre, impérissables.

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Nous nous sentons orphelins. A Cancale, sa ville, la mer aussi est triste. René s’en est allé mais il laisse une œuvre qui fait la fierté de tout Africain, tout Algérien, tout anti-impérialiste digne de ce nom. Une œuvre qui est comme une leçon des choses de ce monde. Grâce à elle, notre conscience demeure vigilante et aiguisée.

Quant à lui, camera au poing, il s’en est allé vers d’autres horizons et d’autres combats, nous en sommes sûrs. Et de là haut il nous filme en contre plongée, le sourire aux lèvres.

Kenavo, René !

 

Youssef Boussoumah, membre du PIR

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