La Palestine est devenue un enjeu majeur au cours des années « Black Power », car de nombreux radicaux noirs se sont identifiés aux mouvements anticoloniaux et ont alors embrassé la lutte du peuple palestinien contre l’occupant Israélien. L’expression de cette solidarité a conduit à des accusations d’antisémitisme (qui n’étaient pas toujours injustifiées) contre des figures du Black Power, pour se solder finalement par la fermeture, par les Johnson publications, de Balck World (https://coral.uchicago.edu:8443/display/chicago68/Negro+Digest-Black+World), revue culturelle et politique du monde noir, suite à un article sur le sionisme supposé antisémite. Dans ce contexte, les écrits de Baldwin, bien que brefs, démontrent sa lucidité sur le sujet car il affirme sans hésiter qu’Israël représente l’impérialisme, et non pas l’autodétermination juive.
Ainsi en 1972, dans son essai «Take Me to the Water », Baldwin nous donne les raisons pour lesquelles il ne s’est pas installé en Israël lorsqu’il est devenu expatrié à la fin des années 1940 :
« Et si j’avais fui en Israël, un Etat créé dans le but de protéger les intérêts de l’Occident, j’aurais fait à face à un sérieux dilemme : de quel côté de Jérusalem aurais-je décidé de m’installer ? »
Cette prise de conscience chez Bladwin dès 1948 manquait à la majorité de gauche. Quand il a pris la décision de fuir les Etats-Unis, Baldwin réalisa qu’il pourrait difficilement atteindre son objectif en s’installant dans un pays qui reproduisait les mêmes crimes que l’Amérique à l’époque de colonisation. En effet, la prise de position claire de Baldwin se démarque de la quasi-totalité des analyses de Gauche à la naissance d’Israël, à l’exception notable de celle de Tony Cliff (http://www.marxists.org/archive/cliff/works/1947/xx/palestine.htm)
Les écrits les plus remarquables de Baldwin sur la question palestinienne datent de 1979, dans sa « lettre ouverte au nouveau converti» quand le président américain Jimmy Carter a révoqué l’ancien bras droit de Martin Luther King, Andrew Young, de son poste d’ambassadeur aux Nations Unies suite à sa décision de rencontrer une délégation de l’OLP. Baldwin une fois de plus se montre limpide quant aux circonstances de la naissance d’Israël.
« Les juifs et les palestiniens ont l’habitude des promesses non tenues. Depuis la Déclaration de Balfour (pendant la 1ère guerre mondiale) la Palestine a été sous cinq mandats britanniques, et l’Angleterre a promis de rendre la terre aux arabes ou aux juifs selon que l’un ou l’autre arriverait en tête de la course. Les sionistes – pour les distinguer des Juifs en tant que peuple – faisant usage, pour ainsi dire, « de la machine politique disponible » autrement dit, l’empire colonial britannique – promirent aux britanniques que si le territoire leur était donné, la sécurité de leur empire serait assurée à jamais».
Or, le sort des Juifs n’intéressait absolument personne, et il convient de noter au passage que les sionistes non-juifs sont très souvent antisémites.
Baldwin évoque par la suite l’histoire de l’antisémitisme européen et les liens civilisationnels entre l’Inquisition espagnole et le franquisme. La situation en Palestine, précise-t-il, n’est pas le résultat du terrorisme ou des méfaits des Juifs, mais bien celui de l’impérialisme européen :
« L’Etat d’Israël ne fut pas créé pour le salut des Juifs ; il fut créé pour sauvegarder les intérêts de l’Occident. Cela paraît de plus en plus évident (je dois dire que cela a toujours été clair pour moi). Les Palestiniens payent le prix de la politique coloniale britannique du « diviser pour régner » et celui de la mauvaise conscience de l’Europe chrétienne depuis plus de 30 ans… La chute du Chah d’Iran a dévoilé non seulement la profondeur des préoccupations pieuses de Carter concernant les « droits humains », mais elle a aussi révélé qui fournissait Israël en pétrole, et à qui Israël vendait des armes. Cela s’est révélé être, il convient de le souligner, l’Afrique du Sud de l’Apartheid. »
Baldwin fait preuve d’un sens aigu de la géopolitique, sa compréhension du fossé qui sépare le judaïsme du sionisme, et sa volonté de faire remonter le problème à 1948 (depuis plus de 30 ans). Tout ceci le placerait aujourd’hui dans l’aile gauche du mouvement de solidarité avec la Palestine. Il y a Trente ans aux Etats-Unis, Baldwin a du se sentir isolé dans le plus désolant des déserts politiques. Étudié aujourd’hui en tant qu’écrivain de la sexualité et du genre ou des droits civiques, le radicalisme de Baldwin sur les questions internationales reste en arrière plan. Ceux qui d’entre nous luttent aussi pour honorer sa perception d’une véritable justice au Moyen Orient, ont aujourd’hui le droit et le devoir de se réclamer de Baldwin et ce faisant, de donner à son radicalisme la reconnaissance qu’il mérite.
Traduit de l’anglais par Fatna Zemmouriyya, militante du PIR
« Baldwin on Palestine », le 21 juin 2010
Source : http://herrnaphta.wordpress.com/2010/06/21/baldwin-on-palestine/
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