Le quotidien Le Parisien, d’ordinaire prompt à commenter les faits divers franciliens et les mobilisations locales d’habitants, n’a traité les faits que de loin et s’en est tenu à la version policière. Un seul journal, Libération, a cherché à savoir ce qui s’est passé exactement le vendredi 24 juin 2011 au Vésinet (les deux articles de Willy Le Devin sont consultables ici et ici). Et ce journal est en mesure de contester certains éléments de la version officielle.
L’histoire est en résumé la suivante. Vendredi après-midi, un mariage a lieu à Nanterre. A la sortie de la mairie, les familles décident d’aller faire les traditionnelles photos de mariage dans la commune voisine du Vésinet parce que « c’est plus joli ». Pour les non-franciliens, rappelons que Nanterre est globalement une ville très populaire et que Le Vésinet est globalement une ville très bourgeoise. Un indicateur parmi d’autres : 50 % des habitants de Nanterre vivent en HLM contre seulement 5 % au Vésinet. Une situation emblématique des inégalités de la France actuelle.
Dans le cortège, quelques jeunes roulent en moto ou en quad. En tête, un jeune de 20 ans s’amuse à faire des roues arrières avec sa moto, il s’appelle Mohamed Ben Mammar et c’est un jeune sans histoire (champion de boxe thaïlandaise, il venait de passer le Bac et attendait les résultats, son casier judiciaire est vierge). On klaxonne, on s’amuse, on fait du bruit, on fait par moments quelques petites infractions au code de la route (l’un roule sans casque, l’autre zigue-zague, un troisième enfreint peut-être à un moment une ligne blanche continue ?, mais il ne s’agit pas de foncer à toute allure et de brûler des feux comme on peut parfois le voir) mais rien de bien méchant, rien de vraiment dangereux, rien d’exceptionnel et surtout rien qui justifie en quoi que ce soit la suite. Seulement voilà, des habitants du Vésinet en ont assez du bruit, ils appellent la police. Une voiture de la BAC (brigade anti-criminalité) intervient, une brève course-poursuite a lieu et Mohamed Ben Mammar meurt sur le bitume quelques centaines de mètres plus loin. Que s’est-il passé ?
Selon la police et le parquet, la voiture de la Bac a reçu l’ordre de décrocher assez vite, parce que, depuis les émeutes de Villiers-le-Bel en 2007, la consigne générale serait de ne plus engager de course-poursuite avec des deux-roues en raison du danger d’accident puis d’émeute. De plus, le jeune homme aurait roulé sans casque, en contresens et sur des trottoirs. Bref : ce serait bien malheureux mais il aurait pris de lui-même des risques inconsidérés et se serait tué par sa seule faute. Cette version est contestée par l’avocat des familles qui recueille les témoignages et dispose d’une vidéo montrant que le jeune porte son casque au moment où s’engage la course-poursuite. Elle est donc contestée également par les journalistes de Libération qui se sont rendus sur les lieux pour vérifier les éléments factuels. Ils affirment notamment, traces matérielles à l’appui, que le jeune ne roulait pas en sens inverse. Une enquête a également été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Un scénario qui se répète, une absurdité qui devrait tous nous interpeler
Quel que soit le résultat de l’enquête et le devenir de la plainte déposée par la famille, fort de l’ancienneté de ce type de situations et de drames, on peut d’ores et déjà proposer les réflexions suivantes :
1) La police et la justice (du moins le parquet) réagissent toujours dans un premier temps dans le sens de l’exonération des services de l’État de toute responsabilité. C’est comme une sorte de réflexe légitimiste, encouragé par la peur de ce qui pourrait se passer (l’émeute) et sans doute aussi par quelques coups de fils venant directement des ministères pour indiquer la ligne à tenir, notamment face aux journalistes. Le résultat est pourtant désastreux pour les familles concernées qui se voient renvoyer l’image d’une mort absurde, se voient refuser le statut de victimes et se voient donc interdire toute demande de réparation même symbolique.
2) La pratique de la course-poursuite est un véritable fléau et qui ne date pas d’hier. Depuis plus de 30 ans, quantité d’émeutes (peut-être même la majorité) ont débuté de cette façon. Tout responsable policier réfléchi le sait (voir notamment une chronique de l’excellent blog du commissaire honoraire Georges Moréas). Mais en pratique, toutes les recherches le montrent, une partie des jeunes policiers choisissent ce métier (et a fortiori choisissent l’affectation dans une unité d’intervention type BAC) par goût de l’action, pour « l’adrénaline ». C’est donc une pratique très difficile à changer.
3) On espère en savoir plus prochainement sur les détails de cette affaire. Au-delà du concours de circonstances, il est en effet possible qu’elle révèle en creux des problèmes plus généraux de la société française tels que l’intolérance et la défiance entre groupes sociaux, la banalisation de certaines conduites à risque, l’incapacité collective à réguler les conduites à risque typiques de l’adolescence, la peur qu’inspire la police aux habitants des quartiers populaires et enfin, il faut bien le reconnaître, le fait que la mort violente d’un jeune habitant une « cité » de banlieue « pèse » socialement moins que d’autres.
Laurent Mucchielli
SOURCE : Vous avez dit insécurité ?