Elle fixe les droits et les devoirs du joueur et les engage à respecter le maillot, les valeurs qu’il véhicule, l’hymne national… Il semble qu’elle prévoyait initialement d’obliger les joueurs à chanter la Marseillaise avant chaque rencontre, mais la FFF a dû reculer face au refus de la plupart d’entre eux. Dans la foulée, le Député des Alpes-Maritimes, Jean-Claude Guibal a déposé auprès du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, une proposition de loi visant à contourner ce refus en en faisant une obligation légale. Certes, ces mesures sont démagogiques, indignes, dégradantes et pour tout dire, ridicules, mais faut-il vraiment s’en étonner ?
L’Etat français court après la popularité du sport, et tout particulièrement derrière celle du football, depuis plusieurs décennies. La France, et de nombreux autres pays avec elle, ont souvent cherché à instrumentaliser le football y voyant un moyen efficace et caché sous des atours sympathiques, de mettre en scène la nation et de valoriser la patrie. Il est tellement plus efficace en effet, d’inviter les masses à se reconnaitre en 11 joueurs de football, condensé émérite de la francité sportive sur qui sera projetés tout ce que l’Etat croit être les attributs essentiels de l’identité nationale, plutôt qu’en cette entité abstraite et désincarnée qu’est la nation. Le sportif et le sport lui-même tiennent finalement assez peu de place dans l’entreprise. En effet, Il s’agit de fabriquer avant tout de l’adhésion à la nation plutôt qu’au sport. Peu importe le sport en cause d’ailleurs, ce qui compte avant tout, c’est la France. Comment comprendre autrement tout le tapage médiatique qui peut être fait autour de la victoire d’une équipe de France ou d’un français dans des sports aussi confidentiels que le handball ou la natation? Il n’est pas rare non plus que l’on nous annonce au 20h, la défaite en demi-finales d’un tel le français, sans même que l’on prenne la peine de nous dire qui a remporté le tournoi !
Si le football français fût l’un des premiers, pour s’assurer les meilleurs résultats possibles bien sûr, à faire appel à des joueurs dont les parents, ou parfois les joueurs eux-mêmes, avaient émigré en France, son attitude a varié selon qu’ils s’agissaient de joueurs d’ascendance européenne, et donc blancs, ou de joueurs originaires des colonies. L’altérité des joueurs d’origine européenne, a très vite été considérée comme pouvant facilement être dépassée et si quelques voix se sont élevées pour déplorer l’effet regrettable de tous « ces noms à consonance barbare », aucune obligation autre que le fait de jouer le mieux possible ne leur a jamais été imposée. L’attitude du football français à l’égard des joueurs indigènes fût en revanche, fort différente. Du temps de l’Algérie coloniale, les autorités françaises ont longtemps interdit aux indigènes le droit de constituer des équipes de football intégralement constituées de joueurs musulmans, en leur faisant, par circulaire, obligation d’inclure un nombre minimal de 3, puis même de 5 joueurs européens. Avant 1958 et la formation du « Onze de l’Indépendance », l’équipe de France offrait parfois aux plus talentueux parmi les footballeurs indigènes (Rachid Mekhloufi, Abdelaziz Bentifour ou Mustapha Zitouni) l’occasion de venir prouver leur loyauté à la France en sélection nationale. A la fin des années 70, c’est en revanche la figure d’Omar Sahnoun qui est mise en avant. Surnommé le « footballeur harki », il vit sa carrière en équipe de France comme le prolongement du combat de son père. Ses contemporains, Mustapha Dahleb ou Abdel Djaadaoui, émigrés en France alors qu’ils étaient enfants, feront, eux, le choix d’intégrer la sélection nationale algérienne.
La signature de la charte du footballeur de l’équipe de France et la récente proposition de loi de cet obscur député marquent une escalade notable dans l’injonction intégrative. La barrière raciale a renversé les perspectives traditionnelles qui structurent les rapports qu’entretiennent le sport et l’Etat : C’est désormais le football qui est à la remorque de l’Etat et non plus l’inverse. Comment ne pas penser en effet, lorsque l’on prend connaissance des dispositions que prévoit la dite charte, au « contrat d’intégration » que l’Etat fait signer aux naturalisés ou à ces grotesques cérémonies qui leur sont imposées en Préfecture avec obligation d’y chanter la Marseillaise? L’altérité des joueurs noirs est regardée comme étant corruptive, perverse et indépassable. Il y a finalement trop d’indigènes pour que la fête patriotique soit complètement réussie et les autorités politiques et sportives ne peuvent se permettre d’inviter leurs concitoyens à s’identifier à une équipe où ils sont majoritaires sans d’abord les avoir contraints à faire publiquement allégeance en chantant la marseillaise. Ils ne sont finalement que de vulgaires « français de papier » comme aimaient à les désigner l’Action Française dans les années 30, trop noirs pour représenter la France et soumis, au football comme dans tous les autres secteurs de la vie sociale, à des mesures d’exception. Le football français semble avoir touché le fond, et le fond est parfois plus profond qu’on croit.
Julien Stanko