« Nous dormions encore. Je ne les ai pas entendu entrer dans la maison. J’ai ouvert les yeux, ils étaient cagoulés, vêtus de noir et ont hurlé « Lèves-toi, c’est Israël ici, ce n’est pas la Palestine ». Je n’ai eu le temps que de prendre mes deux enfants. En quelques minutes nous nous sommes retrouvés sur le trottoir. Devant notre maison. C’était fini. »
Quelques mois après la famille al-Kurd, c’est au tour des familles al-Ghawy et Hannoun, expulsées de leurs maisons du quartier arabe de Sheikh Jarrah, situé dans la partie Est de Jérusalem dimanche 2 août, à 05h du matin.
Une éviction brutale qui a plongé les habitants de ce quartier dans un désarroi profond, 25 maisons hébergeant chacune plusieurs familles étant sous le coup d’une procédure similaire. Ce dimanche, ils ont pu assister à ce qui les attend, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, dans les jours ou semaines à venir.
Au cœur de ces évictions quotidiennes de familles palestiniennes à Jérusalem-Est, la politique israélienne de colonisation et de judaïsation totale de Jérusalem, mise en place par la municipalité et soutenue par tous les gouvernements depuis les Accords d’Oslo de 1993.
L’installation des sionistes sur ce qui constitue aujourd’hui Israël a entraîné en 1948 un exode massif de quelques 800 000 palestiniens. La plupart croupissent aujourd’hui encore dans les camps de réfugiées insalubres du Liban, de Jordanie, de Syrie, d’Irak ou de Cisjordanie. La même année, la Jordanie prend le contrôle de la partie Est de Jérusalem. Certaines habitations comme c’est le cas à Sheikh Jarrah,sont alors confiées par le royaume Hachémite à l’UNRWA, l’organisme des Nations-Unies chargé des réfugiés palestiniens, pour reloger des familles palestiniennes chassées de Jérusalem Ouest.
Depuis 1967 et l’annexion par Israël de la partie arabe de Jérusalem, un processus de colonisation n’en finit pas d’isoler les quartiers arabes de Jérusalem du reste de la Cisjordanie, coupant ainsi toute continuité territoriale entre la partie sous contrôle de l’Autorité palestinienne et la partie orientale de la ville. Objectif avoué des autorités israéliennes, rendre impossible toute partition de la ville et empêcher ainsi les Palestiniens de revendiquer Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien.
Une première vague de constructions et d’implantations juives en plein territoire palestinien autour de Jérusalem-Est avait déjà coupé en deux la Cisjordanie, rendant les déplacements des palestiniens jérusalmites au Nord (vers Ramallah) et au Sud (vers Bethlehem et Hébron) quasiment impossibles.
Au Nord, un tramway, construit par la France (Véolia et Alsthom), relie Jérusalem et cette ceinture d’une trentaine de colonies entre elles, formant ainsi une véritable barrière entre la Cisjordanie et Jérusalem Est.
A l’Est, enfin, c’est la colonie de Ma’ale Adumim et son potentiel d’une fois et demie Tel Aviv qui finit d’encercler et d’étouffer la partie arabe de Jérusalem. Toutes ces annexions territoriales sont également renforcées physiquement par le mur de séparation qui non seulement spolie les terres palestiniennes, mais aussi sclérose villes et villages palestiniens en les coupant de leur espace naturel.
Sheikh Jarrah au Nord comme Silwan au Sud, sont les dernières pièces du système d’étouffement des quartiers arabes qui jouxtent la vielle ville de Jérusalem-Est. En y inversant les équilibres démographiques, Israël crée ainsi des corridors de peuplement homogènes reliant l’Ouest de la ville à cette enceinte de colonies en territoire palestinien.
Et la méthode est toujours la même.
Arguant de prétextes archéologiques, de lieux saints, ou d’un passé juif supposé ou réel, tout est bon pour chasser, expulser et détruire les habitations palestiniennes, et les remplacer par des populations juives. Dans un premier temps ce sont des colons fanatiques, juifs orthodoxes et ultra-nationalistes qui remplissent cette mission: tenir l’espace nouvellement colonisé en attendant que l’État s’y déploie et finisse par y implanter une population moins religieuse, attirée cette fois par des avantages économiques non négligeables, bénéficiant de prestations de logement et d’infrastructures bon marché au regard de la situation de l’immobilier dans le reste du pays.
Il n’aura fallu qu’une demi journée aux habitants de Sheikh Jarrah pour assister à l’évacuation de deux immeubles familiaux, regroupant au total 9 familles soient 53 personnes et vivant dans ce quartier depuis 1958. Quatre petites heures seulement à la police israélienne accompagnée des Magav (unité de police des frontières tristement célèbre par sa brutalité à l’encontre des civils palestiniens) pour mettre violemment, femmes, enfants et vieillards à la rue. Une demi-journée pour saisir tous les effets personnels, meubles, linges, vêtements, les entasser dans des camions et aller les déverser, à même la rue, deux kilomètre plus loin, en face des bureaux de l’UNRWA.
Une manière pour Israël de rappeler à cet organisme des Nations-Unies qu’il est souverain sur toute partie du territoire palestinien, qu’il ne saurait tolérer de l’ONU aucune autre prérogative que celle de gérer les conséquences économiques, sociales et sanitaires des évictions des populations palestiniennes. Un geste à mettre en écho avec le bombardement délibéré des bâtiments de l’ONU à Gaza, lors de l’offensive de l’hiver dernier, sitôt après les condamnations de l’UNRWA des massacres de civils perpétrés par l’armée israélienne dans la bande de Gaza.
Une demi-journée seulement enfin pour que les habitants de Sheikh Jarrah assistent médusés à l’arrivée d’une première famille de colons juifs prenant possession de la maison Hannoun, puis d’une seconde, s’installant chez les al-Ghawy, sous les yeux de Mayssoun al-Ghawy et de ses deux enfants. Une habitante de Sheikh Jarrah raconte: « Malgré une énorme tension et un formidable déploiement de police et de soldats, c’est un silence de plomb qui régnait dans le quartier. Le silence se brisait parfois par les sanglots des mères et les cris des enfants. Puis soudain, d’énormes scies circulaires se sont attaquées à toutes les portes d’entrée de la maison. Quelques secondes plus tard, de nouvelles portes avec de nouvelles serrures étaient installées. » Pendant la journée, gravats et déchets s’amoncelleront devant la maison, la nouvelle famille de colons réorganisant pour elle-seule un intérieur conçu pour 6 familles palestiniennes. 6 familles, chez les al-Ghawy, 4 chez les Hannoun, car il est interdit aux Palestiniens de Jérusalem de construire ou d’agrandir leurs maisons, la municipalité s’y opposant systématiquement.
Sous les caméras du service de la Sécurité intérieure israélien qui enregistre et menace toute velléités de solidarité envers familles palestiniennes, Salah, 37 ans, un habitant de Sheikh Jarrah, explique: « On assiste impuissant à une Nakbah quotidienne. Une fois mis hors de chez eux, les palestiniens savent qu’ils ne retrouveront jamais leurs maisons. Ils ont soixante ans d’expérience maintenant. Les israéliens veulent transformer ce quartier à l’image de ce qu’ils ont fait à Hébron, où une poignée de fondamentalistes juifs protégés par l’armée fait régner la terreur dans un centre ville désert pour faire un continuum sécurisé (c’est-à-dire vide de palestiniens) entre le Tombeau des Patriarches dans la vieille ville arabe et la colonie de Kiryat Arba ».
280 000 Palestiniens vivent aujourd’hui à Jérusalem-Est
Près d’un millier de maisons palestiniennes y ont été détruites depuis les Accords d’Oslo.
Près de 200 000 colons y sont aujourd’hui installés.
L’organisation israélienne La Paix Maintenant annonçait en mars 2009 que le plan de colonisation à l’Est de Jérusalem prévoit la construction de 5 700 logements.
A très court terme, la population juive sera majoritaire dans la partie arabe de Jérusalem.
Jérôme Anconina