Les auditeurs chanceux ont pu entendre des points de vue souvent passés sous silence d’intellectuels arabes et européens de très haut niveau. La théorie de la guerre des cultures, vulgarisée immédiatement après la chute du Mur de Berlin par les milieux néoconservateurs américains visait à imposer à l’opinion occidentale un ennemi de substitution à l’ogre soviétique décédé sans gloire. Entre soutien passionnel à Israël et raisons pétrolières, le monde arabo-musulman a été ainsi choisit « naturellement » comme cible de la vindicte des intellectuels organiques et médiatiques de l’axe du bien. L’islam, présenté comme une religion essentiellement obscurantiste, intrinsèquement violente et expansionniste, fait donc régulièrement la une de publications des plus savantes aux plus vulgaires sur des registres qui rappellent les campagnes antijuives des années trente et quarante. Le discours antisémite est revisité, adapté et modernisé. On a escamoté les injures directement racistes, ca ne marche plus, pour des stigmatisations perverses construites sur une vision parfaitement mensongère de l’Histoire. Du statut de la femme, compulsion pathologique que nous connaissons bien depuis le « dévoilement des mauresques » inauguré par le sinistre Massu à « l’argent des arabes », tous le spectre socioculturel arabo-musulman est passé au crible de la haine et de l’ignorance.
Il ne s’agit pas de prétendre que l’arc islamique soit exempt de reproches et à l’abri de la critique. Au contraire, que ce soit du point de vue de l’étouffement des libertés, des archaïsmes et des blocages, les sociétés orientales mesurent avec précision l’étendue du chemin qui reste à parcourir pour aboutir à la modernité démocratique et à l’Etat de droit.
Les arabo-musulmans ne bénéficient pas cependant du monopole de la détestation programmée. Dans l’échelle des terreurs auto-entretenues, la Chine arrive en deuxième position derrière les musulmans. Le spectre du péril jaune est régulièrement ressuscité pour évoquer avec émotion à une opinion assommée par la propagande, la supériorité des « valeurs occidentales ».
L’actualité de la crise économique et les graves inquiétudes quant à l’évolution de l’économie mondiale mettent provisoirement entre parenthèses ces préoccupations « civilisationnelles ». On se souvient de la grande méfiance, pour ne pas dire la suspicion, qui était publiquement exprimée il y a encore peu de temps par les milieux politiques européens quant au rôle des fonds souverains arabes. Cette grave préoccupation, uniquement fondée sur la xénophobie, avait conduit d’éminentes personnalités a demander au FMI de présenter un rapport sur l’encadrement de l’activité de ces établissements financiers. Aujourd’hui les argentiers anglais en déconfiture sont très heureux de voir les fonds souverains du Qatar et des Emirats voler au secours de la « prestigieuse » Barclays Bank. De la même manière, les banques islamiques accusées il y a peu de financer le terrorisme, retrouvent ainsi droit de cité et une respectabilité nouvelle.
La crise économique montre la nature et la hiérarchie des valeurs défendues par un Occident qui cherche à maintenir son hégémonie sur le reste du monde. Les milliers de milliards de dollars consacrés à sauver des banques et des spéculateurs en folie ne peuvent exister pour lutter contre la faim et l’atroce misère qui affectet le tiers de l’humanité, y compris à l’intérieur des frontières du monde développé.
Sous ces aspects injustes et inégalitaires et derrière les fumeux discours de propagande culturaliste, se révèle une authentique guerre des civilisations. Celle qui oppose la civilisation des riches et des nantis à celle des pauvres et des déshérités.
Tarek Ghozlane