Le mérite n’est pas moindre de remémorer sous la forme la plus banalisée c’est à dire paradoxalement la plus révolutionnaire, les entailles radicales et indélébiles de la république dans le corps déchiqueté de l’Autre, le Noir, l’Africain, l’Arabe, l’Asiatique.
Un calendrier des crimes de l’impérialisme, quoi de plus ingénieux, simple et diablement efficace pour confronter le haut-parleur de la bourse universaliste à sa propre pratique bouseuse, singulière et singulièrement chosifiante de l’universel.
La victoire des colons les plus puissants et les plus rusés, retors d’entre pays acquis à l’esclavisation de l’altérité, a sédimenté et ossifié dans les institutions nodales de diffusion et de production de la vérité historique, une version toujours plus lénifiante, aplanie et bien souvent culpabilisante à l’endroit des assujettis, des pages insoutenables de l’expérience de la rencontre des civilisations extra-européennes avec la descendante de Rome. L’autorité d’un règne négationniste, frappant les faibles et leurs représentations de leur propre vécu de broyés sociétaux, autorité opérant par les média de grande échelle et les universités de ranking international, ne permet aucunement d’imaginer une mise à nue, au vu de tous et de toutes, de la réalité d’une violence entretenue depuis des siècles, translatée progressivement de l’intérieur des sociétés blanches vers les sociétés dites lointaines.
Le mérite de Jacques Morel est de mettre à la disposition du grand nombre, un outil informatif, pédagogique, et faussement anodin, un calendrier, qui dépeint au jour le jour, au mois le mois, la compromission républicaine pérenne.
Déconstruction de la domination invisible, agissant au creux de la mise au silence des médias ou des lieux convenus de factice repentance, restitution des autorités à leurs faits et méfaits négriers documentés mais ignorés, le calendrier contribue à une vulgarisation saine et indispensable des fondements des rapports asymétriques et de vassalités de la France avec une constellation de sociétés asservies par une activité quotidienne de crimes.
La vulgarisation prend par un format de poche pour un prix d’entrée, de l’économique. De l’accessible intelligent. Il n’est pas certain que l’illustration en première page serve honnêtement le contenu, mais l’essentiel est ailleurs.
Les repères historiques et les renvois bibliographiques capitalisent largement le lecteur, néophytes ou même initié qui y trouvera toujours une matière à réflexion.
On reconnaît ici la méthode Survie, association connue pour ses bulletins d’information sur la nébuleuses françafrique, un travail de fourmi, une chasse aux sources, des classifications, l’organisation des données etc.
Outil de délégitimation, de démolition des prédations autorisées, la Calendrier de Morel embrasse un champ allant essentiellement de la traite négrière au Génocide franco-rwandais. La baïonnette est mise à la lumière, maculée du sang des innocents qui n’ont pêché que pour avoir existé, la contribution des savants, des grands esprits de Gobineau à Renan, de Voltaire à Ferry n’est pas comme de coutume noyée dans un flot alambiqué de tirades, concepts pétaradants et lâches.
Les Français au premier chef méritent de savoir ce qu’en leur nom on fit, on fait, et si les choses en restaient là, on ferra…Les humiliés, suppliciés, esclavisés, baptisés, dévalués, tiraillés, chaque jour davantage actif à leur anéantissement, trouveront une fonction d’initialisation ou de ré-initialisation d’un pan comateux des mémoires collectives des néo-colonisés.
Les karanautes et leurs amis seront édifiés par l’accompagnement de ce guide sobre et incisif que Jacques Morel commet chez l’Esprit Frappeur.
Montray Kreyol
Lire Jacques Morel, Calendrier des crimes de la France outre-mer, L’Esprit Frappeur n°100, 2001, Paris
Source : http://www.montraykreyol.org/spip.php?article2076