À chaque période son mensonge. On connaissait le fameux leit motiv sioniste, justifiant la colonisation de la Palestine selon Herzl: « La Palestine, une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Celui-ci ayant fait long feu, il a fallu inventer autre chose. Incapable de nier plus longtemps la présence des Palestiniens avant Israël, Golda Meir, ex premier ministre israélien essaya de nier leur qualité de peuple. Elle s’exclama un jour de 1972, devant un parterre médusé de journalistes, « Le peuple Palestinien n’existe pas, c’est une invention de la propagande anglaise sous le mandat » ajoutant un peu plus tard « quand je pense à tous ces bébés arabes nés pendant la nuit cela me donne des cauchemars ». Tant de zèle éradicateur démontre une chose, l’occupant sait que la guerre sur le terrain serait vaine si elle ne se prolongeait pas par une guerre des mots. Une victoire sans appel sur le papier et dans les esprits. D’où son acharnement à imposer une écriture de l’histoire présentant les indigènes comme des intrus et affirmant la prééminence coloniale. L’obscénité de certains propagandistes français d’Israël n’a pas de limite nous le savons. C’est bien dans le cadre de cette guerre des mots et des concepts, qu’agissent à nouveau les relais français de l’armée israélienne comme le CRIF, Europe Israël etc. Ceux-ci ont décidé tout dernièrement de s’attaquer aux éditions Hachette coupables d’avoir fait usage du mot Nakba dans un spécimen de manuel d’Histoire pour classe de 1ere. Nous le savons celui-ci désigne pour les Palestiniens la catastrophe, qui en 1947-1948 et jusqu’en 1949, les a vus être chassés de leurs demeures, de leurs terres, à hauteur de 900 000. 450 villages et quartiers de villes entièrement rasés. Catastrophe prolongée en 1967 par l’expulsion de 250 000 nouveaux réfugiés à la suite de l’occupation des territoires de Cisjordanie et Gaza lors de l’agression de juin 1967. Aujourd’hui ce sont plus de 4 millions de réfugiés, selon la définition de l’ONU qui réclament leur retour dans la Palestine historique, c’est-à-dire dans ce que les Israéliens nomment Israël. Tuer le mot dans l’espoir de tuer la réalité, c’est là le pari ubuesque du CRIF. Cette réalité de la Nakba, il suffit d’ouvrir n’importe quel journal, n’importe quel ouvrage, n’importe quel rapport consulaire sur le Moyen Orient en cette fin de la décennie 1940 pour en avoir la preuve manifeste. Il suffit juste, surtout, d’interroger les rescapés eux-mêmes de cette Nakba. Ils sont des centaines de milliers dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, de Gaza, du Liban, de Syrie, de Jordanie, d’Egypte, d’Irak. Cela ne souffre pas l’ombre d’un débat. Et pourtant, c’est cette vérité criante que ces groupes stipendiés propagandistes de l’État d’Israël voudraient voir remise en question au motif qu’elle ferait la part belle à la version palestinienne du conflit et qu’elle serait fausse. En effet la fable inventée par la propagande sioniste ferait sourire si le sujet était moins grave. Les 900 000 Palestiniens se seraient exilés volontairement en 1948-1949 « afin de permettre aux armées arabes de mieux en finir avec les juifs ». Salir la mémoire de la Nakba, minorer son importance ou la nier carrément, dans tous les cas, il s’agit en gommant l’écriture de l’histoire, de la folle tentative d’abolir les faits eux-mêmes. Mais aussi vainement que le mauvais élève arrache les pages du livre dans l’espoir de ne pas avoir à en apprendre les leçons, le CRIF peut pourchasser mille fois la Nakba et 10 000 fois les éditions Hachette, les âmes des Palestiniens de 1948 continueront à le hanter. D’ailleurs si tel n’était pas le cas, s’acharnerait-il ainsi ? Car nul ne combat des fantômes. Les faits sont têtus. Les trois quarts du peuple palestinien ont bel et bien été expulsés en 1948-1949 par le fait des armées israéliennes. Cela a été largement démontré d’abord par les réfugiés eux-mêmes, puis par les historiens palestiniens, enfin par les nouveaux historiens israéliens plus récemment. Le peuple palestinien demande son retour en Palestine au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mieux, à propos de cette Nakba, une résolution, adoptée le 11 décembre 1948, la 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, la reconnaît implicitement. Ne déclare-t-elle pas « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins… « . De même bien plus tard la résolution 3236 réaffirme le « droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés et déracinés, et demande leur retour » ainsi que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. L’extrait « D’où ils ont été déplacés et déracinés » allant exactement à l’encontre des affabulations israéliennes. Ce droit au retour réaffirmé par l’ONU plus de 130 fois, d’ailleurs, est reconnu par plusieurs de ses organes, y compris par l’Assemblée générale et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Il ne s’applique pas seulement à ceux qui ont été directement expulsés de leur pays et leur famille proche mais aussi à leurs descendants, si ceux-ci ont maintenu ce que le Comité des droits de l’homme appelle « des liens intimes et durables » avec la région. Ce droit au Retour reconnait implicitement la réalité de la Nakba.
C’est pourquoi, à défaut d’avoir réussi à faire disparaître ces mêmes réfugiés en dépit de tous les massacres, ces mêmes thuriféraires de Tsahal se sont mis en tête de poursuivre la vérité historique et de lui faire rendre gorge jusque sur les bancs scolaires. Et pourtant qui d’autre que les victimes elles-mêmes sont-elles habilitées à désigner les souffrances endurées ? Il est intéressant de noter au passage que c’est déjà aux éditions Hachette qu’en 2001, les organisations sionistes s’en étaient prises. La cible cette année-là fut un manuel de seconde de sciences de la Terre qui avait osé présenter un bilan hydrique du bassin du Jourdain précédé de cette question fort pertinente « Israël assoiffe-t-il les Palestiniens ? » Après une campagne honteuse au cours de laquelle les organisations sionistes en étaient même arrivées à faire le siège du siège de Hachette, l’ouvrage en question avait été révisé. De plus, comment ne pas trouver une étrange résonance entre cette nouvelle campagne anti-palestinienne du CRIF et la loi avortée de février 2005 sur « l’œuvre positive de la colonisation en Algérie » ? Mais il y a autre chose. Cette sinistre offensive constitue un épisode de l’affrontement concurrentiel acharné auquel se livrent entre elles les principales organisations communautaires juives, engagées dans une surenchère sioniste et un alignement quasi aveugle sur les positions de la droite israélienne la plus dure. Ainsi en Israël à partir de 2009 la Nakba s’est trouvée non seulement chassée des manuels scolaires mais également de toute expression publique.
Le rêve de tout colonialiste n’est-il pas d’effacer jusqu’à la trace de son forfait ? Pour que le crime soit parfait, sa préoccupation première n’est-elle pas de faire disparaître le corps de la victime ? Les éditions Hachette, sommées de surseoir à l’impression du dit manuel, si elles cédaient à cette injonction, ne feraient que conforter cette obsession israélienne et se trouveraient complices de ce déni de vérité.
Mais à travers l’argumentaire sioniste se profile un autre enjeu de cette bataille pour l’histoire, le terme de Palestinien. En effet un des autres motifs de récrimination des organisations sionistes est de prétendre que le manuel Hachette incriminé n’évoquerait le terme de Palestinien qu’en ce qui concerne le seul peuple arabe palestinien et ignorerait les populations palestiniennes juives. Il est cocasse d’observer qu’après avoir combattu ce terme durant des années et après avoir essayé vainement pendant des décennies de faire disparaître le mot de Palestine du champ sémantique, ces organisations s’efforcent maintenant de le récupérer au profit de l’État sioniste. Il ne s’agit là encore que d’une opération courante dans le discours colonial général. Usurper jusqu’au nom même de l’indigène. Ainsi en dépit de toute réalité les colons français se disant propriétaires légitimes de l’Algérie, s’affirmaient eux-mêmes Algériens et même Africains ( « C’est nous les Africains » proclame le chant de la légion). Comme Israël après avoir envahi le pays, ils se prétendaient victimes en Algérie d’une agression de la part des Indigènes contre lesquels il fallait bien se défendre. En Afrique du sud, les colons européens hollandais se proclamaient eux aussi afrikaans, « africains » en néerlandais. Cependant, les éditions Hachette doivent réaliser à quel point elles perdraient tout crédit si elles se prêtaient à cette misérable manœuvre de réécriture coloniale de l’histoire imposée depuis le ministère de la guerre israélien. Elles devraient alors assumer non seulement le ridicule, car in fine le mot Nakba finira par s’imposer, comme c’est déjà le cas aux États-Unis mais aussi les conséquences politiques désastreuses d’une telle entreprise en termes de légitimation des théories complotistes.
Youssef Boussoumah, membre du PIR